Livre VII
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Bien sûr, je pourrais très bien dire que l'humeur cristalline [cristallin] est en quelque sorte le principal organe de la vision, et que l'humeur vitrée [corps vitré] est produite pour la nourrir, et que c'est pour cette dernière que les autres parties de l'oeil sont formées, comme Galien l'expose de manière diffuse dans le dixième livre de l'Utilité des parties, et je pourrais même écrire longuement à ce sujet ici ; mais [je ne le ferai pas] parce que je ne suis pas certain de la manière dont se fait la vision et parce que toute la structure de l'oeil dépend de cette manière, et surtout parce que j'ai pensé qu'au sujet des controverses de ce genre entre médecins et philosophes, j'écrirais un jour quelque chose en particulier, l'ouvrage présent ayant atteint sa juste dimension[593].

Chapitre XV. De l'organe de l'audition

J'ai déjà expliqué auparavant dans le premier livre ce qui devait être dit au sujet de la fabrique de l'organe de l'audition, et j'en aurais traité ici si aucune mention n'en avait été faite là. En effet dans le huitième chapitre du premier livre, j'ai considéré la cavité creusée dans le crâne et préparée pour l'organe de l'audition, puis les foramina, les membranes et les osselets de cette cavitéa. a Tout cela est représenté sur la fig. 8, livre I. Dans le seizième chapitre[594] de ce même livre, j'ai examiné la structure des cartilages de l'oreille et des autres parties comme elle se présente et peut être observée attentivement. Car concernant l'audition et la perception du son, je ne peux rien dire ici de plus sûr que ce que je disais, sauf que je doute encore plus aujourd'hui qu'au moment où j'écrivais [ce chapitre], que je suis encore moins satisfait et que je ne peux assez m'étonner que tous écrivent avec une telle prolixité au sujet de l'audition et de ses objets, sans avoir une connaissance, fût-elle très superficielle, de l'organe même. D'où vient qu'il aurait fallu des démonstrations considérables en vue d'une discussion ici[595].

Chapitre XVI. De l'organe du goût

La langue, qui s'adapte exactement à la cavité buccale, est l'organe du goût, de l'avis unanime des médecins et des philosophes. Dans le dix-neuvième chapitre du deuxième livre, j'ai considéré les neuf musclesaa ils sont visibles sur les fig. du chap. 19, livre II. de la langue et la variété de leurs fibres et de leur composition dans la portion de langue visible quand la bouche est ouverte, avant toute dissection, en même temps que les enveloppes de la langue ; dans le troisième livre[596] j'ai également décrit la série de veinesb b petites branches issues de X dans les fig. du chap. 6, livre III.
c c dans les fig. du chap. 12, livre III.
d Y,Y, fig. 2, chap. 2, livre IV.
et d'artèresc qui gagnent[597] la langue, et dans le quatrième livre, je n'ai pas omis [de mentionner] ses nerfs : l'und d'eux [nerf lingual] a été compté comme une portion importante de la plus grande racine de la troisième paire[598] de nerfs, qui est portée à la langue essentiellement en vue du goût, et un autreee petites branches issues de ϖ , fig ; 2, chap. 2, livre IV. comme étant constitué de branches issues de la septième paire[599] de nerfs crâniens et entrelacées dans la langue en vue des muscles[600] ; aussi personne, à mon avis, ne me demandera ici d'entreprendre un long exposé concernant la fabrique de la langue parmi les autres parties [du corps], fabrique qui, pour dire le vrai, m'est moins familière [que d'autres parties du corps], ou de rappeler de manière diffuse les différences et les qualités des saveurs[601].

Chapitre XVII. De l'organe du toucher

Galien dans le premier livre Des lieux affectés. Je pense que j'ai également suffisamment traité de l'organe du toucher au début du quatrième livre, puisque j'ai assuré que chaque nerf qui se distribue dans le corps est pourvu du sens du toucher et que j'ai exposé les buts de la Nature dans la distribution des nerfs en fonction des besoins des différents lieux. Je me suis aussi moqué de l'opinion de ceux qui ont enseigné qu'une petite portion d'un seul et même nerf peut commander la sensation, et une autre le mouvement sans la sensation[602]. Et maintenant que j'ai terminé, le mieux que j'aie pu, la description de toute la fabrique des parties du corps humain, il me reste à écrire en détail la méthode pour disséquer toutes les parties que nous avons examinées dans ce dernier livre. Et au cas où la méthode pour disséquer n'importe quelle autre partie examinée dans les autres livres n'a pas été signalée, [il me reste] à la placer à la fin de ce chapitre, et à proposer enfin quelques mots sur la vivisection.

