Livre VII
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pour former les espaces convenant aux yeux et aux cavités nasales. Le cerveau remplit aussi deux grands sinus dans la cavité crânienne, situés latéralement par rapport au sinus [selle turcique] de l’os sphénoïdeoo sur les côtés du M, fig. 3, chap. 12, livre I. qui supporte la glande recevant la pituite du cerveau [hypophyse]. Se modelant comme de l’argile sur la forme de l’os qui le contient[316], le cerveau est saillant à sa base formant de chaque côté une tubérosité en forme de demi globe[317]. Entre ces tubérosités, on voit que le cerveau a une dépression prévue pour les processus de l’os sphénoïde[318] qui s'avancent ici de chaque côté autour du sinus où la glande mentionnée ci-dessus [hypophyse] est soutenue. De même, dans le reste de cette aire, la base du cerveau[319] se moule sur les tubérosités osseuses contenant les organes de l’audition et sur la partie supérieure du cervelet, s’insérant dans tous les sinus et laissant courtoisement de la place pour ces tubérosités. Et de même, latéralement, à l’avant, à l’arrière et à la partie supérieure, le cerveau reflète la forme de la cavité crânienne. Sur ces faces, le cerveau apparaît comme une sphère allongée, déprimée latéralement et à l’avant à cause des cavités temporales ; sa forme est arrondie, mais beaucoup plus large à l'arrière qu’à l’avant, comme si le cerveau lui-même et le cervelet n’exigeaient pas d'avoir de forme spécifique, mais qu'il leur suffisait que leur substance intrinsèque rassemblée en une grande masse, contenant en elle des sinus convenant aux fonctions du cerveau et du cervelet, fût placée dans le crâne[320]. Cet arrangement est montré par les sinus et les tubérosités à la base du crâne, et par les surfaces concaves que l'on peut voir dans les tempes, destinées aux musclespp Γ dans la 4e planche des muscles. temporaux.La fissure séparant la partie du cerveau que nous avons appelée « moitié droite » de la gauche ; les circonvolutions du cerveau. Donc la cavité crânienne reflète l'image de la surface externe du cerveau, incluant laqq on la voit en entier sur la fig. 3. fissure[321] qui partage le cerveau en deux, et d’innombrables gyri[322]etrr C,C,C, fig. 3. circonvolutions. En effet une grande partie de la surface externe du cerveau est constituée par toute la surface qui est divisée et séparée en deux parties par cette fissure, comme les pieds fourchus de certains animaux sont pour ainsi dire fendus en deux ongles. Cependant la forme du cerveau que nous avons mentionnée est peu interrompue, puisque la moitié droite [hémisphère droit] du cerveau est apposée à la moitié gauche [hémisphère gauche], et que les hémisphères séparés par cette ligne longitidunale n'ont pas entre eux un espace plus grand que l'épaisseur de la dure-membrane et d'une double fine-membrane. En effet, chez l’homme, contrairement au mouton, une portiondd D,D,D, fig. 3. ou un processus de la dure-membrane est placé au milieu de cette scissure et sépare[323] les deux moitiés du cerveau à la manière d'une cloison [faux du cerveau]. Et la fine membrane entoure séparément chacune des moitiés du cerveau et s’y entortille[324]. Par ailleurs les gyri et circonvolutions du cerveau, qu’Érasistrate[325]a parfaitement comparés aux méandresee fig. 7, livre V. des intestins grêles, se trouvent sur l’ensemble de la surface du cerveau partout avec la même fréquence. En effet les sillons qui pénètrent profondément dans la substance du cerveau sont très nombreux et ressemblent tout à fait aux sinuosités des intestins grêles. Je pense que ces circonvolutions ne peuvent pas être mieux comparées qu’à ces sinuosités ou qu’aux nuages comme les dessinent d’habitude les apprentis mal dégrossis des peintres ou les enfants à l’école : mais cela ne vaut pas la peine de trop chercher une ressemblance, puisque cette partie du cerveau [encéphale] humain ne présente rien de particulier, et que les circonvolutions visibles dans la substance du cerveau [cortex de l'encéphale] sont communes à l'homme et aux ânes, aux chevaux, aux bœufs et aux autres animaux que j’ai vus jusqu’ici. À moins peut-être que l'on puisse y ajouter comme différence le fait que la Nature aurait creusé chez l’homme ces gyri d’autant plus profonds que la substance du cerveau [cortex de l'encéphale] apparaît plus copieuse[326].Fonctions des circonvolutions du cerveau. Vous pouvez apprendre quel est l'aspect de ces circonvolutions en regardant la cervelle