Livre VII
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En expliquant précédemment la nature du cervelet[468], nous avons déjà indiqué la nature de ses processus vermiformes. Nous avons dit qu'une partieaa le R au milieu, fig. 8 ; C, fig. 9. du cervelet [lobe médian] s'étend pour ainsi dire en forme de cercle de l'avant à l'arrière[469], et qu'elle est si plissée de sillons qu'elle montre parfaitement l'image d'un ver naissant dans le bois. Les deux pointes de cette partie, dont l'unebb C,D et H, fig. 11. regarde la partie antérieure[470] du ventricule commun au cervelet et à la moelle spinale, l'autrecc c,d et I, fig. 11. la partie postérieure[471], sont appelées par les anciens Grecs skôlekoeideis [en forme de ver] à cause précisément de la ressemblance que nous avons mentionnée. En effet, ils ne sont rien d'autre que la substance du cervelet saillant en forme de ver (comme je l'ai dit) [vermis cérébelleux]. Je ne comprends pas bien ce qui était venu à l'esprit de Galien, quand il a imaginé qu'un processus vermiformedd K [L] , fig. 8.
e C, fig. 10.
était préposé à l'orifice inférieure du canal [aqueduc du mésencéphale] qui descend du troisième ventricule dans le quatrième, et qu'il a expliqué que sa fonction était simplement celle d'un processus ou d'une pointe. Mais quel processus a-t-il indiqué, le processus antérieur ou le processus postérieur ? Ce n'est pas clair du tout pour moi. En effet, s'il s'agit du premier processus[472], sa pointe ne pourrait absolument pas se diriger vers l'orifice du canal [aqueduc du mésencéphale], puisque ce processus va de l'avant vers l'arrière, : plus exactement, s'il se prolongeait et se dirigeait encore plus vers l'arrière, il occuperait le ventricule commun [quatrième ventricule]ff L,M,N,O dans la fig. 10 avec E dans la fig. 11. au cervelet et à la moelle spinale. Quant au processus postérieur, puisqu'il s'étend de l'arrière vers l'avant, outre le fait que sa pointe est plus insérée dans la substance du sinus du cervelet que le processus antérieur, et qu'il n'est pas aussi saillant, il lui serait impossible d'atteindre l'orifice de ce ventricule commun. Mais à quoi bon rappeler cela ? Personne, je pense, ne peut mettre en doute le fait que le canal [aqueduc du mésencéphale] qui s'étend du troisième ventricule cérébral dans celui qui est considéré comme commun au cervelet et à la moelle spinale [quatrième ventricule] ne doit jamais être fermé, puisque, en dépit de tout ce que nous pourrions imaginer, nous ne trouvons rien qui puisse avoir une fonction d'obstruction : de fait, pour que l'esprit animal puisse s'écouler sans interruption dans la moelle spinale, ce canal doit être continuellement ouvert. Et personne, je pense, sauf s'il a été endoctriné par Albert Thomas, Scott, et les théologiens de cette coterie, ne pourrait être persuadé qu'un des processus vermiformes ait été préposé à ce canal (puisque les deux ne sont pas utiles pour fermer un seul orifice), afin que les phantasmes[473] puissent entrer dans le siège de la mémoire que l'on imagine situé dans le cervelet, être enchaînés dans la prison de la mémoire comme des voleurs en captivité[474], et être renvoyés dans le ventricule du milieu, qui est, dit-on, le siège de la raison. Si cela était, ce serait donc en vain que Dieu, artisan du monde, aurait attribué des processus de ce genre aux chiens, aux ovins et à d'autres animaux semblables, puisqu'il ne leur a été attribuée aucune faculté de raisonnement, d'après ces mêmes gens. Mais d'où, je vous le demande, ce processus aurait-il obtenu un tel mouvement dépendant de sa volonté ? Même s'il fallait attribuer un mouvement spécifique à ce processus en raison de sa substance ou de son tempérament[475], il ne pourrait cependant pas s'allonger et se contracter comme un ver, puisque ces sillons, qui sont la cause des comparaisons entre ces processus et les vers, ne sont pas circulaires comme des gyri de vers ; et ces processus ne peuvent affermir leur extension que parce qu'ils sont continus avec la substance du cervelet sur toute leur longueur. Il me suffit donc pour le moment présent d'avoir indiqué la position et la structure de ces processus : je ne leur attribue aucun autre mouvement ou fonction, pas plus qu'au reste de la substance du cervelet. Mais s'il fallait imaginer quelque chose, je pourrais inventer de manière complètement farfelue une fonction non pas pour un seul processus, comme Galien semble l'avoir reconnu occasionnellement, mais pour les deux processus[476], car le nom est toujours au pluriel chez lui, et je pourrais affirmer avec effronterie que pendant qu'il s'étire et se dirige vers l'arrière, le processus antérieur s'amincit et contribue à agrandir et à ouvrir le début du quatrième ventricule dont il constitue la face supérieure. Je pourrais imaginer de même que le processus postérieur s'avance quelquefois vers l'avant et devient plus fin, et qu'ainsi il ouvre un passagegg O, fig. 10. depuis la partie postérieure du quatrième ventricule qui se termine comme une sorte de canal[477] dans la région de la moelle spinale, dès que celle-ci émerge du crâne. Et je pourrais dire que toutes les fois que les processus deviennent plus fins[478], ils sont préposés à l'ouverture, et qu'à l'inverse, lorsqu'ils se contractent et donc s'élargissent, ils rendent l'ouverture des canaux auxquels ils sont préposés plus étroite. Mais je ne voudrais pas amoindrir l'habileté du Créateur ou en donner une fausse impression par mes propos au risque de détruire tout le reste du chef d'oeuvre qu'est le cerveau. Et je m'étonne donc encore plus que Galien ait appelé « tendons » et pour ainsi dire « chaines et liens »[479] les partieshh entre M,N et X,X, fig. 7. de la fine membrane qui relient le cervelet aux testicules cérébraux, embrassant les deux côtés du processus vermiforme [vermis cérébelleux] pour l'empêcher de glisser sur le côté dans ses mouvements. En effet, ces tendons ou liens de Galien ne sont rien d'autre que des portions de la fine membrane susdite. Il est étonnant aussi que Galien n'ait pas placé au nombre des tendons la partie de la fine membraneii ce serait la partie de E à H. qui relie la partie postérieure du cervelet à la moelle spinale, à l'endroit où ce corps vermiforme se retourne en dedans et en avant vers le quatrième ventricule, puisque cette portion de membrane régit le processus postérieur avec plus de précision que le processus antérieur.

