L. 919.  >
À André Falconet,
le 12 août 1667

Monsieur, [a][1]

M. le premier président [2] me retint hier à souper avec mon fils Carolus [3] après qu’on fut sorti de son académie de belle littérature. Il nous a tous deux mis dans ce nombre avec 16 autres honnêtes gens qui composent cette compagnie qui se tiendra tous les lundis depuis cinq heures du soir jusqu’à sept. [1] Hier mon fils aîné, Robert Patin, [4] prit possession de la charge de professeur royal [5] dont je lui ai obtenu la survivance[6] Cela est arrivé de bon augure, car il a célébré par sa harangue son jour natal, étant né le 11e d’août 1629. Je prie Dieu qu’il en jouisse longtemps. [2][7] J’ai fait élever mes enfants avec grand soin et grande dépense, j’espère qu’ils en cueilleront d’agréables fruits. Il est vrai que nous sommes dans des temps assez malheureux où la vertu, dénuée de l’appui de la fortune, ne promet rien d’assuré. Brutus [8] crierait encore aujourd’hui s’il vivait. [3] M. le Dauphin [9] est malade, on fait ici des prières publiques pour sa santé. Ô Seigneur, que le malheur de sa mort n’arrive jamais de nos jours ! J’aimerais mieux mourir que de voir mourir à Compiègne ce petit prince qui est nécessaire à la France et même pour toute l’Europe. On tient ici pour assuré que les eaux lâchées des écluses par les habitants de Dendermonde [10] en ont empêché le siège et que c’est Lille [11] en Flandre [12] qui est aujourd’hui assiégée. [4] Je suis, etc.

De Paris, ce 12e d’août 1667.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no clix (pages 438‑440) ; Bulderen, no cccclvii (tome iii, pages 253‑254) ; Reveillé-Parise, no dcclv (tome iii, pages 659‑660).

1.

V. notes [2], lettre 566, et [4], lettre 914, pour l’académie Lamoignon.

2.

Note manuscrite de Guy Patin sur les chaires du Collège de France (ms Coll. Fr. Montaiglon, page 148) :

« Le jeudi 11e d’août 1667, Robert Patin, mon fils aîné, suo die natali, {a} a pris possession de ma charge de professeur du roi par survivance, en présence de Mgr l’évêque de Coutances, de M. Leschassier, etc., et de plus de six cents personnes. »


  1. « le jour même de son anniversaire » : Robert entrait dans sa 49e année d’âge (v. note [9], lettre 10).

Robert a dédié à son père la publication tardive (Paris, 1663) de son Paranymphus medicus habitus in Scholis Medic. die 28 Iunii, 1648… [Paranymphe médical prononcé de 28 juin 1648…], en le remerciant du fond du cœur de l’avoir généreusement désigné comme successeur de sa chaire au Collège de France (v. note [2], lettre 157).

La survivance qu’il obtenait en 1667 n’était pas une succession, mais une promesse :son père ne démissionnait pas, il allait demeurer professeur royal jusqu’à sa mort (30 mars 1672), survenue après celle de Robert (1er juin 1670). V. notes [29], lettre 372, et [47], lettre 487, pour les circonstances identiques dans lesquelles Patin avait reçu de Jean ii Riolan la survivance de la même chaire en 1654.

Robert professeur royal ! Cette joyeuse annonce surprend par la banalité, voire la médiocrité médicale de son bénéficiaire. Surtout, elle ne disait pas mot du lien qu’elle pouvait avoir avec la rente annuelle de 500 livres tournois que Patin devait péniblement verser à son fils aîné, cette mèche lente qui disloqua tour à tour sa très chère bibliothèque, sa belle maison de Paris, puis tous ses biens, jusqu’à la misère la plus noire (vComment le mariage et la mort de Robert Patin ont causé la ruine de Guy).

3.

Protégé de Jules César, qui l’aimait comme un fils, Brutus en vint à haïr en lui le tyran qui menaçait la République romaine ; il fut l’un des principaux sénateurs qui organisèrent et exécutèrent l’assassinat du dictateur (v. note [3], lettre 540). Guy Patin a dit à André Falconet (lettre du 14 novembre 1664, lettre 798) qu’il aurait pris le parti de Brutus s’il avait vécu au temps de César. Ce qu’il en disait ici peut être très obliquement interprété comme l’aveu d’un père qui comprend l’animosité d’un fils à son encontre.

4.

À mi-chemin entre Gand et Bruxelles, au confluent de la Dendre et de l’Escaut, Dendermonde (Belgique, Termonde en français) était alors une ville forte de Flandre espagnole. Comme cette place était un verrou stratégique de la plus haute importance, le pays d’alentour pouvait au besoin être inondé au moyen d’écluses. La citadelle, construite en 1584, fut assiégée vainement par Louis xiv en 1667 ; il se rabattit sur Lille, dont il commença le siège le 9 août.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, page 517, mardi 16 août) :

« Les nouvelles furent confirmées du siège de Lille, le roi s’étant retiré de devant Dendermonde. L’on considère le siège de Lille comme un grand siège. L’on fait deux lignes de circonvallation et de contrevallation. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 12 août 1667

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0919

(Consulté le 26/04/2024)

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