Livre VII
646

La dix-huitième figure représente en vue latérale l'oeil détaché des paupières, et sorti de son emplacement dans le crâne, avec ses muscles intrinsèques[550] qui sont encore attachés :

ε indique le nerf optique,
ζ,ζ,ζles muscles moteurs de l'oeil,
η,ηla tunique [conjonctive] adhérant à l'oeil,
θle plus grand cercle de l'oeil ou iris, là où la membrane adhérente se termine, en s'attachant très fermement à la tunique de la cornée,
κindique l'aire opposée à la région de la pupille ou du plus petit cercle[551].

La dix-neuvième figure représente l'avant de l'oeil intact, dont seules les paupières ont été enlevées.

ΛIci Λ indique la caroncule [caroncule lacrymale] placée dans le grand angle de la cavité orbitaire,
θ,θ,κindiquent ici les mêmes parties que dans la figure précédente.

Par ailleurs si quelqu'un juge utile de suivre la description de l'oeil depuis ses parties les plus externes, il considérera la dix-neuvième figure comme étant la deuxième dans la succession des figures de l'oeil, la dix-huitième comme la troisième, et ainsi de suite.Emplacement des yeux. En expliquant la formation de la tête dans le premier livre, nous avons décrit l'emplacement des yeux, qui est connu de tous[552] ; dans le deuxième livre, nous avons enseigné leur nombre, leurs muscles moteurs, comme nécessairement aussi la nature des paupières[553].Comment décrire la structure de l'oeil. Mais à présent pour décrire la structure de l'oeil qui a une forme parfaitement arrondie et sphérique[554], on peut l'examiner soit à partir du centre, soit à partir de sa périphérie externe, tout comme si on abordait la structure de l'oeuf, à partir du jaune au blanc, allant ensuite à la fine membrane recouvrant le blanc, et enfin à la coque ou coquille ; ou à partir de la coquille à la fine membrane, au blanc et enfin au jaune[555], de la même manière que nous pourrions décrire les parties de l'univers, ou bien en allant de la terre vers l'eau, puis vers l'air, le feu, le ciel sublunaire et ainsi de suite jusqu'au ciel supralunaire, ou bien à partir de ce ciel jusqu'au centre de l'univers c'est-à-dire la terre[556]. On peut en effet comparer la fabrique de l'oeil à la fois à l'univers et à l'œuf, en ce qui concerne la structure. Pour expliquer cela le plus précisément possible et pour en fixer plus fermement le souvenir, nous allons le décrire d'abord du centre vers la périphérie externe[557], ensuite de celle-ci vers le centre.L'humeur cristalline [cristallin]. Au centre de l'oeil il y a donc une humeuraa A, fig. 1 ; fig. 2 et 3 en entier. que les Grecs appellent crystalloeides [« semblable à du cristal »] comme nous, mais nous disons aussi « humeur semblable à de la glace », à cause de sa ressemblance avec une glace translucide ou un cristal parfaitement pur, non par sa consistance ou sa dureté, mais par sa couleur, ou plutôt par son éclat et sa transparence. En effet, cette humeur est aussi transparente que le cristal le plus pur[558], et si on la retire et qu'on la place comme une vitre sur toutes sortes d'objets, elle les grossit fortement à la manière de certains miroirs[559]. Sa consistance est telle qu'elle ne peut pas couler lorsqu'elle est séparée de l'oeil, mais qu'elle conserve sa forme arrondie, comme de la cire un peu molle[560]. Sa forme n'est pas celle d'une sphère parfaite, mais elle est légèrement comprimée à l'avant et à l'arrière, comme si on avait enlevé une épaisse partie d'une sphère en bois en la sciant le long de deux lignes équidistantes du centre et qu'ensuite on ait recollé les deux moitiés de la sphère[561].

[schéma marginal]

De même, cette humeur est moins convexe à l'avant et à l'arrière que sur sa circonférence, c'est-à-dire sur les côtés, en haut et en bas, et elle a plus ou moins la forme d'une lentille ; c'est de là, je suppose, que vient le terme de phakoeides [« en forme de lentille »] que les Grecs ont également attribué à cette humeur, même si d'autres semblent appeler ainsi je ne sais quelle tunique de l'oeil. Elle a une surface lisse et très glissante.La petite tunique transparente comme une pelure d'oignon [capsule du cristallin], fixée sur la partie antérieure de l'humeur cristalline. Sur toute sa partie antérieure est attachée une petite tuniquebb B, fig. 1 ; toute la fig. 9 ; d, fig. 10. [capsule du cristallin][562] faite comme une très fine pelure d'oignon, du genre de celle que nous trouvons entre les pelures plus épaisses autour de l'oignon : cette tunique est fine et translucide, mais elle est plus dure que ce genre de pelure d'oignon et elle recouvre toute la partie antérieure de l'humeur cristalline (comme je l'ai dit) ; elle n'a aucun contact avec la partie postérieurec,c e, fig. 10. mais elle se termine là où l'humeur cristalline est la plus épaissed,d R, fig. 3. et sa circonférence serait plus grande si nous l'avions représentée recouverte de nombreux cercles ou lignes circulaires équidistants. Il semble que cette tunique n'ait pas reçu de nom particulier, sinon peut-être celui d'arachnoeides [« en forme de toile d'araignée »] que les Grecs lui ont donné d'après sa ressemblance avec une toile d'araignée ; elle lui ressemble en effet par la finesse, mais certainement pas en force ni en dureté. Moi-même, quand je dissèque, je la compare à des pelures d'oignons extrêmement fines et translucides, comme je l'ai déjà dit ; je pourrais aussi la comparer à de la corne, si du moins on pouvait diviser la corne en lamelles aussi fines, transparentes et lisses que cette tunique. Car la substance de cette tunique ne diffère en rien de celle de la corne. Nous pourrions donc décrire cette tunique comme le deuxième corps entrant dans la structure de l'oeil, car elle recouvre seulement l'avant de la partie centrale, c'est-à-dire l'humeur cristalline [cristallin], et elle doit donc être considérée seulement comme une moitié de sphère dans la fabrique de l'oeil.L'humeur vitrée [corps vitré]. En outre, l'arrière de l'humeur cristalline, qui n'est pas recouvert par la petite tunique susdite, est contenu dans une autre humeuree C dans la fig. 1 ; fig. 4, 5, 6 ; a dans la fig. 8. [corps vitré], plus abondante, située comme un hémisphère dans la région postérieure de l'oeil, ressemblant par la couleur ou par la clarté à du verre blanc qui a déjà été refroidi, mais pas aussi claire que l'humeur cristalline ou que le pur cristal. Sa consistance est beaucoup plus molle que celle de l'humeur cristalline, et lorsqu'elle est retirée de l'oeil, elle ne conserve ni sa forme ni ses limites ; elle ne coule pas comme de l'eau, mais sa consistance est celle du verre fondu dans un four

