Livre VII
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qui forment le plexus ressemblant au chorion, dont aucune partie ne s'étend dans le quatrième ventricule. Mais outre le fait que les ventricules ne sont jamais recouverts par des membranes, celles-ci [si elles avaient existé] auraient empêché la substance du cerveau de transformer en esprit animal la matière apportée aux ventricules, car elles auraient fait obstacle au passage[425] ! En outre, à part les processus de la fine membrane déjà décrits, le ventricule cérébral [latéral] droit, comme le gauche, contient dans sa partie postérieure, à l'endroit où il commence à s'incurver vers le bas, la racine du corpsxx L,M, fig. 4 ; S,T, fig. 5 ; B,C, fig. 6. en forme de voûte ou de tortue [fornix] : je ne fais que le mentionner rapidement ici (afin de ne pas donner l'impression d'avoir oublié quelque chose dans la structure des ventricules)[426] ; en effet le chapitre suivant sera consacré à ce corps individuellement, mais je devrais encore décrire ici la fonction des ventricules.Fonction des ventricules. Or presque tout ce que j'aurais désiré dire et consigner par écrit, je l'ai exposé au début de ce livre, quand j'ai décrit les fonctions du cerveau [encéphale] en général. Aussi, j'ai décidé qu'ici je n'attribuerais aux ventricules aucune autre caractéristique que le fait d'être des cavités et des sinus dans lesquels l'air [est] attiré pendant l'inspiration et où le souffle vital qui leur est transmis depuis le cœur se transforme en esprit animal par la faculté intrinsèque de la substance cérébrale[427] ; par la suite, cet esprit [animal] est distribué par les nerfs aux organes des sens et du mouvement, de sorte qu'au moyen de cet esprit et grâce à leur structure appropriée à leur office, ces organes puissent remplir leur fonction : les muscles sont mus, l'oeil voit, les organes olfactifs sentent, les organes de l'audition perçoivent les sons, la langue distingue les saveurs, et enfin toute partie gagnée par un nerf distingue les impressions tactiles[428]. Donc, j'attribue cette fonction de formation de l'esprit animal sans hésitation aucune aux ventricules, mais je considère qu'aucune explication n'est nécessaire concernant les parties occupées par les facultés de l'âme souveraine dans le cerveau (même si elles sont localisées par ceux qui aujourd'hui aiment être appelés théologiens, croyant qu'il n'y a pas de limite à leur pouvoir)[429]. Même si tous ces contemporains dénient absolument les facultés essentielles de l'âme souveraine aux singes, aux chiens, aux chevaux, aux ovins, aux bovins et aux animaux de ce genre, et attribuent à l'homme seul la faculté de raisonnement, pour ne citer que celle-là, et pour autant que je comprenne [les textes], en quantité égale pour tous les hommes, nous voyons cependant en disséquant que les hommes n'ont aucun sinus [ventricule] de plus que ces animaux[430] : non seulement leur nombre est identique, mais toutes les autres choses [parties du cerveau] sont tout à fait semblables (du moins si on ne tient pas compte de leurs dimensions ni de leur capacité à un tempérament équilibré)[431]. Aussi, eu égard à ces grands hommes, qu'on me permette ici de renoncer à rechercher d'autres fonctions des ventricules et de ne pas mentionner ici l'opinion de Galien qui enseigne dans le troisième livre sur Les dogmes d'Hippocrate et de Platon que le ventricule moyen [c'est-à-dire le troisième] est le plus important, mais que dans l'Utilité des parties [432] c'est le dernier. Glorifions donc Dieu artisan du monde par nos hymnes et remercions-le de nous avoir généreusement accordé l'âme rationnelle que nous avons en commun avec les anges (comme Platon le laissait entendre aussi, en se souvenant de philosophes maltraités[433]), et grâce à laquelle, du moins si la foi est présente, nous jouirons de la félicité éternelle, quand il ne sera plus nécessaire de rechercher le siège et la substance de l'âme par la dissection des corps ou par notre raison enchaînée et entravée par les liens du corps ; en effet Celui qui est la sagesse vraie sera notre précepteur, lorsque nous existerons non plus au moyen d'un corps qui naît et qui meurt, mais dans un corps spirituel absolument semblable au sien[434]. Mais puisque aujourd'hui nous sommes ce que notre faible raison nous affirme que nous sommes, recherchons en fonction de nos moyens le talent du grand artisan du monde dans les autres parties du cerveau[435].

Chapitre VII. Le corps cérébral comparé à une [carapace de] tortue ou à une voûte par ceux qui ont l'expérience des dissections

Les lettres S, T, V de la cinquième figure montrent la région supérieure de ce corps qui est dit Zac et Zachd dans les livres des traducteurs des Arabes ; mais une petite partie de cette région se présente également sur la quatrième figure, aux lettres L, M, et sur la sixième figure aux lettres B, C ; sur cette dernière figure on peut également voir la région inférieure [de ce corps] aux lettres A, A, A.

