L’acte chirurgical n’est pas un acte banal. Un être de chair touche et agresse un autre être de chair de façon immédiate, sans intermédiaire à part le scalpel, du moins pour l’instant, mais cela va bouger.. La main du chirurgien opère un corps malade. Il y a là déjà une particularité qui différencie considérablement l’acte médical et l’acte chirurgical. Surtout il est radical, unique, irréversible.
C’est un acte technique et violent par essence. Il nécessite des qualités particulières : sang-froid, rapidité de décision, courage, audace, prudence, adresse, maîtrise du geste, expérience, sens du risque.
Souvent l’on utilise le mot pour décrire une situation précise : On parle de frappe chirurgicale, d’attitude chirurgicale. On tranche avec précision. C’est efficace, violent et précis. C’est un combat ; il y a une parenté avec la guerre et la chasse.
Cet acte est en pleine mutation. Il va profondément évoluer, surtout avec le développement exponentiel des techniques nouvelles et les nouvelles conceptions venues notamment d’outre atlantique de la nature et de l’évolution humaines.
C’est une agression majeure et une transgression inouïe puisque seul le chirurgien est autorisé par la société à porter atteinte à l’intégrité d’autrui. Ce droit impose un devoir majeur vis a vis de l’opéré. Son but ultime est de bien faire et de faire le bien pour son patient. C’est donc un acte hautement moral et également sacré qui fait couler le sang.
Depuis l’explosion des découvertes technoscientifiques, l’acte chirurgical a acquis un pouvoir prodigieux et donc peut conduire a toutes sortes d’excès, d’autant que la technique en soi est déshumanisante et peut atteindre une autonomie dangereuse.
De surcroît l’objectivation nécessaire, durant l’acte chirurgical, du patient sujet devenant corps objet est un facteur de risque.
À notre époque le chirurgien est confronté à une dure réalité car l’évolution de la société et une certaine logique réductrice et marchande font courir un risque de banalisation, de mécanisation, de désacralisation.. Pourtant Le caractère sacré de l’acte chirurgical n’est pas une vue de l’esprit, car il y a toujours danger, possibilité d’accident et d’échec.
Si, de plus, on ne veut plus simplement restaurer, réparer mais augmenter l’homme comme nous l’enjoint le transhumanisme, la dérive est là. Ce n’est pas la vocation de la médecine et a fortiori de la chirurgie.
De la possibilité de changer tous les organes au remodelage du corps selon les fantasmes les plus fous, de la chirurgie prophylactique à la chirurgie du chromosome, De l’implant cérébral à l’hybridation homme/animal et homme/machine tout pourra être techniquement possible. Il n’y aura plus de limites…
Y a t il des garde fous ? Oui, si ceux qui pratiquent cet art, conscients de leurs lourdes responsabilités, connaissant le risque d’échec de tout acte chirurgical, ne conçoivent celui-ci que pour sa finalité qui est de faire le mieux, dans l’état actuel de l’art, à son patient. Ceci implique la liberté du praticien. Il n’y a d’acte éthique que libre.
Ainsi l’immense pouvoir technique acquis pourra garder toute sa noblesse. Le dangereux processus de banalisation, qui n’est pas que la désacralisation, est dû au sentiment de toute puissance de la technologie, à la réduction du rôle du chirurgien et également à l’élimination du risque.
Le fait qu’il y ait risque c'est-à-dire possibilité d’accident, d’échec aboutissant à l’infirmité voire à la mort ne peut que lutter contre la banalisation. Incertitude du résultat, causalité imprécise…Il y a dans le côté mystérieux et angoissant des suites opératoires quelque chose qui plane, une incertitude un peu tragique, signe d’une certaine finitude. Bien qu’on veuille tout contrôler, il reste toujours un impondérable. Si la technique est le maître, l’homme s’endort. L’incertitude permet l’humilité.
Si le chirurgien n’est qu’un technicien du corps d’autres autorités prendront des décisions que l’on est en droit de craindre.
Mais il n’y a pas que l’évolution dans le temps.
N’oublions pas aussi l’évolution dans l’espace car que de contrastes et d’inégalités. L’accès aux soins chirurgicaux dans une grande partie du monde est plus que problématique et la mortalité est dramatique.
Quelles solutions ? Nous sommes là encore au cœur de l’éthique.