L. 647.  >
À André Falconet,
le 29 octobre 1660

Monsieur, [a][1]

On dit ici que la reine d’Angleterre [2] partira demain pour s’en aller à Londres avec sa fille. [1][3] On dit qu’elle est fort affligée de ce que le duc d’York, [4] son fils, a eu un enfant et qu’il a épousé la fille du chancelier d’Angleterre. [2][5][6][7] Cette douleur est survenue par-dessus les regrets qu’elle avait de la mort de son troisième fils, le duc de Gloucester. [8] La reine mère [9] a été saignée. Le cardinal Mazarin [10] a été purgé [11] et commence d’user des eaux de Saint-Myon. [12] Dans quelques jours il les quittera, faute de soulagement, et en prendra d’autres. Adaucta tabe[3][13] on le mettra au lait d’ânesse [14] ou de chèvre, [15] et puis enfin au lait de vache, [16] a quo forsan suffocabitur[4] Et voilà comment traitent ici leurs malades ceux qui disent qu’il faut attraper leur argent varietate, novitate, multiplicate remediorum[5] Mazarin a empli la cour de charlatans, [17] il y en aura assez pour abréger ses jours. Les grands sont malheureux en médecins, ils n’ont que des fourbes de cour, des charlatans et flatteurs étoffés d’ignorance.

Gaudeo plurimum quod mutatio loci tibi profuerit[6] Vous trouverez quelque chose de bon in Opusculis Gorræi[18] dans le commentaire des deux thèses. [7] Sur les plaintes du recteur de l’Université de Reims [19][20] en Champagne que pas une des facultés n’y faisait son devoir, la Cour a donné arrêt par lequel elle ordonne une entière réformation d’icelle et a nommé divers députés pour cet effet, desquels je suis un. [8] Le cardinal Mazarin a fort gourmandé Vallot, [21] l’a chassé de sa chambre et lui a défendu d’y rentrer. Il dit qu’il a remis toute son espérance sur Guénault [22] et Esprit ; [23] il leur en dira autant qu’à Vallot dans 15 jours car tous deux ne valent pas mieux. On dit que M. Colbert, [24] son intendant, n’est allé à Rome que pour traiter avec le pape [25] du rétablissement du cardinal de Retz. [9][26] Je vous envoie l’arrêt du recteur de Reims, je pense que cette réformation en attirera d’autres, d’Angers, [27] de Valence, [28] etc. Le cardinal a quitté ses eaux et peius habet[10] M. de Verthamon, [29] maître des requêtes, est mort, c’est celui qui avait donné l’arrêt de surséance pour les chirurgiens ; [30] ces gens-là portent malheur à tout le monde. [11] Leur avocat, M. Pucelle, [31] est mort aussi. Le chirurgien Cressé [32] mourut hier. [12] Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 29e d’octobre 1660.


a.

Bulderen, no ccxii (tome ii, pages 148‑149) ; Reveillé-Parise, no dxli (tome iii, pages 284‑285).

1.

J’ai corrigé « la reine, sa fille » (précédentes éditions) en « sa fille » : Henriette-Anne était la fille de Henriette-Marie, veuve de Charles ier et sœur de Louis xiii ; elle n’était pas reine, mais devint princesse de France en 1661 (sous le nom de Madame), en épousant Monsieur, Philippe d’Orléans.

2.

En 1659, à Breda, le duc d’York (v. note [3], lettre 277), futur roi d’Angleterre sous le nom de Jacques (James) ii (en 1686), frère de Charles ii, avait secrètement épousé Anne Hyde (1637-1671), fille d’Edward Hyde, premier comte de Clarendon, Lord Chancellor de Charles ii en 1658 (v. note [8], lettre 922). Ils s’étaient mariés officiellement à Londres le 3 septembre 1660 et fort peu de temps après, était né leur premier enfant, Charles, duc de Cambridge, qui mourut en 1661. James se remaria en 1673 avec Marie de Modène fille d’Alfonso iv, duc de Modène, et de Laure Martinozzi.