×Il n'y a pas de marginalia externes pour ce chapitre dans l'édition de 1543. D. H. Gast en ajoutent, empruntés à l'édition de 1555 (The fabric of the human body: an annotated translation of the 1543 and 1555 editions of "De humani corporis fabrica libri septem", Bâle, Karger, 2014, p. 1292-1294). Sur ces mutilations du texte, cf. p. 636 note 439 et Introduction au livre VII.
×Il faut comprendre dans cette phrase que le vermis s'inscrit pratiquement dans un cercle, vu sur une coupe sagittale médiane. Ceci ne signifie pas qu'une telle coupe soit nécessaire pour faire ce constat.
×Versant supérieur du toit du quatrième ventricule (lingula du vermis).
×Versant inférieur du toit du quatrième ventricule (nodule du vermis).
×C'est-à-dire la lingula du vermis pour Vésale qu'il considère à juste titre trop inclinée en bas et en arrière pour constituer le toit de l'aqueduc du mésencéphale, mais bien le toit du quatrième ventricule. Sa remarque vaut d'autant plus pour le nodule du vermis (« processus postérieur »), en effet situé trop bas. Cf. p. 631.
×C'est-à-dire aux produits de l'imagination.
×Les images de l'imagination sont captives dans la mémoire comme les voleurs dans une prison.
×Sur la notion de tempérament, cf. Fabrica VII, chapitre 6 (Fonctions des ventricules).
×Si la description reste lacunaire, les légendes H et I de la onzième planche, p. 617, montrent que Vésale a bien isolé la lingula (D et H) et le nodule (d et I) du vermis, auquel il se refuse d'attribuer un rôle mécanique quelconque.
×Il existe entre le nodule du vermis en haut et l'obex en bas (cf. p. 616 et note 413) un espace occupé par la toile choroïdienne inférieure elle-même perforée par l'ouverture médiane du quatrième ventricule (située au dessus de l'obex), seule voie d'évacuation du liquide cérébro-spinal du quatrième ventricule vers la citerne cérébello-médullaire (espace appartenant aux espaces sous-arachnoïdiens où circule ce liquide en périphérie du névraxe). Le « canal » décrit par Vésale ne semble pas correspondre à cette ouverture sans quoi il n'aurait pas manqué de noter qu'il perfore la fine membrane, d'autant que cette pie-mère s'étend plus haut et est à l'origine de fins plexus choroïdes situés sur le toit du quatrième ventricule et s'y étendant latéralement. On peut donc penser que ce « canal » correspond simplement à l'espace exigu situé entre le nodule du vermis en haut et la partie inférieure du plancher du quatrième ventricule en bas (indiquée par Vésale comme « la région de la moelle spinale [émergeant] du crâne »). Pour autant qu'il n'ait pas noté cette ouverture médiane, on trouve toutefois la description d'une fine membrane à la fin de ce chapitre. Celle-ci pourrait certes correspondre au feuillet arachnoïdien qui limite en arrière la citerne cérébello-médullaire mais le fait qu'il la situe« à l'endroit où ce corps vermiforme se retourne en dedans et en avant vers le quatrième ventricule », plaide quand même en faveur de la toile choroïdienne inférieure. Il faut donc admettre qu'il a identifié cette toile, l'a probablement lésée au cours de ses dissections en raison de sa finesse et de ce fait n'en a vu ni l'ouverture médiane ni les plexus choroïdes. La neuvième figure, par sa façon de montrer cette région anatomique, corrobore cette hypothèse.
×Parce qu'ils s'allongent. La comparaison emprunte à la progression d'un ver annelé.
×Galien (De usu partium VIII, 14) évoque des ligaments (ligamenta) que les maîtres en dissection nomment tendons (tendones), attachant l'épiphyse vermiforme (epiphyseos vermicularis) aux fesses du cerveau. Cette épiphyse ( signifiant en grec « extrémité » correspond au processus vermiforme (ou vermis) du cervelet chez Vésale. Ce long passage qui reprend en fait les affirmations de Galien en les présentant comme des suppositions farfelues, montrent une ironie certaine (y compris dans la conclusion qu'il lui emprunte, de ne pas vouloir amoindrir l'habileté du Créateur), et la volonté de revenir à la réalité en décrivant simplement la richesse en trabéculations arachnoïdiennes de cette région.