Livre VII
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tout comme leur distribution, je vous conseillerais, lorsque vous commencerez cette dissection dans le chien vivant, d'avoir aussi sous la main un chien mort, dans lequel vous auriez appris à reconnaître l'ordre des nerfs courant dans le bras et dans l'avant-bras, pour retrouver ainsi la distribution des nerfs dans certains muscles. Ils se présenteront à peu près ainsi : l'un d'eux correspond au troisième nerf [nerf médian]dd τ, fig. 2 et 3, chap. 11, livre IV et T dans la dernière fig. de ce livre. chez l'homme, qui se porte dans l'avant-bras en suivant la face antérieure de l'articulation du coude, l'autre est le cinquième [nerf cubital ou ulnarien]ee * dans les fig. 2 et 3, chap. 11, livre IV et m dans la dernière fig. qui entre dans l'avant-bras en passant à l'arrière de la tubérosité [épicondyle médial] de l'humérus. On observe aussi des nerfs de ce genre chez le chien, et s'ils ont été ligaturés à un endroit quelconque avant qu'ils n'atteignent l'articulation du coude, le mouvement des muscles qui fléchissent les doigts et le poignet est aboli. Ensuite, si vous ligaturez aussi le nerf que je compte comme le quatrième [nerf radial]ff Φ dans les fig. 2 et 3, chap. 11, livre IV et e dans la dernière fig. chez l'homme, et qui longe l'humérus du côté externe de la tubérosité, le mouvement des muscles qui étendent le poignet et les doigts[697] est également aboli. En prenant les nerfs avec des liens de ce genre, il sera utile de relâcher tantôt l'un, tantôt l'autre, pour observer comment le mouvement musculaire revient. Maintenant, dans l'un des muscles en forme de souris (on en rencontre beaucoup ici dans l'avant-bras)[698], faites une longue incision qui pénètre tout le ventre[699] du muscle, et observez que cette incision ne cause pas la perte de mouvement du muscle. Mais si vous faites une incision transversale dans le ventre [du muscle], vous verrez que le mouvement du muscle est d'autant plus aboli que l'incision est profonde. Et en divisant complètement le ventre du muscle, vous observerez qu'une partie du muscle se contracte vers son insertion, l'autre vers son point d'origine ; mais si vous sectionnez le tendon d'un autre muscle, vous verrez le muscle se rétracter vers son point de départ. De même, si vous l'incisez du côté de sa tête, le muscle se contracte vers son insertion. Mais si vous coupez en même temps son insertion et sa tête, le muscle va se ramasser en direction de son ventre, c'est-à-dire là où il est le plus charnu. En pratiquant ainsi, vous pourrez facilement apprendre le fonctionnement des muscles[700]. Si vous désirez rechercher le fonctionnement d'un nerf ou d'un muscle particulier, vous aborderez ce nerf ou ce muscle d'après la façon de faire que je viens de recommander pour le bras et l'avant-bras. Je n'ai pas besoin de rappeler longuement ici la manière dont on doit lier des chiens ou des animaux de ce genre dans ces opérations, puisque chacun pourra faire cela très correctement, en fonction de son habileté, du moins s'il a été bien formé dans la dissection des corps morts, car sans expérience dans la dissection des morts, toute tentative de vivisection sera vouée à l'échec.Examen de la fonction des nerfs. Donc il ne me reste plus rien à dire concernant la dissection des nerfs et des muscles, sinon quelques remarques que j'ajouterai un peu plus tard au sujet des nerfs récurrents. Pour voir si la force animale[701] est transportée principalement par la substancegg la substance interne du nerf et les deux membranes qui la recouvrent sont visibles à α, β, γ, fig. 17, chap. 14 de ce livre-ci.
h comme dans la table X des muscles où κ a été détaché pour que ζ soit visible.
i chiffre 71, fig. 2 et 3, chap. 11, livre IV et ι, ι dans la dernière fig.