Chapitre XVIII. Méthode pour procéder à l'examen du cerveau et de tous les organes examinés dans ce dernier livre

Comment préparer une tête pour l'examen du cerveau. À condition que vous ayez déjà abordé les muscles occupant le cou et les nerfs s'échappant de la moelle spinale[603], ainsi que tous les organes du corps au service de la nutrition et de la faculté vitale, je vous conseille maintenant de séparer la tête du reste du corps comme je l’ai expliqué à la fin du livre précédent. En effet, quand la tête aura été enlevée, vous la manipulerez plus commodément et avec moins de peine ; les têtes d'hommes décapités conviennent le mieux à cet usage, surtout quand on peut les obtenir encore fraîches[604], immédiatement après l'exécution, avec l’aide de juges et de préfets de bonne composition. S'il faut en citer un parmi eux, c'est sans conteste cet admirable mécène des savants, ce rare fleuron du très illustre sénat de Venise,

×On regrette que cet ouvrage projeté ne fût pas écrit. La remarque incidente sur la « juste dimension » du présent traité est-elle une pirouette pour clore ou résulte-t-elle d'un accord éditorial avec Oporinus ?
×Il s'agit en fait du 36e chapitre du livre I (la correction est faite dans l'édition de 1555, p. 806).
×Le sens de cette dernière phrase n'est pas clair et sa syntaxe est ambiguë. Les traductions de Richardson et Carman (op. cit., p. 236) et de Garrison et Hast ( op. cit. p.1312) ne sont pas satisfaisantes. Nous sommes en effet dans le domaine de la spéculation philosophique concernant l'audition et la perception des sons, question qui n'a pas été résolue par l'observation au cours de la dissection (dissectio) ; or, Vésale utilise ici le terme de demonstratio, qui n'est pas un synonyme de dissectio : la base de données Pinakes attribue par exemple à J. Chrysostome une Demonstratio de constitutione corporis humani, c'est-à-dire une explication (à propos d'explications physiologiques dans un contexte théologique ou anthropologique, cf. V. Boudon-Millot et B. Pouderon, Les Pères grecs face à la science médicale de leur temps, Paris, éd. Beauchesne, 2005). Dans un contexte médical, A. du Laurens parlera d'explication « par l'anatomie » - demonstratio anatomica - dans Historia anatomica humani corporis, Parisiis, apud M. Orry, 1600, lib. V, quaest. 5, p 204. En outre, l'indicatif imparfait avec un adjectif verbal (ici petendæ erant) est une des possibilités syntaxiques classiques pour exprimer soit ce qui pouvait être fait, n'a pas été fait mais reste possible, soit un irréel du passé (cf. A. Ernout et F. Thomas, Syntaxe latine, Paris, C. Klincksieck, 1964, p. 247-248) : nous traduisons en ce sens, d'autant plus que l'édition de 1555, p. 806, présente une correction avec une tournure étonnamment moins répandue, plus tardive, avec un plus-que-parfait (petendæ fuerant) qui ne peut être qu'un irréel du passé. Ici encore, nous interprétons le passage comme le refus de Vésale de s'engager dans une controverse médico-philosophique.
×Cf. Fabrica III, 6 et 12.
×Erreur de syntaxe ; on attendrait un génitif pluriel venarum arteriarumque, qui est rétabli effectivement dans l'édition de 1555, page 807.
×Nerf trijumeau (V), cf. p. 620 note 166 et J. Vons et S. Velut, A. Vésale. Résumé de ses livres sur la Fabrique du corps humain, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 96, note 201. Le nerf lingual, branche du nerf mandibulaire (V3) assure en réalité l'innervation sensitive des 2/3 antérieur de la langue. Ses rameaux s’épanouissant sous la muqueuse de cet organe, Vésale lui attribue une fonction gustative. Mais ceci n'est pas entièrement faux puisque des fibres de ce nerf véhiculent des informations gustatives avant de rejoindre, via la corde du tympan, le nerf facial (VII bis exactement) qui conduit ces informations jusqu'au tronc cérébral (nucleus solitarius, pars gustatoria).
×Il s'agit forcément des rameaux linguaux du nerf glosso-pharyngien (IX) qui assurent l’innervation sensitive et sensorielle du 1/3 postérieur de la langue. Nous avions vu que Vésale mêle probablement le IX au X (cf. p. 615 note 117), or le septième nerf (si l'on en croit la neuvième figure, légendes N et O) serait bien le XI (nerf accessoire, cf. note 118) qui ne possède aucun rameau lingual. Cela fait partie des points contradictoires limitant parfois la cohérence de l'analyse des descriptions de Vésale. Ajoutons toutefois que la dissection in extenso de ces trois nerfs IX, X et XI – et ce particulièrement au niveau de leur passage à travers le foramen jugulaire – est particulièrement difficile.
×Le texte de la Fabrica de 1555, p. 807, simplifie la syntaxe mais insiste sur la complexité des divisions des nerfs.
×On note encore le refus de Vésale de porter la discussion dans des domaines qui ne relèvent pas de l'anatomie.
×Vésale semble pressentir ici l'existence de la sensibilité proprioceptive informant le système nerveux du degré de tension des tendons, muscles, ligaments et capsules articulaires particulièrement au cours du mouvement.
×Nous ne reprenons pas systématiquement toutes les identifications qui auront été faites auparavant, pour ne pas surcharger le texte. Le plan du livre VII étant suffisamment construit, sauf exception nous prions le lecteur de bien vouloir se reporter aux chapitres précédents pour l'identification et l'explication d'une structure en particulier. Vésale s'adresse ici à ses disciples capables de disséquer et d'enseigner ; plusieurs notes dans les marges internes indiquent dans quel ordre l'anatomiste doit préparer la série de figures illustrant le cours.
×Le caractère frais du cadavre est particulièrement important pour la dissection du cerveau dont le ramollissement est rapide à température ambiante (cf. aussi p. 608 note 42 ; p. 619 n. 158 ; p. 631 n. 347).