L. latine 253.  >
À Johann Daniel Horst,
le 20 juillet 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 149 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Daniel Horst, docteur en médecine, à Francfort.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Aujourd’hui, je vous écris avec grand chagrin et non sans larmes, à cause du noble jeune homme que vous m’aviez recommandé, qui est mort d’une fièvre maligne, [2] pour son très grand malheur et par sa propre faute : j’entends M. Pöck, étudiant en droit originaire d’Ulm. [3] En compagnie d’autres camarades, il était parti séjourner à la campagne et se distraire l’esprit dans un château royal que le très illustre M. de Thou [4] appelle Fons Blandus, Fontainebleau en français. [1][5] Y ayant séjourné quelques jours pendant ce voyage, il en est enfin revenu, mais avec une fièvre, qui n’était pas bien importante à ce que j’ai entendu dire ; il a appelé un apothicaire à son chevet, qui lui a présenté certains médicaments et à la fin, deux vomitifs ; sans doute s’agissait-il d’antimoine, poison chimystique dont tant et tant de gens ont misérablement péri. [6][7] Après que ce double poison néfaste eut augmenté la fièvre, et avant que la maladie ne se fût embrasée, il a songé à me faire venir. Je me suis aussitôt présenté ; bientôt après, j’ai trouvé un homme moribond, avec fièvre continue maligne, diarrhée fétide, très vives douleurs de la tête, surprenante inquiétude, insomnie perpétuelle, nausées et extrême oppression du thorax ; des larmes lui coulaient involontairement des yeux, ce qui est un signe mortel dans les maladies aiguës ; ses forces étaient ruinées. Je l’ai prévenu du danger, mais comme désespérant de la vie, et même délirant en quelque sorte, il ne m’a accordé aucune confiance quant à la saignée, dont il avait très puissamment besoin. Le lendemain, en rejetant un tel secours, il m’a dit qu’il préférait mourir que de souffrir la phlébotomie ; [8] quand je lui intimai la nécessité d’être saigné, fondant en larmes, il a souffert qu’un chirurgien lui incise le bras ; mais peu après, il a changé d’avis et, comme en état de frénésie, il n’a pas laissé entrer le chirurgien, et l’a même renvoyé ; quand j’ai su cela, j’ai songé à l’abandonner, mais ne l’ai pourtant pas fait. Je suis retourné le voir le lendemain et toutes les menaces que je lui avais clamées se sont réalisées, avec aggravation de tous les symptômes ; la mort s’est ensuivie, dont je suis profondément affligé. [2][9] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce vendredi 20e de juillet 1663.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Daniel Horst, ms BIU Santé no 2007, fo 149 ro.

1.

Fons blandus [Fontaine charmante] est une des étymologies débattues de Fontainebleau (v. note [14], lettre 12), mais sans avoir trouvé dans quelle partie de son Histoire universelle Jacques-Auguste i de Thou l’a proposée.

V. note [1], lettre latine 247, pour l’infortuné Pöck (ou Pökius).

2.

Les symptômes de cette fièvre évoquent une rougeole maligne en phase pré-éruptive : larmoiement (catarrhe oculo-nasal), diarrhée, gêne respiratoire (pneumonie), céphalée et obnubilation (méningo-encéphalite), période de contagion (avec atteinte contemporaine du roi, de la reine, de l’ambassadeur du Danemark et de sa fille, v. note [6], lettre latine 252).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 149 ro.

Cl. viro Io. Dan. Horstio, Medicinæ Doctori, Francofurtum.

Hodie non sine lacrymis et in magno dolore ad Te scribo, Vir Cl.
propter nobilem adolescentem à Te antehac mihi commendatum, qui pessimo
suo fato et propria culpa perijt ex febre maligna : Dominum Pöck intelligo, Iuris
studiosum Ulmensem. Rusticationis et recreandi animi gratia cum alijs socijs profectus erat
in Arcem quandam regiam quæ vocatur ab Illustriss. Thuano, Fons Blaudus :
Gallicè Fontainebleau : in qua peregrinatione per aliquot dies hæsit : unde tamen
reversus est, sed cum febre, ut audio non ita luculenta : vocavit ad se pharmaco-
pæam, à quo porrecta sunt illi quædam medicamenta : et tandem duo vomitoria : haud
dubiè stibium fuit, Chymisticum venenum, à quo tot et tanti miserè perierunt :
à duplici isto deleterio pharmaco quum fuisset adaucta febris, et prior morbus
supra modum incanduisset, de me accersendo cogitavit : et cui statim adfui : mox
deprehendi hominem moribundum, ex febre continua maligna, cum fœdo
alvi profluvio, intensissimo capitis dolore, anxietate mira, jugib. vigilijs, cum
nausea, et summa partium thoracicarum oppressione : lacrymæ illi fluebant ex
oculis involuntariæ, quod est in acutis mortiferum : vires etiam prostratæ :
monui eum de periculo, sed quasi de vita desperans, imò et quodammodo delirans,
nullam mihi fidem adhibuit super venæ sectione, qua potissimum indigebat :
sequenti die tale auxilium planè respuendo, dixit se malle mori quàm pati
venæ sectionem :
dum monerem eum de necessitate mittendi sanguinis, totus in lacry-
mas solutus, passus est sibi brachium à Chirurgo obligari : sed mox mutavit sen-
tentiam, et quasi phreneticus, Chirurgum non admisit, imò dimisit : quib.à
me perspectis, de eo deserendo cogitavi, nec tamen deserui ; sequenti enim die ad eum reversus
sum : sed omnia mihi conclamata apparuerunt, ex adaucta omnibus symptomatis : indeq.
mors intervenit : ex quo fortiter doleo. Vale, Vir Cl. et me ama. Parisijs, die
Veneris, 20. Iulij, 1663.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Daniel Horst, le 20 juillet 1663

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(Consulté le 03/05/2024)

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