de n’importe quel animal, lors d'un déjeuner ou d'un dîner. Mais quand il s'agit de considérer leur fonction, non seulement les médecins mais les philosophes aussi se déchirent dans leurs débats pour savoir si l’intelligence de l’homme est due à ces gyri ou pas ; ainsi, Galien combattant l'avis d'Érasistrate, trancha en ces termes[327] : « Même les ânes ont un cerveau complexe, alors que si on considère leur ignorance[328], leur cerveau devrait être simple dans toutes ses parties et uniforme. Il serait plus juste de penser que l'intelligence[329] est fonction du juste équilibre de la substance de l’organe (où qu’il soit placé) et non de la diversité de sa composition. Et il ne convient pas, à mon avis, d’attribuer l’excellence de l’intelligence à la quantité d'esprit animal plutôt qu’à sa qualité». Et ici, Galien, semblable à lui-même[330], au moment où nous avons le plus besoin de son aide, freine pour ainsi dire son explication, et, alors qu’il aurait dû dire la fonction de ces circonvolutions, il revient en arrière, estimant qu'il lui suffisait d'avoir indiqué qu'elles ne régissent pas l’intelligence. Ce qu’assurément nous ne contestons pas, mais Galien aurait dû ajouter qu'elles montrent le grand talent du Créateur et qu’elles n’ont été créées que dans le but de nourrir la substance du cerveau [cortex de l'encéphale]. En effet, cette substance, si elle avait été continue mais dépourvue de tout cet entrelacement de fibres membraneuses, n’aurait jamais été suffisamment ferme pour que des veines et des artères puissent être distribuées à travers elle comme dans les autres parties du corps ; et elle est si abondante et épaisse que si les veines et les artères étaient distribuées seulement à sa surface, elles ne pourraient nourrir que cette surface et restaurer sa chaleur innée[331], alors que les parties plus profondes du cerveau [encéphale] manqueraient de matière si les vaisseaux étaient conduits de la manière susdite. Prévoyant cela, la Nature a creusé ces entrelacements sinueux partout dans la substance du cerveau [cortex de l'encéphale], de telle sorte que la fine membranef,f E,E,E, fig. 2. pleine de vaisseaux, puisse s’y insinuer afin d'alimenter cette substance de la manière la plus appropriée[332].Explication de la fissure [scissure inter-hémisphérique] du cerveau. Et c’est surtout parce qu'il devait être nourri que le cerveau a été partagé en deuxg,g A,A et B,B, fig. 3. de telle sorte que la fine membrane puisse pénétrer au milieu, s'enfoncer dans les replis et nourrir sa substance. Sans cette séparation et sans ces circonvolutions très profondes, cette aire où la moitié droite [hémisphère droit] est en regard de la gauche [hémisphère gauche]

×On constate de très nombreuses hésitations et contradictions dans ce passage et dans la description ultérieure (cf. ibid., note 320 et page 639). Il est possible que Vésale n'ait pas tranché et se contente d'observer que la forme de l'encéphale correspond à celle du crâne dont il occupe la cavité. Galien avait affirmé dans le De anatomicis administrationibus (I, 2) que les parties internes du corps se moulent sur la forme des os, mais avait combattu cette idée dans le De usu partium VIII, 12.
×Il s'agit ici des pôles des lobes temporaux dont il est bizarre que Vésale n'ait pas fait la description isolément des lobes frontaux.
×Interposée entre lobe frontal et temporal, la dépression du sillon latéral (cf. p. 630 note 326) répond à la saillie du bord postérieur de la petite aile du sphénoïde.
×Face inférieure des lobes temporaux posés sur les rochers et, en arrière, sur la tente du cervelet.
×Façon de dire que le cerveau occupe la place dont il dispose (cf. p. 629 note 304) alors qu'en réalité c'est le crâne qui au cours de son développement s'adapte à la forme de celui-ci. Les empreintes osseuses de la voûte et de la base sont donc pour la plupart le reflet de sa morphologie (avec gyri et sulci).
×Fissure dite longitudinale du cerveau (anciennement sissure inter hemisphérique).
×Vésale utilise ici le terme de gyrus (qui n'apparaît pas dans l'Epitome), mais d'autres synonymes se rencontrent dans la Fabrica : reuolutiones, anfractus, inuolutiones... Gyrus est un mot grec latinisé qui était à l'origine une image, puisqu'il désigne en premier le cercle que l’on fait faire au cheval au manège. Le gyrus (ou circonvolution) est formé de replis du cortex délimités par des sillons ou sulci. La coordination entre gyrus et circonvolution est ici une redondance.
