Livre VII
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vers le grand cercle de l'oeil ou iris, elle est épaisse et dure (d'où son nom de sklérotès [« épais  »]), aussi opaque que la dure-membrane cérébrale, et absolument pas transparente. Mais dans la partie où se trouve le noir de l'oeil ou l'irisc,c N, fig. 1 ; x et y, fig. 16 et 17. cette tunique s'amincit, devient très lisse et transparente, et elle ressemble à de la corne qui a été divisée en lamelles et qui remplace le verre pour les lampes. Et la partie [cornée] de cette tunique ne ressemble pas seulement à de la corne par sa clarté, qui dépasse même celle de la corne, mais également par sa substance, car elle est aussi dure que la corne. Et de même que l'on peut diviser et raser la corne en lamelles[579], de même ceux qui dissèquent peuvent raser et diviser cette partie de la tunique comme si elle était constituée de plusieurs lamelles ou écailles assemblées les unes avec les autres. Et ceci explique le traitement prescrit par les médecins oculistes, qui consiste à raser cette partie de la tunique chez les vieillards[580]. À cause de cette ressemblance avec la corne, les Grecs la nomment kératoeidès [« qui ressemble à de la corne »] et nous cornée. Cependant beaucoup d'auteurs grecs ont appelé ainsi non seulement cette partie de la dure tunique, mais la tunique tout entière (car elle est particulièrement dure). Mais je pense que personne ne s'étonnera si pour le moment je ne distingue pas la partie transparente [cornée] de la dure tunique du reste qui n'est pas transparent, comme si c'était une autre tunique, puisque ces parties ne présentent pas d'autre différence entre elles que celles que nous venons de mentionner. La surface interne de cette tunique, sur toute l'aire où elle n'est pas transparente comme la corne, recouvre l'uvée sans l'intermédiaire d'une autre substance, et elle lui est attachée au moyen de veines et d'artèresdd u,u, fig. 16. comme nous l'avons dit précédemment[581] ; de la même façon, elle est très fortement attachée en cercle autour du plus grand cercle de l'oeil ou iris. Mais dans l'aire où elle est transparente comme la corne, elle n'est pas en contact avec l'uvée, et tant que l'oeil est sain, elle en est séparée par un espace notable, à l'endroit où l'uvée présente une dépression à l'avant[582].L'humeur vitrée [erreur pour aqueuse][583]. Cet intervalle et tout l'espaceee De B à I, fig. 1. entre la surface antérieure de l'humeur cristalline et la pupille sont remplis par une humeurff O,O, fig. 1 ; toute la fig. 7 et b, fig. 8. qu'il nous reste à décrire et qui est considérée comme une véritable humeur[584]. En effet ceux qui dissèquent et ceux qui traitent les cataractes[585]constatent que cette humeur est plus ou moins aussi liquide[586]que l'eau et aussi transparente qu'elle, d'où vient que les Grecs la nomment hudatoeides [« semblable à de l'eau »] et nous humeur aqueuse.Cependant beaucoup d'auteurs la comparent au blanc d'œuf et la nomment humeur albugineuse, même si je pense que les Grecs n'ont pas comparé cette humeur avec le blanc [d'un œuf], car elle n'en a pas l'épaisseur et qu'elle ressemble beaucoup plus au liquide que nous voyons suer d'oeufs frais entiers posés près d'un feu. Cette humeur soutient la partie de l'uvée qui n'est pas en contact avec la cornée dans un œil sain et elle est enfermée (comme je l'ai dit) dans la partie antérieure et dans la partie postérieure[587]. Lorsqu'elle se trouve dans l'oeil, et qu'elle est arrêtée pour ainsi dire par une limite externe, elle forme comme l'humeur vitrée une demi-sphère[588], dont la partie postérieure, qui est plane, présente une dépression dont la taille correspond à celle de la partie convexe antérieure de l'humeur cristalline. Mais la partie antérieure de l'humeur aqueuse est convexe, en forme