×Pour les modernes, les muscles intrinsèques de l'œil sont ceux responsables de la pupillo-motricité et de l’accommodation. Les muscles oculomoteurs ici montrés sont dits extrinsèques.
×Vésale parle tantôt du « foramen de la pupille » ou de la « pupille » (p. 648).
×Cf. Fabrica I, 5.
×Cf. Fabrica II, 10 et 11.
×Vésale avait eu connaissance de la Margarita philosophica de Gregor Reisch au cours de ses études au Castrense pedagogium de Louvain (cf. Fabrica VII, p. 623 et p. 645 notes 528 et 529). Le livre X, consacré à l'âme sensitive (lib. 9, 2e tract.), est illustré par un schéma de l'oeil détaillant sept tuniques et quatre humeurs, de forme sphérique en accord avec la rotondité de la terre, qui a pu influencer la représentation dans la Fabrica de 1543. L'édition de 1555 ne modifiera pas réellement cette conception, même si l'adverbe exacte n'est pas repris. Aujourd'hui, les représentations du globe oculaire sont préférentiellement faites en coupes (horizontales ou sagittales), permettant de surcroît d'en décrire les diamètres -, le diamètre sagittal ou antéro-postérieur dont les anomalies provoquent l'hypermétropie (diamètre court) ou la myopie (diamètre long). Ambroise Paré décrira la structure pyramidale de l'orbite, son apex tourné vers le nerf optique, Œuvres complètes, livre VI, Paris, G. Buon, p. CLXXXIX-CXCII, en considérant cinq tuniques et trois humeurs.
×La question se pose de savoir si Vésale a forcé cette comparaison de l'oeuf (avec le cristallin central, tel le jaune).
×Définition géocentrique médiévale de l'univers : « le ciel de la lune » constitue le cercle astral le plus rapproché du centre. Voir aussi le traité De caelo dans la tradition aristotélicienne. Nicolas Copernic exposa la théorie héliocentrique de l'univers dans son livre De revolutionibus orbium coelestium publié à Nuremberg en 1543, la même année où parut la Fabrica.
×Vésale décrit donc finalement une cavité interne (comprenant cristallin, corps vitré et humeur aqueuse), la couche visuelle (rétine et nerf optique), une couche vasculaire, dite aussi uvée (comprenant iris, corps ciliaire et choroïde), enfin la couche protectrice (cornée et sclérotique). Comme pour les figures de l'encéphale, les planches consacrées à l'oeil sont souvent plus précises dans les détails que la description littérale.
×Cf. Pline l'Ancien, Naturalis historia XXXVII, 9.
×Vésale décrit ici le phénomène de la loupe grossissante connue depuis la plus haute antiquité (cf. musée archéologique d'Heraklion) qu'il compare au miroir convexe utilisé par les peintres flamands (Van Eyck par exemple) et dont l'usage semble avoir été introduit en Italie par Girolamo Mazzola dit Parmigianino pour son auto-portrait, selon Vasari (cité par V. Stoichita, L'instauration du tableau, Genève, Droz, 1999, p. 289-291). Le texte de la Fabrica de 1555 précise qu'il s'agit de miroirs ou verres grossissants bi-convexes (utrinque extuberantium specillorum) ; selon D. H. Garrison and M. H. Hast, cette précision serait due à la description de la lentille bi-convexe par Girolamo Cardano en rapport avec la camera obscura, dans le De subtilitate, publié à Paris en 1550 (cf. The fabric of the human body: an annotated translation of the 1543 and 1555 editions of "De humani corporis fabrica libri septem", Bâle, Karger, 2014, p. 1306, note 15).
×Molliuscula semble un hapax. L'image est celle d'une goutte de cire.
×Le schéma dans la marge est une aide appréciable pour comprendre l'opération.
×Cf. p. 645 note 542.