Le corps construit comme une arche ou comme une carapace de tortue[436] doit être compté comme l'une des parties du cerveau, ou plutôt comme l'une de celles dont nous ne pouvons nier[437] le rôle d'intermédiaire dans la continuité entre la partie droite et la partie gauche du cerveau[438]. C'est donc un corps simple, situé au milieu du cerveau, et commun aux deux moitiés de ce dernier. Il a la même substance, la même longueur et plus ou moins la même fonction que le corps calleuxa.a L,L, fig. 3 ; I,I,I, fig. 4 ; R,R,R, fig. 5. Mais il a une forme et une origine qui lui sont propres[439]. C'est de la région postérieure des ventricules [latéraux] droit et gauche, à l'endroit précis où ils s'infléchissent vers l'avant et vers le bas, qu'un corpsbb L,M, fig. 4 ; S,T, fig. 5 ; B,C, fig. 6. prend naissance, dont la substance est semblable à celle des ventricules cérébraux, mais un peu plus blanche et plus dure que cette dernière. La partiecc S continu avec T dans la fig. 5 ; B,A continu avec A,C dans la fig. 6. de ce corps issue du ventricule [latéral] droit est continue avec celle originaire du ventricule [latéral] gauche, et les deux ensemble forment un large corps qui, dès son origine,

×Cf. p. 622, Brève énumération des fonctions et des parties du cerveau [encéphale].
×Nous rappelons que toutes les parenthèses dans la traduction correspondent à celles du texte latin.
×Le verbe emutatur est au singulier ; lui donner pour sujets les deux noms aer et uitalis spiritus est une erreur grammaticale, mais qui n'a pas été corrigée ni dans les addenda ni dans l'édition de 1555. Soit Vésale considère les deux noms comme synonymes, soit par cette astuce grammaticale, il isole ce qui relève du fait physiologique (l'air inhalé) de la théorie de la transformation de l'esprit vital en esprit animal, ce qui paraît confirmé par le développement qui suit.
×Dans cette phrase extrêmement longue et complexe, Vésale reprend la théorie galénique qui attribue à l'encéphale - ou parfois aux ventricules cérébraux, De usu partium VIII, 10 - la faculté de transformer l'esprit vital en esprit animal, mais il définit en fin de compte l'encéphale sur un plan purement anatomique comme l'origine des nerfs moteurs et sensitifs. On retrouve dans cette idée de « distribution » de l'esprit animal une vision de la fonction centrifuge du cerveau, organe qui rayonne, idée que l'on notait déjà dans sa Brève énumération des fonctions et des parties du cerveau (cf. p. 622 et note 200) et dans l'Explication de sa structure et de sa fonction, quand il associe « la substance du cerveau au feu » (cf. p. 628 et note 296).
×Cette parenthèse (et son contenu) disparaît dans l'édition de 1555.
×Voir aussi p. 624, Le cerveau des bêtes ne diffère pas de celui de l'homme dans la structure, et p. 630, La fissure séparant la partie du cerveau [...] ; les circonvolutions du cerveau. Vésale aborde ici une méthode qui sera fondatrice de l'anatomie moderne : la comparaison. On remarque ici d'ailleurs qu'en parlant « d'animaux de ce genre » il ne cite que des vertébrés. C'est après Edward Tyson (1650-1708) pour les primates, à la fin du XVIIIe avec Georges Cuvier (1769-1832) notamment, qu'apparaîtra « l'anatomie comparée », champ de l'anatomie qui évoluera comme celui de la classification des espèces avec Carl von Linné (1707-1778) et Georges-Louis Leclerc de Buffon (1707-1788). Très vite toutefois, confronté à la différence entre homme et animal, Vésale s'arrête là et remercie Dieu d'avoir accordé à l'homme « l'âme rationnelle ». On sait que cette question de la pensée, spécificité supposée de l'espèce humaine, est toujours remise en question de nos jours à la faveur du comportement animal (cf. É. de Fontenay, Le Silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité, Paris, Fayard, 1999).
×L'expression renvoie à la tradition arabo-latine de Galien et au Canon d'Avicenne, à propos de la notion de complexion dans la médecine et la philosophie médiévales. Les auteurs distinguaient un temperamens ad pondus, complexion parfaitement équilibrée mais rarissime, où les qualités étaient en quantités et en proportions égales, et un temperamens ad iustitiam où les proportions entre les qualités étaient tempérées ou équilibrées, en rapport avec le sujet ou la fonction propre à une partie. Cf. J. Chandelier et A. Robert, « Nature humaine et complexion du corps chez les médecins italiens de la fin du Moyen Âge », Revue de synthèse, 134, 2013, p. 473-510 ; D. Jacquart, « La complexion selon Pietro d'Abano ». Recherches médiévales sur la nature humaine. Essais sur la réflexion médicale (XIIe-XVe s.), Florence, Sismel, ed. del Galluzzo, 2014, p. 373-416.
×Cf. De usu partium VIII, 11. En fait, dans ce passage Galien recherche le passage par lequel les ventricules antérieurs [c'est-à-dire latéraux] transmettent le pneuma ou esprit animal au parencéphale. À ce sujet, il recense plusieurs opinions sans prendre parti.
