Livre VII
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il n'est donc pas étonnant que dans cette opération le cerveau continue à remplir son office plus longtemps que ne l'estimait Galien. En effet dans cette vivisection, l'animal continue à respirer pendant un très long laps de temps et il fait des mouvements. Mais s'il court et s'il a besoin de beaucoup de souffle, il meurt en peu de temps, bien que le cerveau continue à recevoir la substance de l'esprit animal par ces artères dont j'ai rappelé qu'elles gagnent le crâne à travers les processus transverses des vertèbres cervicales. Par ailleurs, j'ai considéré qu'il fallait traiter sommairement de la vivisection ici, et il n'était pas dans mon intention de rappeler les vivisections de Galien, vantées à bon droit ou pas ; je me contenterai donc de mentionner rapidement ici quelques dissections qui se rattachent à chacun des livres [précédents][710].Examen des fonctions des organes contenus par le péritoine. Et puisque nous voici arrivés au cinquième livre, nous allons entreprendre maintenant une discussion sur les organes de la nutrition, dont les fonctions nous sont peu enseignées dans la dissection des corps morts. Nous voyons en effet que le péritoine est une enveloppe pour tous les organes qui y sont contenus, que l'omentum et le mésentère servent parfaitement au soutien et à la distribution des vaisseaux, que l'estomac traite les aliments et les boissons, et que ceux-ci y sont amenés par l'œsophage. Il n'y a cependant aucune difficulté pour examiner des chiens vivants qui ont pris de la nourriture plus ou moins longtemps auparavant, et d'observer ainsi également la fonction des intestins. Car pour ce qui est de la fonction du foie, de la rate, des reins, ou de la vessie, la vivisection ne nous en apprend guère plus que la dissection des corps morts, sauf dans le cas où on a enlevé volontairement la rate d'un chien vivant, comme je l'ai quelquefois fait en gardant le chien [vivant] quelques jours[711]. De même, j'ai quelquefois enlevé un rein, mais la difficulté pour soigner la blessure est plus grande que le plaisir procuré par la connaissance ainsi acquise ; sauf si l'on exécute ces opérations moins dans le but d'étudier les organes que pour se faire la main et apprendre à recoudre correctement les blessures de l'abdomen ; on peut aussi apprendre cela sur les intestins, pour s'accoutumer à recoudre des intestins blessés et à les remettre dans l'abdomen, s'ils en sont sortis[712]. De même, les luxations et les fractures d'os que nous provoquons quelquefois chez les animaux privés de raison, ou lorsque nous mettons à l'essai la force de certains médicaments, tout cela contribue à exercer la main et à établir un traitement convenable plus qu'à explorer les fonctions des organes.Examen des organes de la génération. En outre, nous observons des vivisections d'organes de la génération presque quotidiennement, dans les traitements des hernies ou chez les animaux qui ont été châtrés ; elles suffisent pour regarder les vaisseaux séminaux et les testicules, sauf dans le cas où on veut aussi y ajouter l'opération par laquelle nous ôtons la substance du testicule de son enveloppe proximale [tunique vaginale] ou lorsque nous coupons la substance du testicule avec cette tunique en la séparant des vaisseaux séminaux.Examen des fœtus. Mais dans les vivisections de fœtus, il vous sera utile d'observer comment le fœtus essaie de respirer dès qu'il est en contact avec l'air ambiant. Une telle dissection se fera le plus opportunément lorsque la chienne ou la truie seront sur le point de mettre bas. En effet, si vous coupez son abdomen jusque dans la cavité péritonéale, et qu'ensuite vous ouvriez l'utérus jusqu'au siège d'un des fœtus et que vous posiez le fœtus sur la table, après avoir détaché son enveloppe externenn F dans la première petite table de la fig. 30 du livre V ; K dans la deuxième, Q, R dans les troisième et quatrième. de l'utérus[713], vous verrez à travers ses tuniques membraneuses transparentes comment il essaie en vain de respirer et comment il meurt par suffocation. Mais si vous percez ses enveloppes et que vous libériez la tête du foetus, vous le verrez en peu de temps revivre pour ainsi dire, et respirer comme il faut. Et lorsque vous aurez fait cette exploration dans un fœtus, examinez-en un autre : ne le sortez pas de l'utérus, mais tournez l'utérus déjà ouvert, de telle sorte que vous puissiez l'ouvrir plus bas, à l'endroit où vous estimez que l'enveloppe du foetus se termine ou là où se trouve sa partie inférieure, de manière à garder intacte la partie de l'utérus attachée à cette enveloppe, mais en découvrant le fœtus sur toute la surface restante[714]. Ainsi vous verrez la pulsation des artères de l'utérus et de la secondine [chorion] : et en soulevant pour ainsi dire le fœtus encore enveloppé de ses membranes, vous verrez le mouvement des artères en direction de l'ombilic en même temps que celui des artères de l'utérus ; [vous verrez] aussi que le fœtus ne respire pas encore et qu'il n'essaie pas de respirer. Mais dès que vous aurez percé les membranes, le fœtus respirera, la