×Emploi non classique du verbe interstinguo, formé sur le nom interstinctio. Le verbe classique es tintersto (se trouver entre, séparer).
×Ce verbe ne permet pas de savoir si Vésale fait allusion ici à la pie-mère ou à l'arachnoïde.
×La comparaison est attribuée à Érasistrate, mais n'est pas citée par Galien dans la controverse qui l'oppose au médecin alexandrin (cf. infra). Il n'est pas sûr que Vésale ait eu accès directement à l'oeuvre d'Érasistrate, dont la majeure partie a été perdue, cf. I. Garofalo, Erasistrati Fragmenta, Pise, Giardini, 1988. Sur l'oeuvre et l'influence d'Érasistrate, cf. S. Byl, La médecine à l'époque hellénistique et romaine, Paris, L'Harmattan, 2011, p. 19-26.
×Cette assez longue mais finalement succinte description du cortex cérébral étonne d'abord par l'absence de description du sillon latéral, sillon le plus profond de l'hémisphère qui sépare nettement lobes frontal et temporal (cf. p. 630 note 318). Elle étonne aussi par le fait qu'elle distingue peu la gyration corticale humaine de la gyration animale, les vertébrés cités possédant un nombre pourtant beaucoup plus restreint de gyri. Seule donc est notée la profondeur plus importante des sillons chez l'homme. C'est confronté à l'absence de systématisation apparente possible de ces gyri que Vésale finit par les rapprocher de nuages dessinés mal dégrossis. On comprend que les variations de la plupart des sillons d'un sujet à l'autre aient très vite fait renoncer Vésale à y trouver une quelconque systématisation, d'autant qu'il n'en soupçonnait pas vraiment l'importance fonctionnelle comme en témoigne la suite des ses propos. Toutefois, dans les termes « sillons d'autant plus profonds que la substance est plus copieuse », apparaît à son insu la notion vraie faisant des sulci et gyri le moyen de gagner de la surface corticale dans un volume crânien limité.
×Galien avait critiqué Érasistrate pour avoir soutenu que l'encéphale est plus complexe chez l'homme que chez l'animal, puisque ce dernier est dénué de la faculté de penser (De usu partium VIII, 13). Vésale donne ici sa propre traduction de ce passage, auquel il a déjà fait référence à la fin du chapitre I du livre VII de la Fabrica. Cf. V. Boudon-Millot, « L'Ars Medica de Galien est-il un traité authentique ? », Revue des Études Grecques, 1996, t. 109, p. 111-156 [131].
×Le terme de ruditas (ignorance, grossièreté), rare en latin classique, connaît un développement à la Renaissance à travers les traités d'éducation et de civilité puérile humanistes.
×Sur la notion de prudentia à la Renaissance, cf. É. Berriot-Salvadore, C. Pascal, F. Roudaut et T. Tran (éd.), La Vertu de prudence entre Moyen Âge et âge classique, Paris, Classiques Garnier, 2012, et en particulier dans le domaine médical, É. Berriot-Salvadore, « Théories et pratiques de la prudence dans la médecine », p. 339-353.
×Les traductions de W. F. Richardson and J. B. Carman, On the fabric of the human body VI, San Francisco, Norman Publishing, 2009, p. 183 et de D. H. Garrison and M. H. Hast, The fabric of the human body: an annotated translation of the 1543 and 1555 editions of "De humani corporis fabrica libri septem", Bâle, Karger, 2014, p. 1274, banalisent la remarque faite par Vésale ; comme Galien qui affirmait freiner son discours parce qu'il ne voulait pas discuter de la substance de l'âme, Vésale refuse également de porter la discussion dans des domaines philosophiques (cf. livre VII, 1), toutefois il reproche à Galien de ne pas suffisamment détailler la description anatomique et de ne pas donner d'explication physiologique.
×Phrase très complexe dans sa structure que W. F. Richardson and J. B. Carman, On the fabric of the human body VI, San Francisco, Norman Publishing, 2009, p. 183, traduit de manière très libre ; le texte de l'édition de 1555, p. 781, est amputé de la fin de la phrase et constitue une simplification de la pensée.
×On retrouve ici l'importance que donne Vésale aux vaisseaux nourriciers (cf. aussi p. 628), dont la richesse et le nombre seraient favorisés par ces circonvolutions, allant même jusqu'à affirmer plus loin que le cerveau est séparé en deux pour les mêmes impératifs nutritionnels. En cela, lui échappe complètement le rôle du cortex qu'il rapproche décidemment trop de l'intestin, tant dans sa morphologie que dans sa fonction. Il se laisse manifestement emporter par un raisonnement basé sur des analogies morphologiques.