Livre VII
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En effet, quelle que soit la profondeur de la circonvolution, cette couleur que nous avons mentionnée s'observe dans la substance du cerveau [cortex cérébral] sur une distance égale à la profondeur de la circonvolution, comme si cette circonvolution était doublée dans la substance du cerveau [cortex], mais seulement du point de vue de la couleur. Toutes les parties du cerveau [encéphale] qui ne sont pas colorées sont d’un blanc éclatant et brillant à la vue, mais le cervelet a tant de méandres qu'il apparaît aux anatomistes presque entièrement jaunâtre [gris] comme je l’ai dit tout à l’heure. Aussi, quel que soit l'endroit où l'on mette à nu la substance du cerveau ou du cervelet en enlevant la fine membrane qui la maintenait, on découvrira que cette substance est jaunâtre [grise] et pour ainsi dire enduite d’une humeur aqueuse [liquide cérébro-spinal], sans filet veineux[350], même si quelquefois chez ceux qui ont souffert de phrénite [351] avant de mourir, on peut parfaitement observer des points rouges pour ainsi dire couleur de sang dans la substance du cerveau [cortex], mais qui n'ont absolument pas l'aspect de veines.Comment il a été prévu de nourrir la substance du cerveau. Le cerveau n'est nourri par aucun autre vaisseau que par ceux qui l'entourent et qui sont soutenus par la fine membrane[352]. C'est parce qu'il devait être recouvert par ce grand nombre de vaisseaux qu'il devait être divisé en parties aussi nombreuses que celles que nous avons mentionnées ; ces divisions, comme les circonvolutions, sont d'une aide considérable pour soutenir et également supporter la substance molle du cerveau et pour l'empêcher de s'affaisser. Je suis peu convaincu par Galien quand il explique pourquoi le cerveau est divisé en deux parties ou, comme il le dit lui-même, gémellé ; il dit en effet que le cerveau est gémellé pour la même raison que [nous avons deux yeux ou deux testicules] : lorsqu'un œil est blessé ou un testicule coupé, nous nous servons de l’autre ; de même si le ventricule cérébral [latéral] droit était blessé, le gauche pourrait encore s’acquitter de sa fonction[353]. Mais si le raisonnement de Galien peut éventuellement compter dans la recension du nombre de ventricules, il n'est plus du tout valable dans la description de la division du cerveau, puisque dernier est divisé et gémellé seulement au-dessus des ventricules[354]. En effet, le corps que nous appelons calleuxca L,L, fig. 3. et qui montre la continuité des moitiés [hémisphères] du cerveau, se trouve près de la partie la plus élevée des ventricules [latéraux] droit et gauche. Mais il faut maintenant examiner les ventricules cérébraux, et nous attacher à la surface interne du cerveau et à toutes ses parties qui restent à décrire.

Chapitre V. Le corps calleux du cerveau, et la cloison [septum pellucidum] entre les ventricules cérébraux [latéraux] droit et gauche

La troisième figure, aux lettres L, L, montre parfaitement la partie supérieure du corps calleux qui n'est encore nulle part détaché. La quatrième figure, aux lettres I, I, I, montre cette même partie, mais détachée de la substance du cerveau [cortex] sur les côtés. Mais la partie inférieure doit être examinée sur la cinquième figure, à R, R, R, ainsi que le septum sur la même figure à X, X et Y, Y.

