L. 259.  >
À Charles Spon,
le 21 mars 1651

< Monsieur, > [a][1]

Je vous écris derechef pour vous prier de m’excuser si je vous donne tant de peine pour la distribution de mes lettres que je vous adresse. C’est aussi pour vous dire qu’il y a ici une perturbation critique dans l’État : la reine [2] et Messieurs nos princes [3][4][5] sont fort aheurtés l’un contre l’autre ; [1] cette femme veut maintenir son autorité et tâcher de faire revenir le Mazarin, [6] qui est pourtant une chose tout à fait hors d’espérance pour elle, et d’apparence pour tout le monde. Elle a fort désiré que les gardes de la ville fussent ôtées, le duc d’Orléans [7] ne le veut point. Il demande une assemblée d’états généraux [8] à Paris à commencer le 1er de juillet prochain, elle ne le veut point, mais elle en promet une à Tours [9] le mois d’octobre prochain. Le duc d’Orléans lui réplique qu’elle promet une chose qu’elle ne pourra tenir, vu qu’en ce temps-là elle ne sera plus régente, ce qui est vrai ; mais c’est qu’elle espère d’avoir encore beaucoup de crédit auprès du roi son fils dans la majorité, et ce sera alors que nos princes seront obligés de bien prendre leurs mesures pour leur conservation et se défier de la reine si elle a du crédit. [2] Elle demande aussi qu’il fasse cesser les assemblées de la noblesse qui se font ici, jointe avec Messieurs du Clergé. Le duc d’Orléans répond que cela se fera en temps et en lieu, et ne lui en promet aucun contentement. [3] Le Parlement veut avoir la déclaration contre les étrangers et les cardinaux, la reine ne le veut point et empêche que le garde des sceaux [10] ne la délivre. [4] Le premier président [11] du Parlement et sa brigue (qui n’est pourtant point la plus forte) voudraient bien, en faveur de la reine, diminuer le crédit que MM. de Beaufort [12] et le coadjuteur [13] se sont acquis dans l’esprit du duc d’Orléans, afin qu’elle le pût regagner, mais cela n’est presque point à espérer. On dit aussi que le Parlement veut empêcher l’assemblée des états généraux, mais cela se doit entendre du premier président et de sa cabale en faveur de la reine. Le Mazarin a été jusque sur les terres des Liégeois, [14] et puis est revenu à Sedan [15] où il est à présent, y attendant toujours fort impatiemment des nouvelles de la reine avec grand souhait qu’elle pût sortir de Paris ; ce qui n’arrivera point sans beaucoup de difficulté. [5] M. le duc d’Orléans n’est point à se repentir d’avoir laissé aller le Mazarin. Ses créatures subsistent encore dans le Conseil, mais on dit que les princes y donneront ordre bientôt. Le Grand Conseil de la reine est de MM. Le Tellier, [16] de Servien, [17] de Lionne [18] et de M. d’Épernon. [19] M. le maréchal de Villeroy [20] et le garde des sceaux sont suspects à cause du Mazarin, les quatre autres ne le sont point. Voilà où nous en sommes, et à la veille de pis. Dii meliora ! [6] Je vous baise les mains de toute mon affection et suis votre, etc.

De Paris, ce 21e de mars 1651.

La mer, extrêmement grosse vers Amsterdam, [21] y a excité de telles tempêtes [22] qu’elle a été menacée d’une horrible et entière inondation. [23] La reine a donné l’évêché de Glandèves, [24] vaquant par la mort d’un minime[25][26] à un cordelier [27] nommé le P. Faure, [28] et l’évêché de Léon en Basse-Bretagne, [29] à l’abbé Jassin, [30][31][32] qui sont des âmes mazarines. [7] L’archevêque de Reims [33] se meurt. M. l’abbé d’Aumale, [34][35] frère du duc de Nemours, [36] a la survivance[8]


a.

Bulderen, no lvi (tome i, pages 162‑164) ; Reveillé-Parise, no ccxlv (tome ii, pages 70‑72) ; Jestaz no 51 (tome ii, pages 769‑770) d’après Reveillé-Parise

1.

S’aheurter (Furetière) : « se préoccuper fortement d’une opinion dont on ne nous peut détromper. L’homme est si naturellement jaloux de ses sentiments, que quand une fois il s’aheurte à une opinion, on ne le peut guérir de sa préoccupation. »

2.

