Les Œuvres complètes
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Préface contenant aussi la vie de l’auteur. Les éditeurs au lecteur

Il est incontestable que la médecine, qui a pour objet la santé du corps humain, ne progresse que par la parfaite connaissance des parties qui constituent ce corps. C’est pourquoi on considère l’anatomie comme la partie primordiale de l’ensemble de cette discipline. Les médecins égyptiens, qui étaient d’excellents conseillers, recommandaient autrefois de l’étudier avec le soin le plus minutieux, et ils eurent pour successeurs les Grecs qui suivirent leurs conseils au point qu’ils furent appelés très justement leurs disciples. Auprès des premiers en effet, cet art fut tenu en si grande estime que, d’après les textes, les Rois de cette nation très sage - qui s’intéressaient également à l’art de soigner - disséquaient des cadavres afin de connaître les causes des maladies. Et selon Eusèbe[1], Manethon[2]rappelle que parmi eux le plus fin des esprits fut Athostis[3]qui exerça l’art médical et écrivit des livres d’anatomie. Qui donc serait surpris par le fait qu’Hippocrate, que personne n’égala dans l’art d’appliquer la raison à la discipline des soins, donna en tout lieu de remarquables exemples de sa science ? C’était sans nul doute ce que lui avaient dicté les Égyptiens, qu’il eut pour maîtres, au même titre que l’enseignement reçu au sein de la famille. Si on lit attentivement ses ouvrages de chirurgie ou si on examine ses autres livres, on y verra des preuves éclatantes de son très haut degré de connaissance dans cette partie de la médecine. Pour abréger, sa seule description de la pleurésie à travers des issues variées suffit à prouver son immense habileté à ouvrir des cadavres pour examiner les maladies. Plus tard, que savons-nous exactement de la formation des anatomistes dans l’école d’Alexandrie ? On se souvient seulement d’un homme, Hérophile[4], qui disséqua de sa main trois cents cadavres et qui en outre, dit-on, ouvrit le corps d’hommes vivants, et respirant encore. Il a écrit que les vaisseaux puisant le chyle des intestins ne le conduisent pas à la veine porte, mais à des glandes situées au milieu du mésentère. Un autre, Érasistrate, mérite un éloge égal.

Ah ! Si seulement les découvertes nées de si grands efforts avaient pu diffuser leur éclat jusqu’à nos jours ! Mais hélas ! Excepté ce que Galien nous a transmis deci-delà sous forme de fragments, tout le reste a péri. Certes, Galien nous a laissé une syntaxe[5]de toute l’anatomie, mais ce sont moins ses propres inventions qu’il a transmises et mises en ordre, que les connaissances tirées de ses professeurs et surtout des anciens. Il a cependant rendu à la postérité un service qui lui vaudra une louange immortelle : il a recommandé l’anatomie avant toutes les autres pratiques médicales, lui-même s’y est appliqué avec succès et il a laissé en héritage les écrits préservés des anciens.

×Eusèbe de Césarée ou Eusèbe Pamphile, né vers 265 et mort en 339, évêque de Césarée en Palestine. Élève d'Origène, il échappa aux persécutions de Dioclétien, et fut un proche de l'empereur romain Constantin Iᵉʳ. Il est l'auteur de nombreuses œuvres historiques, apologétiques, bibliques et exégétiques.
×Manethon de Sebennytos, prêtre égyptien, auteur d’une Histoire de l'Égypte en grec, sous le règne de Ptolémée II.
×Atostis, Athostis ou Atoth, deuxième roi de la première dynastie égyptienne, qui selon les sources précédentes, aurait exercé la médecine et écrit sur l’anatomie.
×Cf. von Staden H., Herophilus. The Art of Medicine in Early Alexandria, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.
×J’ai gardé le terme de « syntaxe » dans le sens premier de mise en ordre, structure, charpente, sens confirmé par le verbe digerere (« séparer, répartir, classer »).