Mlle de Montpensier (Mémoires, deuxième partie, chapitre iv, page 502) :

« Il se fit un mariage en Angleterre assez surprenant : le duc d’York épousa une des filles de la princesse royale, {a} sa sœur, nommée Mlle Hyde, fille du chancelier, qui depuis ce moment-là ne demeura pas longtemps en la considération et dans le crédit qu’il avait sur l’esprit du roi. C’était un des habiles hommes du monde, qui fut le premier à désapprouver la conduite du duc d’York, soit que ce ne fût que par politique ou qu’il y ait eu d’autres raisons. Depuis {b} il fut chassé et a rôdé de ville en ville en France ; il passa même une fois à Eu comme j’y étais, je lui envoyai faire un compliment. La reine d’Angleterre fut fort fâchée de ce mariage ; elle a fort aimé depuis < cette belle-fille >, c’était une femme de beaucoup d’esprit et de mérite qui se faisait considérer de tous ceux qui la connaissaient. »


  1. Une des dames d’atour de Marie, princesse d’Orange.

  2. En 1667.

3.

« À un degré plus avancé de tabès [délabrement, v. note [9], lettre 93] ».

4.

« qui l’étouffera peut-être. »

5.

« par la variété, la nouveauté, la multiplicité des remèdes. »

6.

« Je me réjouis beaucoup que le changement d’air vous ait profité. »

7.

V. note [11], lettre 453, pour les Opuscula iv de Jean iii Des Gorris (Paris, 1660). Les commentaires de deux thèses occupent le début de ce livre qui compte 205 pages.

Les commentaires sont bien plus développés que les textes des thèses, ce sont des Enarrationes locorum [Explications de certains passages] principalement inspirés par la doctrine d’Hippocrate et Galien.

8.

L’Université de Reims, fondée au milieu du xvie s. (v. note [5], lettre 22) avait d’abord fonctionné sur des statuts empruntés à celle de Paris. Elle s’en était tant écartée au fil des ans que, les contestations s’accumulant, le recteur de l’Université de Reims, Thomas Mercier, demanda au Parlement de Paris que « des docteurs de diverses professions fussent nommés pour dresser des statuts à chacune des facultés qui jusque-là n’en ont point d’assurés ». La Cour les avait désignés le 4 septembre 1660 : Guyart, docteur en théologie de Paris, et syndic de sa Faculté ; Davezan, docteur en l’un et l’autre droits et doyen de la Faculté de droit d’Orléans ; Guy Patin, pour la médecine ; Mercier, principal du Collège de La Marche à Paris, bachelier en théologie, représentant la Faculté des arts. Patin eut la charge de rédiger les 50 articles des statuts de la Faculté de médecine ; il les adapta directement de ceux de Paris qu’il connaissait sur le bout des ongles.

Robert Benoit [« Entre rénovation et archaïsme : les statuts de la Faculté de médecine de Reims (24 avril 1662) » Revue historique de droit français et étranger, 1999 ; 77 : 41‑70] les a transcrits, traduits et commentés.

9.

Renvoyant à ce passage de Guy Patin, Simone Bertière (b, page 461) note :

« Louis xiv ne mentait pas en annonçant à Charles ii {a} la reprise des poursuites contre Retz à Rome. Non qu’il cherchât vraiment à engager l’impossible procès, mais il voulait marquer que les spéculations sur le retour en grâce du cardinal étaient vaines. Car le pape, comme tout le monde, croyait qu’une révolution de palais ne manquerait pas de suivre la mort de Mazarin. Les relations étaient fraîches entre la France et le Saint-Siège. Nous n’avions pas d’ambassadeur à Rome depuis le rappel de Lionne en 1656. Alexandre vii avait mal reçu, à l’automne de 1660, la démarche de Colbert qu’on lui avait envoyé pour traiter, non du rétablissement de Retz, comme certains le crurent, mais de son exclusion définitive. Il avait été réticent, se déclarant offensé qu’on lui eût délégué un roturier obscur. »


  1. Roi d’Angleterre.

10.

« et il se porte de moins en moins bien. »

11.

Michel de Verthamon, marquis de Manœuvre, etc., fils de François (v. note [3], lettre 884), fut reçu conseiller au Parlement de Paris en la deuxième des Enquêtes en 1646, puis maître des requêtes en 1651. Il avait épousé en 1654 ou 1655 Marie d’Aligre, quatrième fille d’Étienne (Popoff, no 2448).

12.

Désaccord entre Guy Patin et l’Index funereus chirurgicorum Parisiensium, qui donne le 5 novembre 1661 pour date de la mort du chirurgien Pierre i Cressé (v. note [33], lettre 504).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 29 octobre 1660

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(Consulté le 26/04/2024)

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