Les assemblées du Clergé et de la Noblesse, après bien des tractations, avaient fini par s’unir le 15 mars pour demander à la reine de convoquer les états généraux afin de rétablir l’ordre ancien des pouvoirs et de hâter la paix avec l’Espagne ; mais le Parlement s’y opposait car il y craignait à juste titre une perte complète de son influence politique. La reine gagnait du temps en discutant la date et le lieu, souhaitant que ce fût hors de Paris et après la majorité du roi (5 septembre 1651).

3.

Journal de la Fronde (volume i, fos 394 vo et 395 ro, 19 mars 1651) :

« M. le duc d’Orléans chargea le P. Paulin, jésuite, confesseur du roi, {a} de disposer l’esprit de la reine à consentir que les états généraux fussent convoqués devant la majorité du roi afin d’éviter les inconvénients qui pourraient arriver si elle refusait, pour ce que dans ses divisions, si on portait le Parlement à s’y opposer, il y pourrait avoir effusion de sang ; à quoi ce père promit de faire son possible ; mais MM. Servien et Le Tellier ayant conféré là-dessus, envoyèrent ce père au premier président pour lui faire récit du discours de Son Altesse Royale ; laquelle étant allée le soir du même jour au Palais-Royal avec Messieurs les princes pour en parler à la reine, ils la trouvèrent plutôt disposée à se mettre en colère que leur rien accorder ; et Sadite Altesse lui ayant dit qu’elle ne voyait point de moyen pour refuser cette demande à la noblesse, Sa Majesté lui repartit qu’elle ne voulait point la résolution prise par leur propre avis au Conseil ; ce qui obligea M. le Prince de repartir que son avis n’avait point été de remettre la convocation des états généraux au premier octobre, mais bien celui des autres, qui avait prévalu au sien. Son Altesse Royale ayant ajouté que l’assemblée de la noblesse grossissait tous les jours, qu’elle était composée aujourd’hui de 500 personnes et qu’elle le serait demain de 800, Sa Majesté répliqua que quand il y en aurait 2 000, elle n’en ferait rien ; et après quelques autres paroles, s’étant retirée dans son cabinet, sortit là-dessus. En même temps, cette dispute éclata fort et l’on a depuis remarqué tous les jours que les esprits du Parlement se sont partagés là-dessus, et qu’il y en a la plupart dans les sentiments de la reine ; et que M. Coulon, {b} entre autres, l’ayant saluée le 18, présenté par le maréchal de Gramont, elle le reçut fort bien ; et que le même jour elle envoya < ordre > au cardinal Mazarin de sortir de France. Pour ce qui est de la garde que l’on fait aux portes de cette ville, Sa Majesté dit qu’elle ne se soucie point qu’on la fasse ou non parce que si on la faisait cesser par ses ordres, l’on ferait courir des bruits qui donneraient des défiances au peuple qu’elle voulût sortir de Paris avec le roi ; et d’autre côté, Son Altesse Royale a considéré que s’il la faisait lever de son autorité et que le roi vînt après à sortir, on pourrait lui en attribuer la faute. Ainsi la garde continue encore. »


  1. Charles Paulin, v. note [3], lettre 204.

  2. Conseiller au Parlement, v. note [39], lettre 294.

4.

Depuis le début du mois de mars, le Parlement œuvrait sans relâche pour obtenir du roi une déclaration excluant du ministère d’État les cardinaux et les étrangers.

5.

Journal de la Fronde (volume i, fo 397 ro, mars 1651) :

« Le cardinal Mazarin {a} passa le 11 à Clermont, {b} revenant de Nancy accompagné du maréchal de Senneterre ; d’où il alla coucher le lendemain à Sedan où M. Fabert {c} le reçut fort bien, l’ayant fait saluer de 50 volées de canon. Il en sortit le 13 pour s’en aller à Bouillon dans le pays de Liège où l’électeur de Cologne {d} lui a donné retraite. Et afin de se mettre bien dans l’esprit des Espagnols, il leur a déclaré qu’il avait eu intelligence avec Degli Ponti qui lui avait rendu Rethel, {e} ce qui a été cause qu’on l’a mis prisonnier dans la citadelle d’Anvers où l’on lui fait son procès. Cependant, le cardinal Mazarin sera obligé de passer à Cologne parce que M. de Marchin {f} ayant écrit aux États de Liège qu’il n’y avait point de Nation dans l’Europe qui lui pût donner retraite à moins d’attirer en même temps la haine des Français, et que d’ailleurs, il avait été cause de la construction de la citadelle de Liège, qu’ils devaient considérer qu’ils n’avaient point de plus puissants voisins que les Français ni de plus redoutables et qu’ainsi, il était très important de ne les aigrir point. Ils se sont assemblés là-dessus et parce que l’Électeur, leur prince, s’était engagé de lui donner cette retraite, ils ont résolu de le laisser passer seulement et de ne souffrir point qu’il séjourne du tout dans leur pays. » {g}