Position et dénominations[355] du corps calleux. J'ai rappelé précédemment que toute la substance du cerveau et du cervelet est recouverte à l'extérieur par la fine membrane, et que sa surface en regard de la fine membrane est jaunâtre et pour ainsi dire cendrée. Mais il y a une partie du cerveau [ encéphale]aa L,L, fig. 3. dont on voit la surface externe, car elle n'est pas recouverte par la fine membrane[356] : comme la substance profonde du cerveau, cette surface est d'un blanc éclatant et elle est plus dure que le reste de la substance du cerveau qui se trouve près de la surface[357]. Pour cette raison, les premiers auteurs grecs ont appelé cette partie « calleuse », et je les ai imités dans mon exposé suivi, en appelant constamment cette partie « le corps calleux ». Ensuite plusieurs Grecs l'ont appelée « arche » d'après sa forme, qui est incurvée en forme d'archebb R,R,R, fig. 5. sur sa partie inférieure, et d'après sa fonction, parce qu'elle soutient ; mais je décrirai [ultérieurement] le corps cérébralcc S,T,V, fig. 5 ; A,A,A, fig. 6. qui a été nommé ainsi plus justement par la plupart [des auteurs][358]. Le corps calleux occupe le milieu du cerveau [encéphale], quand vous regardez le côté droit et le côté gauche et le milieu de la base de l'encéphale dans sa partie inférieure[359] et le haut de l'encéphale à son sommet, et il est plus ou moins au milieu aussi en vue frontale et en vue dorsale, car en fait l'extrémité postérieure du corps calleux est un peu plus près de la partie antérieure du cerveau [encéphale] que son extrémité antérieure ne l'est de la partie postérieure[360]. Il apparaît au regard des anatomistes, après que ceux-ci ont légèrement écarté avec leurs mains la moitié droitedd Comme cela a été fait dansr la fig. 3. [hémisphère] du cerveau de la gauche. Lorsque le cerveau a été ainsi séparé, le corps qui les unit apparaît à la vue : c'est le corps calleux, d'un blanc éclatant, longitudinal, mais arqué. À la surface qui devient visible lorsque le cerveau a été ainsi séparé, ce corps apparaît convexe, à peu près de la même manière que le vertex de la tête forme une proéminence au sommet des surfaces frontale, occipitale et latérales de la tête[361], bien que la courbure du corps calleux ne soit pas aussi prononcée que celle du vertex de la tête.Début du corps calleux[362] c'est-à-dire là où il est continu avec le reste de la substance du cerveau. Quand le cerveau a été partagé en deux comme je l'ai dit, la surface supérieure du corps calleux apparaît, parfaitement lisse et unie et cela aussi indique que ce corps est une partie intrinsèque du cerveau et qu'elle provient, non pas de la substance superficielle du cerveau, qui est plus molle et jaunâtre, mais de la substance plus profonde qui est plus dure et blanche[363].Sinus sur les côtés du corps calleux. On observe en effet de chaque côté du corps calleux sur toute sa longueur un sinusee M fig. 3. en creux dans la substance du cerveau comme une ligne très profonde, et vous verrez d'autant mieux ces sinus[364] [sulci ou sillons droit et gauche du corps calleux], tout comme la surface supérieure du corps calleux, que vous écarterez davantage les deux hémisphères cérébraux, comme si vous les tiriez vers le haut et latéralement. Mais la surface interne ou inférieureff ce corps a été replié vers le haut et en arrière ; on le voit à R,R,R. n'apparaît pas au regard des anatomistes avant qu'ils n'aient ouvert les ventricules cérébraux [latéraux] droit et gauche ; cette surface est incurvée sur toute la longueur du corps calleux, tout comme sa surface supérieure est convexe[365], mais elle n'est pas simple. En fait, le long du corps calleux, se trouvent deux surfaces concavesgg une de chaque côté à Y, Y, fig. 5. en forme de quarts de cercle, et au milieu une saillie du corps calleux[366],

×Il est difficile d'interpréter cette allégation de Vésale ne voyant pas de veines au niveau du cortex.
×La phrenitis désignait une inflammation cérébrale ou méningée, accompagnée de fortes fièvres et de délire. Le médecin grec Arétée de Cappadoce (IIe s. après J. C.), en donna une des premières descriptions complètes, avec la manie et la mélancolie, dans Des causes et des signes des maladies aiguës et chroniques (texte traduit par R. T. Laennec, édité et commenté par M. G. Grmek, préfacé par D. Gourevitch, Genève, Droz, 2000). On diagnostique aujourd'hui des encéphalites ou des méningites.
