Livre I
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Car rien n’abîme plus l’élégant arrangement du squelette et de l’os de la poitrine avec ses cartilages que le fait de leur avoir porté trop peu d’attention et de ne pas les laisser sécher après l’assemblage du squelette, plutôt qu’avant. Si vous le désirez, vous pouvez un peu rapprocher du feu tous les autres cartilages collés sur le papier, mais de telle sorte qu’ils ne tombent pas, puisqu’il vaut mieux qu’ils sèchent aussi après l’assemblage des os. Maintenant, vous pouvez assembler les os et les cartilages selon le procédé que je vais décrire, ou vous pouvez les conserver individuellement, ce qui serait également très utile, au cas où il manquerait des pièces lors de l’assemblage ou dans la conservation des os séparés.Quels sont les os les plus utiles pour l’apprentissage.
   Les os individuels, rangés et ordonnés dans une boîte de forme allongée[608], peuvent être observés séparément à tout moment et sont utiles pour apprendre tout ce qui concerne la connaissance des os ; quand ils sont dressés et articulés, ils ne montrent pas aussi bien les cavités et les têtes osseuses, et, à dire vrai, ils servent davantage à la montre qu’à l’apprentissage. Les os qui conviennent le mieux à l’apprentissage sont ceux qui sont retirés des tombeaux italiens, construits sur le modèle d’une petite pièce[609](comme ils le sont presque tous ici), sous un impluvium[610] ou exposés à l’air, si bien que ces os reçoivent constamment les eaux pluviales. Outre que de tels tombeaux sont humides, l’eau qui y pénètre souvent aide à la putréfaction très rapide de tout ce qui est attaché aux os, aussi, après quelques années, quand ces os sont retirés et bien lavés, ils sont parfaitement intacts et ils ne montrent seulement rien de ce qu’il faut voir dans les os, à moins de les ranger dans l’ordre dans une boîte, sans les assembler[611]. Car ils sont complètement inutiles pour l’assemblage du squelette, soit à cause de leur dureté excessive, soit à cause de la perte des cartilages des côtes et de tout le corps ; ou si ces cartilages existent encore par hasard, ils sont devenus friables à cause de la putréfaction et sont complètement détachés des os. Tout aussi inutiles à cette fonction sont les os qui, dans d’autres nations, sont extraits de la terre et conservés en tas dans les cimetières. En effet, outre le fait que la siccité de la terre les a cariés, on ne trouvera jamais tous les os d’un même corps réunis comme dans les tombeaux mentionnés plus haut, par exemple dans le cimetière des Saints Innocents à Paris[612]. Là (ou ailleurs peut-être), on trouve à profusion des monceaux d’os déterrés à la bêche ; au temps où je commençais à étudier les os avec Mattheus Terminus, un médecin remarquable dans toutes les parties de la médecine, un compagnon d’études très savant que j’aimerai toute ma vie, ces monceaux nous ont fourni une ample provision d’os que avons examinés longuement et inlassablement pour les apprendre, si bien qu’avec nos compagnons, les yeux bandés, nous étions capables de les reconnaître tous, quels qu’ils fussent, uniquement en palpant des os retirés de ces amoncellements et posés par terre. Et nous faisions cela avec d’autant plus d’ardeur que nous étions avides d’apprendre et que nous étions privés de l’aide d’enseignants dans cette partie de la médecine.Comment assembler les os nettoyés.
   Mais pour en revenir à l’assemblage et à l’érection des os bouillis[613], ceux-ci doivent être assemblés dès qu’ils ont été nettoyés (pour éviter qu’ils ne durcissent) ; juste après qu’ils ont été bouillis, ils peuvent être facilement perforés avec des alènes comme celles qui servent à coudre les chaussures, et enfilés sur des fils de cuivre : c’est à la portée de tout le monde, en fonction de la dextérité naturelle des mains et de l’attention prêtée à notre description dans tout le livre.La planche du chapitre 7 du livre II montre des instruments de ce genre aux lettres S, T, V, X, Y.