de demi-sphère, suivant la forme de l'oeil. La surface externe de la dure tunique est absolument lisse et polie dans toute l'aire où elle est transparente et réellement cornée, mais partout ailleurs elle présente des aspérités et des irrégularités, comme des membranes unies l'une à l'autre finissent par être irritées par leur contact mutuel. En effet, en plus des veinesgg t, fig. 16. et des artères qui parcourent la partie postérieure de la dure membrane[589], s'y insère un musclehh P,P, fig. 1 ; mais il vaut mieux le rechercher sur les figures du chap. 11, livre II. que nous avons nommé le septième muscle moteur des yeux[590] ; ensuite sur les côtés et en haut et en bas de cette surface externe, s'insèrent les fins tendons des muscles que nous avons comptés comme les six premiers muscles moteurs des yeux, puisLa tunique adhérant à l'oeil ou tunique blanche. à l'avant de la dure tunique, s'étendant jusqu'à l'iris ou au plus grand cercle de l'oeil, est attachée la dernière tuniqueii Q, fig. 1 ; η , η , fig. 18. [conjonctive] qu'il nous reste à décrire : on l'appelle tunique adhérente parce qu'elle contient l'oeil et le joint aux parties voisines, et aussi tunique blanche d'après sa couleur. Cette membrane recouvrant seulement la surface antérieure de l'oeil est fine et continue avec celle qui revêt la surface interne des paupières ; elle entre dans le compte des parties de l'oeil, comme les paupières elles-mêmes, du moins si on désire les inclure. Voici donc dans quel ordre les parties de l'oeil se sont succédé : l'humeur cristalline [cristallin]k;k A, fig. 1. la petite tunique transparente comme une très fine pelure d'oignon [capsule du cristallin], attachée sur l'avant de l'humeur cristallinel;l B, fig. 1.
m C, fig. 1.
l'humeur vitrée [corps vitré]m; placée seulement dans la partie postérieure de l'oeil ; la tunique [rétine]nn E, fig. 1. dans laquelle le nerf optique se diffuse et qui ne recouvre que la partie postérieure de l'humeur vitrée ; l'uvéeoo G,H, fig. 1., originaire de la fine membrane du cerveau ; la tunique [corps ciliaire]pp K, fig. 1. ou cercle, de couleur noire, fine comme une toile d'araignée et l'interstice qui se trouve entre l'humeur vitrée et l'humeur aqueuse ; la dure tunique [sclérotique]qq M,N, fig. 1. qui devient transparente comme la corne [cornée] dans la partie antérieure de l'oeil ; l'humeur aqueuser ;r O,O, fig. 1.
s P,P, fig. 1.
les sept muscless moteurs de l'oeil ; la tunique adhérant à l'oeil ou tunique blanche [conjonctive]tt Q, fig. 1., attachée seulement à la partie antérieure de l'oeil ; les paupières, et enfin les veines et les artères. Par ailleurs si quelqu'un veut aborder la structure de l'oeil depuis les parties externes vers l'intérieur, il pourra très facilement renverser l'ordre ci-dessus, ou s'il préfère étudier en les séparant, d'abord les humeurs et puis les tuniques, rien ne l'en empêche. Pour ma part, j'ai suivi l'ordre que je suis habituellement dans les écoles, en commençant par expliquer la structure de l'oeil et en la dessinant au fur et à mesure la plus grande possible, sur un carton, comme j'ai essayé de le faire dans la première figure de l'oeil placée au début de ce chapitre ; ensuite, après la description, je poursuis ma dissection ainsi que je vais l'exposer en son lieu dans le dernier chapitre de ce livre[591].La fonction des parties des yeux. Mais de même que j'ai l'habitude de montrer la fabrique de l'oeil avec un tel soin qu'aucun spectateur n'est déçu dans ses attentes à ce sujet, de même je n'ai rien de plus à dire ici dans l'explication de la fonction de ses parties, parce que je ne pourrais le faire de façon satisfaisante pour moi au sujet de cet organe essentiel de la vision, et que je suis convaincu que je ne pourrais rien ajouter qui soit parfaitement sensé sur cette partie[592].