×On relève ici la plus grande des étrangetés des constatations de Vésale. Si l'on a pu supposer (cf. note 347) que Vésale avait « retourné » un encéphale pour en observer la face inférieure (base), soit en conservant intacte l'artère carotide interne (comme sur la treizième figure), soit en la sectionnant (telle qu'il aurait pu le faire sur la quatorzième figure), force est de constater qu'il n'a jamais suivi cette artère, donc sa bifurcation précoce en artères cérébrales antérieure (rejoignant la fissure longitudinale du cerveau) et moyenne (courant dans le sillon latéral). Si tel avait été le cas, il ne se serait pas cantonné à la description de l'artère choroïdienne antérieure pourtant plus petite (cf. p. 610 note 60), préoccupé toujours par la fonction des plexus choroïdes.
×Cf. Galien, De usu partium VIII, 10. La remarque est générale, mais concerne plus particulièrement les ventricules cérébraux, comme Vésale le reconnaît dans la phrase suivante.
×Vésale fait ici peu de cas du caractère globalement symétrique par rapport à un plan sagittal médian de l'organisme (caractère commun aux vertébrés). Bien qu'ayant reconnu une partie droite et une partie gauche au cervelet, il reste convaincu que seul le cerveau (au sens actuel) est divisé en deux par un tel plan, et ce au-dessus des ventricules, donc du corps calleux. Finalement, les dires de Galien (gémellité des organes tels les yeux, les testicules) étaient plus pertinents (De usu partium VIII, 10).
×Le terme latin nomenclatura indique le fait d'énumérer.
×Il s'agit ici de l'arachnoïde.
×Vésale est le premier anatomiste qui ait isolé et décrit cette commissure, sa couleur et sa brillance. Cf. A. Bouchet et M. Bouchet, « Histoire anatomique du corps calleux », Histoire des sciences médicales, 1975-1976, vol. 9 (3), p. 231-244.
×Galien décrit un corps intermédiaire calleux et voûté mais ne le distingue pas du fornix (De anatomicis administrationibus IX, 4, éd. Kühn II, p. 725 et De usu partium VIII, 11). Le fornix sera décrit dans le chapitre VII du livre VII de la Fabrica.
×Autre indice laissant penser que Vésale a observé une vue inférieure de l'encéphale (cf. aussi p. 631 note 347).
×Curieuse formulation pour dire que le corps calleux est légèrement projeté antérieurement. En tout cas cette assertion pourrait laisser penser que Vésale a réalisé une coupe sagittale médiane du cerveau mais ceci n'est pas du tout certain (cf. p. 609 n. 47 ; p. 610 n. 52, 59 ; p. 611 n. 70, ; p. 612 n. 83 ; p. 632 n. 366 ; p. 635 n. 635 n. 409 ; p. 638 n. 462), d'autant qu'aucune figure ne montre une telle coupe alors qu'elle eût été moins sujette aux aléas de la mollesse de l'organe que la vue inférieure, et très instructive.
×Les femmes s'épilaient le haut du front afin de se donner ce front très bombé que l'on retrouve dans les portraits féminins du XVe siècle (citons par exemple le Portrait de Simonette Vesucci de P. di Cosimo, vers 1480).
×Ce terme de « début » indique la partie de ce corps calleux encore distincte des hémisphères, c'est-à-dire non mêlée par ses fibres commissurales à la substance blanche du cerveau.
×Observation pertinente puisque ce corps calleux est constitué uniquement de fibres blanches.
×Il s'agit des sillons calleux, profonds, interposés entre la surface du corps calleux et le gyrus cingulaire. À la lettre M de la troisième planche, p. 608, Vésale note l'extrême difficulté à représenter ces sillons, car ce sont d'étroites fentes.
×Cf. quatrième figure.
×Cette description du corps calleux est très troublante. Le fait que Vésale décrive des surfaces « concaves » laisse entendre qu'il s'intéresse ici à la face ventriculaire de cette commissure et non à sa convexité. Or cette face ne comporte pas de saillie (tuberculum) véritable. La seule hypothèse que l'on puisse faire est qu'il a décrit ainsi l'insertion du septum pellucidum sur cette face, telle une saillie comme elle peut apparaître en effet, s'évasant un peu lorsqu'elle adhère à cette face. Ces « deux surfaces en forme de quarts de cercle » seraient alors les faces droite et gauche de cette insertion en effet arquée dans le sens antéro-postérieur. Là encore Vésale s'est privé d'une coupe sagittale médiane qui aurait étoffé sa description.