Livre I
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il faut inciser ce trou avec un couteau, soit horizontalement soit obliquement. De même il faut encore perforer le crâne de telle sorte que la portion du crâne enlevée à la scie puisse être assemblée avec la partie restante par des languettes, mais qu’elle puisse à nouveau être séparée, ce qui est très utile pour observer la cavité interne du crâne qui contient le cerveau. Pour cela, il est nécessaire de percer chacune des deux parties du crâne de trois trous en face l’un de l’autre, avec un fer chauffé à blanc ou avec la pointe d’un couteau ; le mieux est de faire un trou sur l’occiput et un sur chacune des tempes.
   Vous pouvez attacher la mandibule au maxillaire avec un fil de cuivre, après avoir articulé les têtes de la première aux cavités du second. Mais comme cette articulation n’est pas suffisamment solide pour que les dents se joignent mutuellement, la mandibule reste pendante, alors qu’il serait plus élégant qu’elle puisse tantôt joindre la mâchoire supérieure, tantôt s’en disjoindre ; aussi, en plus de la jointure mentionnée, il faut aussi perforer les processus pointus de la mandibule et les attacher par une ficelle qui, passant sous les os du zygoma et par le vertex, pourra être tendue soit à travers le front, soit à travers l’occiput, et maintenir ainsi les deux arcades dentaires l’une contre l’autre. Quoi qu’il en soit, il faut surtout veiller à ce que la barre de fer ne penche pas maladroitement ou en arrière, ou en avant, ce qui donnerait au corps une posture verticale peu élégante ; pour éviter cela, il sera très utile de bien connaître l’axe du rachis.
   Il sera temps maintenant d’attacher les côtes aux vertèbres et à leurs cartilages, ce que vous ferez minutieusement et soigneusement, en commençant par séparer toutes les côtes droites des gauches, en les distinguant d’après le sinus où passent la veine, le nerf et l’artère des côtes, et d’après leur surface supérieure, qui est plus large et plus épaisse que la surface inférieure. Ensuite, placez les côtes sur une table, de la manière suivante ((( ))), en veillant à ce que la série droite corresponde à la série gauche. Il vous sera facile de les fixer chacune à leur emplacement, du moins si vous avez gardé en mémoire ces distinctions que nous avons rappelées plus haut. Prenez la première dans l’ordre sur chaque côté et attachez-la à son cartilage à l’os de la poitrine ; ensuite, avec l’aide d’un compagnon, soulevez l’os de la poitrine avec ses cartilages et tenez-le dans cette position pendant que vous attachez les premières côtes aux processus transverses de la première vertèbre thoracique. Puis joignez les deuxièmes côtes à leurs vertèbres, puis à leurs cartilages, et ainsi de suite, mais en veillant à laisser entre les côtes l’espace qui, avant la dissection, les séparait l’une de l’autre par des cartilages. Maintenant assemblez avec un fil épais les humérus aux scapulae, et ensuite, avec un fil fin, les clavicules à l’acromion, puis les scapulae aux côtes, et les clavicules à l’os de la poitrine. Néanmoins, lorsque vous rapprocherez les humérus des scapulae, pensez à la position dans laquelle les bras devront être placés. Cela dépend beaucoup de la manière dont la tête de l’humérus sera articulée avec la cavité de la scapula ; en effet, dans cette articulation, il ne faut absolument pas négliger le cartilage qui augmente la cavité de la scapula, tout comme on n’a pas omis les cartilages intrinsèques aux articulations des mâchoires et des clavicules. Par ailleurs, il ne faut pas joindre les os de l’avant-bras à l’humérus, avant d’avoir assemblé toute la main, et le radius à l’ulna à ses deux extrémités. Ensuite, si les os du carpe se sont disjoints et libérés de leurs ligaments, il est nécessaire de les réunir à nouveau ; autrement, ils sont maintenus ensemble par leurs ligaments.
   Commencez par fixer sur leur surface inférieure [distale] l’os du pouce, puis les quatre os du métacarpe, ensuite les os des doigts, avec les osselets sésamoïdes. Enfin, joignez le carpe au radius et l’ulna à l’humérus. Lorsque cela aura été fait pour les deux bras, attachez les mains au bâton dont j’ai parlé, solidement fiché sur le cercle, dressé comme une faux ou tout autre objet. Maintenant que le squelette a été érigé, vous pouvez confectionner un collier avec l’os hyoïde, les osselets de l’organe de l’audition, la trachée, les cartilages des paupières et du nez, les ongles et les cartilages du cœur, en les attachant à une petite chaîne ou à un nerf desséché d’une jambe ou d’un bras[616].
   Vous voyez donc combien la préparation des os du corps humain, qui est tellement souhaitable pour un médecin, est chose facile. C’est l’assemblage actuel qui pourra sembler le plus difficile tant qu’on ne l’a pas essayé, alors que pour moi mon premier essai a été couronné de succès, en suivant l’exemple de ceux que j’avais vus quelquefois réparer des écuelles cassées et des marmites en pierre. L’art de la cuisson m’avait enseigné le pouvoir d’amollir en médecine. En effet, j’avais quitté Paris à cause des troubles de la guerre et j’étais retourné à Louvain ; j’avais l’habitude de me promener, avec Gemma Frisius[617], médecin réputé et mathématicien incomparable, dans le but de regarder des os, et nous allions en ce lieu où, pour le plus grand bénéfice des étudiants, tous les corps des condamnés à mort étaient généralement exposés à la vue des paysans, sur la voie publique, lorsqu’un jour je tombai sur un cadavre désséché, tel celui du voleur que Galien se souvient avoir observé.Livre 2 des Procédures anatomiques .
Des oiseaux l’avaient complètement débarrassé de sa chair, comme je suppose qu’ils avaient également nettoyé le corps de mon homme, car brûlé et pour ainsi dire rôti sur un bûcher de bottes de paille l’année précédente, il était resté attaché au pieu et avait fourni un aliment de choix aux oiseaux, si bien que ses os étaient entièrement mis à nu et et ne tenaient ensemble que par les ligaments, l’insertion et l’origine des muscles étant cependant conservées. Ce qui n’arrive jamais dans les corps de pendus, parce que, à part les yeux (et même si les gens du peuple pensent autrement)[618], les oiseaux ne peuvent rien arracher, à cause de l’épaisseur de la peau ; et puisque la peau reste intacte, les os pourrissent à l’intérieur et ne sont d’aucune utilité pour l’apprentissage. Aussi, quand je vis ce corps desséché, sans la moindre trace d’humidité ou de salissure, je ne pus laisser passer une occasion inespérée et souvent souhaitée. Avec l’aide de Gemma, je montai sur le poteau,

×W. F. Richardson, On the fabric of the human body, San Francisco, Norman Publishing, 1998, p. 382, n’a pas traduit l’allusion au collier, la jugeant peut-être peu compatible avec la dignité d’un médecin...
×Sur Gemma, fils de Reynier de Frise, originaire de Dokkum, Frise, Pays-Bas (1508-1555), mathématicien, cosmographe et médecin, cf. Introduction au livre I.
×À rapprocher de F. Villon, La ballade des pendus («  Plus becquetez d’oiseaux que dés à couldre »).