   Commencez par préparer quelques alènes, des fils de cuivre, les uns épais, les autres fins, passés au feu, pour les rendre plus flexibles et pour les tordre en sens divers sans les casser. Ajoutez-y deux tenailles ou pinces, l’une pour tordre le fil, l’autre pour le couper quand il sera tordu. Commencez par assembler les os à partir des pieds, joignez d’abord le talus au calcaneum, puis l’os cuboïde au calcaneum, l’os naviculaire au talus, les trois os internes du tarse à l’os naviculaire ; ensuite, joignez-y les os du métatarse, et à ces derniers, dans l’ordre, les os des orteils, avec les petits os sésamoïdes, que vous perforerez avec plus de précaution et avec une alène plus fine[614], dans la mesure où ils sont plus durs et plus compacts et s’émiettent plus facilement quand l’alène les perfore[615]. Après avoir assemblé les deux pieds, perforez le tubercule du tibia qui sépare les cavités recevant les têtes du fémur, à l’aide d’un couteau de forme allongée, mais courbe, de manière à pouvoir y placer un bâton très rigide, qui s’enfoncera dans le fémur et le reliera au tibia comme un clou, comme nous voyons des poutres assemblées sans colle. Pour cela, faites un autre trou à la surface inférieure du fémur, en face de celui que j’ai souhaité faire dans le tibia, de sorte que le bâton puisse s’insérer à la fois dans le fémur et dans le tibia, et que l’articulation du genou ne puisse fléchir. Cependant, en plus de ce bâton, du fil épais doit relier le fémur et le tibia sur les deux côtés, sans oublier les cartilages qui augmentent les cavités du tibia, et qui serviront à maintenir l’articulation du genou, quand ces os entreront dans l’assemblage du squelette. Ensuite, attachez la fibule au tibia, en haut et en bas, et la patella au tibia et au fémur. Lorsque cela aura été fait dans les deux jambes, attachez les os iliaques de chaque côté du sacrum avec du fil épais, puis réunissez les os du pubis par leur cartilage intermédiaire.
   Ayez maintenant sous la main un disque en bois pour y dresser le squelette ; il aura une surface circulaire suffisante pour que les pieds y soient bien assurés, quelle que soit la pose que vous aurez décidé de donner au squelette. Faites un trou au centre du disque ; quand vous enfermerez le squelette dans une boîte de forme allongée, l’axe sera fiché dans le trou au fond inférieur de la boite et pourra tourner. En plus de ce trou, faites-en un autre près de la circonférence, dans lequel vous ficherez un bâton, en guise de javelot, de lance ou de faux (ou tout autre objet) pour y appuyer la main du squelette.

×Apparaît ici la notion de classement et de collection, qui sera développée dans les pages suivantes, mais toujours dans une perspective didactique. La circulation de squelettes à des fins d’étude est attestée par un passage de Sylvius qui dit avoir envoyé un cadavre d’enfant à Cornelius Baersdorp, médecin de Charles Quint, avec d’autres os (séparés), afin de confondre les observations de Vésale sur les foramina du sphénoïde, in Væsani cujusdam calumniarum in Hippocratis Galenique rem anatomicam depulsio, Lugduni Batavorum, Daniel van der Boxe, 1665, p. 145.
×Le mot latin penus est plus specialisé que templum. Il est connu par l’archéologie, et désigne le fond d’une demeure où sont renfermées les provisions, les objets précieux, les objets du culte, notamment à Rome dans le temple de Vesta, où une cavité (penus Vestæ) était creusée à l’intérieur de la cella ronde.
×Élément d’architecture civile de l’antiquité romaine. Ce bassin carré était aménagé au centre de l'atrium permettant de recueillir les eaux de pluie qui tombaient par le compluvium ou ouverture pratiquée dans le toit, cf. Vitruve, De architectura VI, 3.
×Le sens de la phrase est obscur. Le texte a été modifié dans l’édition de la Fabrica de 1555, mais n’est pas plus clair.
×M. Biesbrouck, «  Vesalius en het Cimetière des Saints Innocents te Parijs of de ontdekking dat de kinsymfyse bij de mens ontbreekt » [Vesalius and the churchyard les Saints Innocents in Paris, or the discovery that the mandibular symphysis does not exist in man], Acta Belgica Historiæ Medicinæ, 1996, 9, p. 32-37.
×M. Kornell, «  Vesalius’s method of articulating the skeleton and a drawing in the collection of the Wellcome Library », Medical History, 2000, 44 (1), p. 97-100.
×Le changement d’écriture est notable dans ce chapitre, très travaillée en fait sous une apparente technicité. Ici, bel exemple de zeugma par exemple.
×L’édition de 1555 de la Fabrica montre un schéma d’instrument servant à perforer l’os (p. 196).