×Le souvenir de la figure de Socrate s'impose, peut-être aussi celui de sophistes tels Protagoras ou Anaxagoras.
×Cette insertion d'un hymne à la gloire de Dieu surprend. Ch. Singer considère qu'il s'agit d'un éloge conventionnel et hors sujet par lequel Vésale veut se prémunir contre les attaques de théologiens (Vesalius on the human brain, Londres, Oxford University Press, 1952, p. 80). Sans doute, mais on retrouve aussi dans ce passage, peut-être ironique par son emphase, un résumé des conceptions philosophiques de l'âme rationnelle, et plus précisément de la théorie ficinienne de l'immortalité de l'âme exposée dans le traité Theologia platonica de immortalitate animæ (édité à Florence en 1482, à Venise en 1491, éd. critique par R. Marcel, Paris, Les Belles Lettres, 2 tomes, 1964). Sur l'influence de ce philosophe humaniste représentant du néo-platonisme chrétien, cf. P. Laurens,Commentaire sur le Banquet de Platon de Marsile Ficin (éd. et trad.), Paris, Les Belles Lettres, 2002 ; P. Magnard (dir.), Marsile Ficin. Les platonismes à la Renaissance, Paris, Vrin, 2001.
×Simple transition ou justification de la légitimité de la raison humaine - et de la pratique de la dissection - en accord avec les principes de la foi ? Cette dernière phrase du chapitre ne sera pas reprise dans l'édition de 1555.
×Vésale est le premier anatomiste à avoir isolé cette structure. Les noms qu'il lui donne sont variés (fornix, testudo, camera, corpus cameratum) mais ils ont en commun la notion de corps cintré ou voûté. Les emprunts au vocabulaire architectural sont les plus nombreux. Camera est le terme utilisé par Vitruve, De architectura VII, 3. L'humaniste philologue Claude Saumaise (1588-1653) annotera un Commentaire de Solin sur l'Histoire naturelle de Pline, en indiquant que les Anciens ne connaissaient que trois sortes de voûtes : la premiere, fornix, faite en forme de berceau ; la seconde, testudo, en forme de tortue, et nommée chez les Français, cul de four ; et la troisième, concha, faite en forme de coquille (cf. Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique ou Origines de la langue française, article « voûte », éd. consultée : Paris, J. Arnisson, 1694, p. 723). Ambroise Paré coordonnera deux noms (psaloïde- en forme de lyre- et fornix) pour désigner le toit ou la couverture du ventricule moyen, situé sur trois pieds (Anatomie universelle du corps humain, Paris, J. Le Royer, 1561, tome III, p. 137). Parmi les commentateurs modernes, Singer, Vesalius on the human brain, Londres, Oxford University Press, 1952, p. 80, note 58, suggère une comparaison avec la formation d'attaque des soldats romains faisant une voûte au-dessus de leurs têtes avec leurs boucliers ; ibid. note 59, donne le nom d'azaj (Avicenne, Canon, Fen 3, 1) comme origine de ces deux seuls noms arabes (zac et zachd) présents dans ce livre VII en 1543 (ces appellations disparaissent en 1555). La structure a été longtemps appelée trigone cérébral dans la nomenclature anatomique française. Pour l'historique de ces dénominations, cf. L. Swanson, Neuroanatomical Terminology: A lexicon of Classical Origins and Historical Foundations, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 263 à 266.
×Forme rare (inficior pour infitior) mais déjà attestée en latin antique.
×Vésale considère comme réunissant les deux hémisphères toutes les structures médianes qui sont en contact avec eux (cf. aussi p. 629 note 302). Son intuition (cf. p. 633 et note 372) quant à la fonction de commissure du corps calleux est tout aussi juste s'agissant du fornix ; en effet la fonction commissurale du fornix est assurée par les crures fornicis (« jambes ou colonnes ») unissant, par la commissure postérieure de ce fornix, les deux hippocampes droit et gauche ; ces crures fornicis étant décrites plus loin comme « un corps prenant naissance [de] la région postérieure des ventricules » dirigé vers les cornes inférieures (temporales) de ceux-ci. En cela il a bien vu que chaque crus fornicis entre dans la constitution des parois de l'atrium et de la corne inférieure. La commissure postérieure est, elle, décrite dans la phrase suivante par la périphrase « la partie de ce corps […] continue […] » du ventricule droit au gauche. Il en note aussi le caractère très blanc, comme le corps calleux, car en effet il est exclusivement composé de fibres blanches.
×Ce chapitre n'a pas de note marginale externe (sauf celle concernant la fonction du corps voûté) dans l'édition de 1543 ; D. H. Garrison and M. H. Hast en ont inséré en provenance de l'édition de 1555 (The fabric of the human body: an annotated translation of the 1543 and 1555 editions of "De humani corporis fabrica libri septem", Bâle, Karger, 2014). Encore un exemple de manipulation des textes de Vésale qui pourrait induire les lecteurs en erreur, en l'absence de texte latin.