×Le terme utilisé par Vésale renvoie au vocabulaire technique du cornier qui débitait la corne en lamelles à l'aide d'un rasoir à deux manches. La rasure était encore utilisée au XVIIIe siècle en droguerie et en pharmacie pour désigner une façon d'obtenir de très petits éclats de corne (de cerf) et d'ivoire qu'on faisait ramollir pour des gelées et tisanes. Cf. J. Savary des Brûlons, Dictionnaire universel de commerce, d'histoire naturelle et des arts et métiers, art. « rasure », Genève, Frères Cramer et Claude Philibert,1750, tome III, P-Z, colonne 418. La corne de cerf rapée est également appelée rasure par N. Lemery, Cours de chymie, Paris, Jean-Baptiste Delespine, 1730 (11eéd.), p. 852.
×La première greffe de cornée date de 1905 (Eduard Konrad Zirm, 1863-1944). De nos jours la chirurgie cornéenne est réfractive ou de substitution (lamellaire également ou totale). L'écrivain latin Celse a décrit minutieusement une opération d'abaissement du cristallin en cas de suffusio, De MedicinaVII 14, B à F, W. G. Sencer (ed.), Londres, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1971, p. 348-352, cf. note 585. En 1753, Jacques Daviel présenta son mémoire Sur une nouvelle méthode de guérir la cataracte par l'extraction du cristalin à l'Académie de chirurgie, Mémoires de l'Académie de chirurgie, 1753, tome II, p. 337-354.
×L'espace péri-choroïdien contient en effet des rameaux des artères ciliaires, des veines (vorticineuses) et des nerfs (ciliaires).
×Cf. p. 645 note 546.
×Erreur pour humor aqueus (la correction sera faite en 1555).
×Le terme latin humor désigne effectivement une substance liquide.
×Les suffusions signifient littéralement des « épanchements par-dessous » de liquides organiques (sang, sérosité) hors du vaisseau où ils sont contenus vers les tissus voisins. Celse l'a utilisé pour traduire le terme grec de ὑπόχυσις (« épanchement par-dessous »), De medicina VI, ed. W. G. Spencer, Londres, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1971, t. II, p. 222 ; Spencer, ibid., précise en note que le terme de καταρράκτης (« cataracte ») fut utilisé pour la première fois dans une traduction de l'arabe par Constantin l'Africain.
×Le latin tenuis est attesté dans les textes antiques avec le sens de « liquide, clair» (cf. Ovide, Fastes II, 250 : et tenuem uiuis fontibus adfer aquam / « Et apporte l'eau claire des vives fontaines »). Il semble toutefois que les contemporains de Vésale aient déjà eu besoin d'une explication puisque l'édition de 1555 de la Fabrica, p. 805, glose l'adjectif en lui adjoignant un synonyme fluidus.
×Comprendre : antérieure [et] postérieure à l'iris (appartenant à l'uvée).
×Plus petite que le corps vitré en réalité, cf. p. 645 note 538.
×Erreur pour dure tunique.
×Comme dans l'Epitome, Vésale recense les 4 muscles droits (supérieur, inférieur, médial, latéral), les deux muscles obliques (supérieur, inférieur) et un septième muscle qu'il précise charnu, entourant le nerf optique et inséré sur la sclérotique en avant (cf. J. Vons et S. Velut, A. Vésale. Résumé de ses livres sur la Fabrique du corps humain, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 26, note 37). Il est impossible de savoir avec quelle autre structure intra-orbitaire Vésale a pu confondre un tel muscle.
×Vésale présente comme dernier chapitre celui intitulé Ratio administrandi cerebri (chap. XVIII). Il semble donc que le chapitre sur la vivisection (chapitre XIX) ait été un ajout non prévu au départ.
×Vésale fait preuve ici d'une véritable attitude scientifique.