pulsation des artères ombilicales cessera alors que les artères de l'utérus continueront à battre[715].Examen de la fonction du cœur et des parties qui sont à son service. Il y a beaucoup d'observations à faire concernant les fonctions du cœur et des poumons, par exemple, observer le mouvement des poumons et [observer] si la trachée prend pour elle une partie de ce que nous aspirons ; ensuite observer la dilatation et la contraction du cœur et [observer] si les pouls du cœur et des artères ont le même rythme, ensuite comment l'artère veineuse[716] se distend et s'affaisse, et comment un animal continue à vivre, quand son cœur a été enlevé[717]. Pour faire ces observations, nous aurions surtout besoin d'un animal doté d'un os de la poitrine [sternum] suffisamment large pour que les membranesoo G,G et I,I, fig. 2, livre VI. divisant le thorax [plèvres] soient nettement écartées l'une de l'autre ; ainsi en faisant une incision le long du sternum, nous pourrions couper entre ces membranes, jusqu'au cœur, sans pénétrer dans la cavité thoracique (qui contient les poumons). Mais puisque une telle disposition ne se rencontre chez aucun animal sauf chez l'homme et le singe sans queue, nous devons donc nous contenter de faire ces incisions chez les chiens, les porcs et les animaux dont nous disposons en abondance, pour essayer de regarder tout ce qui vient d'être dit. Donc, le fait que le poumon accompagne le mouvement du thorax est évident, car si une incision est faite dans un intervalle intercostal quelconque jusque dans la cavité thoracique, la partie du poumon sur le côté lésé s'affaisse, et ne continue plus à se dilater avec le thorax, alors que toute l'autre partie suit le mouvement ; mais cette dernière s'affaissera immédiatement si on essaie aussi de faire une incision de ce côté jusque dans la cavité thoracique[718]. Et même si le thorax continue à se mouvoir un certain temps, l'animal mourra comme s'il suffoquait. Mais dans cette opération il faut veiller à faire l'incision le plus près possible du bord supérieur d'une côte

×Vésale entreprend ici une série de récits exemplaires de vivisections, illustrant la matière décrite dans les livres précédents, en suivant leur ordre (cf. note 691). Il ne s'agit pas d'un défaut de composition de l'ouvrage qui rassemblerait in fine des observations éparses ou qui auraient été oubliées, mais d'un approfondissement proposé à ceux qui possèdent déjà la maîtrise de la dissection des cadavres. Vésale s'adresse à ces disciples et les convie à comprendre et à admirer les phénomènes biologiques caractérisant le vivant, en particulier la respiration. La traduction de H. de Waele, op. cit., p. 87 est ici un contre-sens.
×Il s'agit bien d'une ablation volontaire. La chirurgie splénique courante consistait à cautériser (à « assécher ») l'organe. Des cas de splénectomie partielle effectuée à Padoue sont signalés au siècle suivant par le médecin Vander Linden (1609-1644), qui précise toutefois que les patients n'ont pas survécu, cf. J. A. Vander Linden, Selecta medica ad exercitationes Batavæ, Amsterdam, 1656, p. 269.
×La vivisection est ici justifiée par l'apprentissage du geste chirurgical de réduction des hernies ou lors des traitements des blessures. L'iconographie des traités de chirurgie depuis la fin du XVe siècle est à cet égard instructive, cf. par exemple Hieronymus Brunschwig, Dis ist das Buch der Cirurgia, Strasbourg, J. Grüninger, 1497.
×Dans la description des enveloppes du fœtus dans l'Epitome, Vésale distingue l'enveloppe externe qu'il appelle secondine (émanant en fait de l'enveloppe initiale, le trophoblaste, correspondant au placenta ou au chorion - nom grec du placenta -, et permettant les échanges histologiques avec l'utérus), la poche amniotique où baigne le fœtus, et entre les deux une membrane en forme de saucisse [allantoïde] servant à éliminer l'urine du fœtus. L'ensemble des enveloppes a également reçu le nom de secondines. Une dissection identique sur un cadavre de femme enceinte a été décrite précédemment, cf. Fabrica V, p. 558-559.
×Dans l'édition de 1555 de la Fabrica, p. 821, l'expérimentation est accompagnée d'une description de la substance du placenta, semblable à celle de la rate, et des vaisseaux qui permettent les échanges avec l'utérus (flux inversé).
×Constatation très fine de Vésale qui aborde en fait ici les modifications circulatoires du fœtus se produisant au moment de l'accouchement.
×Il s'agit des veines pulmonaires, en fait au nombre de quatre mais que Vésale nomme « branches de l'artère veineuse » (cf. J. Vons et S. Velut, A. Vésale. Résumé de ses livres sur la Fabrique du corps humain, Paris, Les Belles Lettres, 2008, p. 84), faisant pratiquement du ventricule gauche (où elles se jettent) un large vaisseau.
×Nous avons gardé la tournure orale et la construction très libre des phrases qui introduisent cet examen.
×Par cette simple expérience, Vésale met en évidence le fait que la pression de l'espace pleural est inférieur à la pression athmosphérique, permettant au poumon de rester plaqué contre la paroi thoracique, et expliquant le pneumothorax en cas d'ouverture de la plèvre.