  1. Après son bref séjour au Havre, mi-février.

  2. Clermont-en-Argonne.

  3. Le marquis Abraham ii de Fabert, maréchal de France, v. note [15], lettre 357.

  4. Maximilien-Henri de Bavière, v. note [15], lettre 244.

  5. V. note [6], lettre 253.

  6. V. note [16], lettre 216.

  7. Mazarin se rendit à Bouillon, qu’il quitta le 30 mars pour Bonn, puis Cologne.

6.

« Puissent les dieux nous ménager des jours meilleurs » (v. note [5], lettre 33).

7.

René Le Clerc, moine de l’Ordre des minimes, avait été nommé évêque de Glandèves (ville proche d’Entrevaux, qui a été rayée de la carte par les crues du Var) en 1627. La reine avait promis sa succession à un certain abbé de Valavoire pour le récompenser d’avoir quitté le parti du comte d’Alais, gouverneur de Provence, afin de rejoindre celui de Mazarin. Ce comte étant fraîchement arrivé à Paris, alla prier M. le Prince de s’opposer à cette nomination et la reine dut se résoudre à attribuer le siège de Glandèves à un autre de ses protégés, le P. François Faure, cordelier (v. note [57], lettre 176).

René de Rieux de Sourdéac avait occupé le siège épiscopal de Léon (aujourd’hui Saint-Pol-de-Léon, Finistère-Nord) depuis 1613, mais avec une longue éclipse de 1635 à 1648 en raison de sa fidélité à Marie de Médicis.

Journal de la Fronde (volume i, fo 394 ro, Paris, 24 mars 1651) :

« La semaine passée, on eut avis de Bretagne que l’évêque de Léon était mort dans son évêché le 8 du courant. Il avait trois abbayes, savoir celle de Relec de 20 000 livres de rente, celle d’Orbais de 4 000 livres et celle de Daoulas de 8 000 livres. M. Le Tellier demanda d’abord la première pour son fils et la reine la lui fit espérer ; mais le lendemain, il fallut la donner à M. de Feuquières pour le récompenser de celle de Beaulieu qui vaut 25 000 livres de rente, laquelle on l’oblige de rendre au prince François de Lorraine. Des deux autres, l’une a été donné à M. Le Tellier et l’autre à M. de Lionne pour leurs fils, quoique M. le duc d’Orléans en eût demandé une pour l’abbé de Bazoches, son aumônier. Quant à l’évêché, il y a deux principaux prétendants, savoir l’abbé de Bois-Dauphin, qui en demandait la coadjutorie depuis longtemps, et l’abbé de Jacinthe. {a} On croit que le premier l’emportera. » {b}


  1. Sic pour Jassin : Cyrus de Villers-la-Faye, dit l’abbé de Jassin, directeur de la Congrégation de Propagation de la foi [Propaganda Fide] en 1644, grand maître de la Chapelle du roi en 1645, devint évêque de Périgueux en 1653.

  2. Henri de Laval de Bois-Dauphin obtint le diocèse le 30 mars et fut sacré à Paris le 27 août (Gallia Christiana).

8.

Léonor d’Étampes de Valençay avait été nommé archevêque de Reims à la fin de 1641 (v. note [20], lettre 63). La présidence de l’Assemblée du Clergé en 1650-1651 fut l’une de ses dernières activités, il mourut à Paris le 18 avril 1651.

L’abbé d’Aumale qui lui succédait était Henri de Savoie (1625-14 janvier 1659), frère cadet de Charles-Amédée, duc de Nemours (v. note [9], lettre 84). Quatrième fils de Henri de Savoie, il avait été normalement destiné à l’Église et devint archevêque de Reims, « sans avoir pris aucuns ordres » (Saint-Simon, Mémoires, tome ii, page 984). L’aîné de ses frères, Louis, était mort en 1641 sans avoir été marié, le second, François-Paul, était mort à huit ans, et le troisième, Charles-Amédée, allait être tué en duel par le duc de Beaufort en 1652. Alors, Henri de Savoie quitta ses fonctions et bénéfices ecclésiastiques pour se marier le 22 mai 1657 à Marie d’Orléans, fille du duc de Longueville. Mort sans descendance, Henri fut le dernier duc de Nemours (Adam).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 21 mars 1651

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0259

(Consulté le 03/05/2024)

Licence Creative Commons "Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.