Ce 30e de mars. On parle fort de la banqueroute [2] des deux MM. de Varannes, j’entends le vôtre et le nôtre. Ce matin, on a fait le service en nos Écoles pour feu M. Charpentier [3] notre collègue. Sa famille y a assisté, il y avait grand nombre de docteurs. Il n’a laissé qu’une fille qui est fort riche et laquelle y a fait amener ses petits enfants. Tout ce spectacle de deuil m’a fait pitié et m’a fait verser des larmes : c’est grand’pitié que tout notre fait ; toute la vie humaine est pleine de vanité, de misères, de malice ou de sottise ; et qui pis est, l’on n’en est pas quitte pour cela car enfin, Pallida mors intervenit. [1] Messieurs de l’Académie [4] de la langue française ont donné à M. Colbert [5] la place vacante par le décès de M. de Silhon, [6] si bien que les voilà honorés du premier ministre d’État. [2] Je viens d’apprendre que le voyage du roi [7] au Parlement est remis pour après Pâques. [3][8] Tout le monde parle ici du procès de l’Université contre un certain Normand nommé Lizot [9] qui, en vertu des provisions de Rome contre les droits prétendus de L’Université, [10] veut être curé de Saint-Côme. [11] Le procès a déjà occupé sept belles audiences. C’est demain que M. Bignon, [4][12][13] l’avocat général, parlera et que le procès se jugera. Le recteur [14] et les deux prétendus curés ont tous trois ce matin harangué dans la Grand’Chambre. Je souhaite qu’il soit adjugé à celui qui en fera mieux son devoir.
Qu’est devenu M. Delorme, [15] est-il à Moulins [16] ou à Lyon, songe-t-il à se remarier pour la troisième fois, veut-il tout de bon être triumvir ? [5] Théodore de Bèze [17] le fut comme cela à Genève où il est mort l’an 1605. Voici les quatre vers qu’Étienne Pasquier [18] fit sur ce sujet :
Uxores ego tres vario sum tempore nactus,
Cum iuvenis, tum vir factus, et inde senex.
Propter opus prima est validis mihi iuncta sub annis,
Altera propter opes, tertia propter opem.
Solve obolum, habuisti fabulam. [6] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.
De Paris, ce 31e de mars 1667.
1. |
« la pâle mort [Horace, v. note [10], lettre 825] survient. » |
2. |
Jean-Baptiste Colbert, alors au sommet de sa faveur, avait été élu pour occuper le 14e fauteuil de l’Académie française, libéré par la mort de Jean de Silhon (v. note [6], lettre 692). Depuis la réception d’Olivier Patru en 1640 (v. note [5], lettre 597), il était d’usage que chaque élu fît une harangue de réception (Paul Pellisson-Fontanier, Histoire de l’Académie française, Paris, 1743, tome second, pages 175‑176) :
Du passage de l’industrieux Colbert à l’Académie, l’abbé Régnier a noté dans ses Mémoires (ibid. pages 202‑203) :
À sa mort, en 1684, Colbert eut pour successeur Jean de La Fontaine. |
3. |
En 1667, le dimanche de Pâques fut le 10 avril. Louis xiv vint à Paris le 20 avril pour un lit de justice où furent enregistrés plusieurs édits, notamment sur la justice, la réunion à la Couronne de domaines aliénés, et la suppression des grands et petits maîtres des Eaux et Forêts (Levantal). |
4. |
En survivance de son père, Jérôme i (mort en 1656, v. note [12], lettre 164), Jérôme ii Bignon (ou Le Bignon, 1627-1697) avait été reçu avocat général au Parlement de Paris en 1652, puis en exercice de 1656 à 1673 ; il était grand maître de la Bibliothèque du roi, dont son père avait aussi obtenu pour lui la survivance (Popoff, no 616). L’affaire de la cure de Saint-Côme fit grand bruit. Voici, par exemple, ce qu’on en lit dans Les Définitions du droit canon… de François C. Des Maisons, avocat en Parlement (Paris, Charles de Sercy, 1668, in‑4o), pages 175‑176 : « La fondation des bénéfices est ordinairement considérée pour décider la qualité du patronage : {a} s’il est ecclésiastique, ou s’il est laïc ; ce qui fut remarqué dans la cause fameuse qui fut plaidée à la Grand’Chambre l’année dernière, 1667, entre Maître Denis Deffita et Maître Jean Lizot : {b} le premier présenté par l’Université de Paris, prétendant qu’elle soit en patronnage laïc ou, quoi que c’en soit, en patronage mixte ; et l’autre, pourvu en Cour de Rome, sur la résignation qui lui en avait été faite par le dernier titulaire et paisible possesseur ; {c} de manière qu’on peut dire certainement après cet arrêt que lorsqu’elle est en patronage ecclésiastique, il n’y a qu’une personne de cet Ordre qui y puisse nommer ou présenter ; et ainsi du patronage laïc ; ce qui ne me paraît pas inutile d’être rapporté en ce lieu, puisque cette difficulté a causé tant de contestation. » |
5. |
Jeu de mots sur triumvir, « l’un des trois chefs qui [à Rome] gouvernent absolument dans un État » (Furetière), et mari pour la troisième fois. |
6. |
« “ En divers temps, je me suis trouvé trois épouses : comme jeune homme, comme homme mûr, et comme vieillard. La première s’est unie à moi pour le besoin de mes fougueuses années, la seconde pour ses richesses, la troisième pour me servir. ” Acquittez-vous d’une obole car vous avez eu une fable. » Les lettres d’Étienne Pasquier [v. note [16], lettre 151] conseiller et avocat général du roi à Paris . Contenant plusieurs belles matières et discours sur les affaires d’État de France, et touchant les guerres civiles (Paris, Laurent Sonius, 1619, in‑8o), livre xix (tome second, page 486), « À Monsieur Loisel, avocat en la Cour de Parlement de Paris », lettre non datée : « Ce que je vous discourrai présentement vous apprêtera par aventure à rire. Sortant des consultations avec monsieur du Hamel, avocat mien ami, un jeune avocat me fit présent d’un épitaphe fait {a} par Théodore de Bèze en faveur de la fille de sa femme. Et comme je lui eusse demandé si Bèze avait eu des enfants de sa Candide, {b} il me répondit que dès piéça il {c} était convolé en secondes noces avec une honnête veuve pour le soulagement de sa vieillesse, et que c’était la fille d’elle qu’il avait honorée de ce tombeau. {d} Après avoir remercié ce jeune avocat, je m’arrêtai à ce mot de soulagement, qui m’ouvrit l’esprit à une belle invention. Et comme le seigneur du Hamel et moi, mon {e} voisin, retournions en nos maisons, lui m’entretenant par les rues, et moi me gouvernant {f} à part moi, je fis ce quatrain en faveur de celui qui aurait épousé trois femmes. » {g} Bayle, dans sa note (N) sur Bèze, a donné une traduction plus libre de ce quatrain et l’a commenté :
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a. |
Bulderen, no ccccxlv (tome iii, pages 231‑232) ; Reveillé-Parise, no dccxliv (tome iii, pages 643‑644). |