du nerf ou bien par les membranes qui le recouvrent, vous ferez bien d'ôter la peau de la cuisse, de la jambe et du pied, et de libérer le premier muscle moteurh de la cuisse [muscle grand fessier] de ses insertions d'origine, puis de chercher le quatrième nerf [nerf ischiatique]i qui gagne la cuisse ; après avoir retiré les membranes de la substance nerveuse, vous verrez que les orteils et le pied lui-même continuent à se mouvoir, et donc que le nerf même continue à exercer l'office qui lui a été confié.[Examen de la fonction] de la moelle spinale. Mais si quelqu'un avait l'intention d'examiner la fonction de la moelle spinale, et s'il désirait voir comment, en cas de lésion, les parties situées en-dessous de cette lésion perdent la sensibilité et le mouvement[702], il pourrait lier un chien sur une planche ou sur un tronc d'arbre, de façon à voir son dos et sa nuque ; il serait alors possible de couper avec un solide couteau quelques épines vertébrales du rachis jusqu'à dénuder le plus possible la moelle spinale à l'endroit où on envisage de la couper. Rien n'est plus facile alors que de constater la disparition du mouvement et de la sensibilité des parties situées en-dessous de la section.[Examen de la fonction] des veines. Par ailleurs pour rechercher la fonction des veines, la vivisection n'est pas d'un grand secours, puisque la dissection de corps morts nous apprend suffisamment que les veines portent le sang à travers le corps entier et que toute partie dans laquelle une grande veine a été sectionnée lors d'une blessure, n'est plus nourrie.[Examen de la fonction] des artères. La vivisection n'est pas d'un grand secours non plus dans la recherche de la fonction des artères, bien qu'il soit possible de dénuder l'artèrekk Φ dans la fig. du chap. 12, livre III. [fémorale] qui s'avance dans l'aine, de la ligaturer et d'observer que la partie de l'artère située en dessous du lien n'a plus de pulsations[703]. Et de même il est facile d'observer que les artères contiennent naturellement[704] du sang, si nous coupons accidentellement une artère chez des vivants. Pour nous assurer que la force de pulsation n'est pas dans l'artère même, ni que la matière contenue dans les artères n'est pas l'origine[705] des pulsations, mais que cette propriété provient du cœur, outre le fait que nous voyons qu'une artère ligaturée n'a plus de pulsations en-dessous du lien, nous pourrions faire une longue incision dans l'artère inguinale ou fémorale, prendre un petit roseau creux d'un calibre égal à celui de l'artère et l'introduire dans l'incision de façon que l'extrémité supérieure du tube pénètre dans la cavité de l'artère plus haut que l'extrémité supérieure de l'incision et que l'extrémité inférieure du tube descende plus bas que l'extrémité inférieure de l'incision, et enfin nous pourrions mettre un lien autour de l'artère, pour serrer son corps au-dessus du tube[706]. Quand cela est fait, le sang et l'esprit [animal] continuent à se porter par l'artère jusqu'au pied, mais toute la partie de l'artère en-dessous du tube n'a plus de pulsations. Mais lorsque le lien est ôté, la partie de l'artère en-dessous du tube ne pulse pas moins que la partie au-dessus du tube. Nous verrons plus tard combien grande est la force[707] conduite par l'artère du cœur au cerveau, mais pour le moment nous allons examiner avec le plus grand soin la vivisection faite par Galien pour démontrer cela[708] : il conseille en effet de couper tout ce qui relie le cœur au cerveau, mais en omettant constamment les artèresll F dans la fig. du chap. 12, livre III. [vertébrales] qui gagnent la tête par les processus transverses des vertèbres cervicales, et qui transportent ainsi une partie non négligeable de l'esprit vital dans les deux premiers sinusmm P,P et Q,Q, fig. 7 ; S,S et T,T, fig. 9. de la dure membrane [dure-mère] et dans le cerveau lui-même[709] ;

×Notons que Vésale note ici des bras, des doigts etc. tandis qu'il décrit une expérience faite chez le chien, extrapolant donc par anatomie comparée.
×Il s'agit des muscles fusiformes, en forme de fuseau. L'analogie avec le corps d'une souris est amusante, d'autant plus que le terme de musculus même est déjà un terme imagé venant du grec μύς (signifiant rat ou souris).
×Venter ici n'a pas le sens de « cavité » mais désigne la partie la plus charnue ou renflée du muscle. Cf. André Vésale. Résumé de ses livres sur la Fabrique du corps humain, éd. J.Vons et S. Velut, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 119, note 28 : la description dans l’Epitome comporte l’énumération des substances composant le muscle (membranes, chair, nerfs et vaisseaux) ; les différentes parties du muscle sont également notées : la « tête » ou commencement, le « ventre » ou corps, c’est à dire la partie la plus charnue, le tendon (aponeurose) qui le termine.
×Démarche méthodique qui ouvre la voie à une expérimentation systématique et montre ici ce qu'est le tonus musculaire chez le vivant.
×Vis animalis : le pouvoir ou la force de l'esprit animal. La remarque prolonge et précise sur le plan expérimental une observation faite précédemment selon laquelle les nerfs sont des « messagers » transportant l'esprit animal depuis l'encéphale, cf. Fabrica VII, p. 622.
×C'est la notion que les cliniciens nomment le « syndrôme sous lésionnel médullaire ».
×Vésale ne note pas vraiment la différence de flux de la circulation systémique entre celui, laminaire, des veines et celui, pulsatile, des artères, ni n'évoque le sens du flux sanguin dans cette circulation. Il ne note pas non plus la relative différence de couleur du sang charrié par les unes et les autres, même si ce fait dû à l'oxygénation eût été d'interprétation difficile. Concernant la circulation pulmonaire, il parle « d'artère veineuse » pour veine pulmonaire qui charrie du sang riche en oxygène, et de « veine artérieuse » pour artère pulmonaire qui charrie du sang désaturé en oxygène, mais ces termes étaient déjà usuels (cf. Fabrica III, planche p. 312 [= 412]) et aussi note 716).
×Tandis que chez le cadavre les artères en sont moins pourvues que les veines.
×Le terme latin est opifex, littéralement « ce qui fabrique le pouls ».
×La phrase est très longue mais clairement construite, ce qui permet au lecteur de suivre l'enchaînement des étapes de l'expérience, correspondant finalement à un cathétérisme.
×Synonyme pour esprit (il s'agit ici de l'esprit vital).
×Sur les expérimentations animales sur la respiration faites par Galien, cf. A. Debru, « L'expérimentation sur le cerveau et le système nerveux dans l'antiquité », Lettre des neurosciences, 2007, 32, p. 3-8.
×Bien évidemment les artères vertébrales alimentant la circulation dite postérieure de l'encéphale, ne se jettent pas dans les sinus latéraux droits et gauche. Elle traversent bien la dure-mère au niveau du foramen magnum mais pour s'unir et former l'artère basilaire cheminant en avant du pont. Cette assertion de Vésale est donc mystérieuse.