L. latine 346.  >
À Heinrich Meibomius,
le 1er avril 1665

[Ms BIU Santé no 2007, fo 187 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Heinrich Meibomius, à Helmstedt.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu hier matin avec grande joie votre fort agréable lettre ; avec votre permission, j’y répondrai en quelques lignes. J’attendrai patiemment le paquet que vous avez envoyé pour moi à notre ami Scheffer de Francfort, [2] et vous écrirai aussitôt que je l’aurai reçu. Vous m’aurez lié à vous par un immense bienfait si vous avez pris soin d’y mettre les opuscules que votre imprimeur a publiés, dont je vous avais envoyé la liste. [1][3] Après que je les aurai reçus, je veillerai à vous payer chacun de ceux que vous avez expédiés à Scheffer ; si vous voulez bien, comme je vous l’ai écrit, vous enverrez les autres à Hambourg, chez Louis Héron, qui vous remboursera aussitôt ce qu’ils vous auront coûté. [2][4] Nous ne nous querellerons jamais sur le prix, si du moins le défraiement sans délai de vos dépenses vous agrée. Tout ce que vous écrivez au sujet de Schefferus, natif de Strasbourg, me plaît beaucoup ; [3][5][6] dès que cela se vendra ici, je l’achèterai aussitôt et tirerai sans doute grand profit de sa lecture. Je connais fort bien ce Loccenius, par les ouvrages qu’il a publiés. [4][7] Je ne veux pas m’échauffer la bile sur le Pétrone qui a été publié l’an passé à Padoue, mais sous pseudonyme ; [8] [Ms BIU Santé no 2007, fo 188 ro | LAT | IMG] on le trouve même ici depuis quelques mois, mais j’ai du mal à y sentir son esprit : ce fragment est, dit-on, de Pétrone, mais je le nie farouchement ; je soupçonne, pour ne pas dire que je préfère croire, que cet opuscule est l’ouvrage de quelque moine oisif et d’un petit singe pétronisant ; longe enim et aliter olent catuli quam sues[5][9] Quoi qu’il en soit, un tel écrit a bien pu sortir de quelque lupanar, et jamais je ne me persuaderai de bon cœur ni ne croirai naïvement qu’un fragment si insipide appartienne à Pétrone, lui qui fut l’Arbitre des voluptés privées du fameux Trimalcion ; [10] lequel ne fut, je pense, personne d’autre que l’infâme disciple de l’incomparable Sénèque, [11][12] Cujus ad exitium non debuit una parari simia, non serpens unus, non culeus unus ; [6][13] vous savez ce que je veux dire et comprenez parfaitement ce que j’entends. Ce fils d’Agrippine [14] fut un monstre d’homme qui Romæ olim exercuit histrionam, auriga, incendiarius, matris et præceptoris carnifex, etc. [7][15][16] Anne d’Autriche décline de jour en jour, les remèdes du prêtre sont inefficaces contre son cancer, [17][18] dont, je pense, on ne peut rien attendre d’autre que la consomption. [19] Dieu fasse que votre traité de Cervisia paraisse enfin au jour sous de bons auspices. [8][20][21] Nous vivons dans un siècle novateur et bien trop avide de découvertes, et ce contre la volonté divine : voilà pourquoi on nous présente quantité de fictions, on nous les impose même contre notre gré ; j’y mets ce que vous écrivez de cette Chirurgia infusioria de Johann Daniel Major, médecin des épidémies à Hambourg, car il fait de fausses promesses et professe l’impossible ; voilà bien les sornettes et les délires d’un siècle moribond. [9][22][23] Je saluerai ici tous vos amis et en retour, vous me recommanderez bien aux très distingués Conring [24] et Tappius, [25] et aux autres qui m’honorent de leur bienveillance. Vale, très éminent Monsieur, et aimez celui qui vous salue avec tous les siens.

De Paris, le 1er d’avril 1665.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon manuscrit d’une lettre que Guy Patin a dictée (sauf la suscription, les deux premières lignes, la signature et quelques corrections qui sont autographes) à l’intention de Heinrich Meibomius, ms BIU Santé no 2007, fos 187 vo‑188 ro.

1.

Dans sa lettre des 31 juillet et 31 août 1664 (v. sa note [2]), Guy Patin avait prié Heinrich Meibomius de lui commander de nombreux opuscules qu’il avait repérés dans le catalogue d’Henning Müller, libraire-imprimeur académique d’Helmstedt ; il lui en avait joint la liste (dont la copie n’est pas conservée dans le ms BIU Santé no 2007).

2.

V. note [5], lettre latine 311, pour Louis Héron et pour les requêtes de Guy Patin sur les méticuleuses précautions à prendre pour emballer les précieux ouvrages qu’on lui expédiait de Hambourg par bateau.

3.

V. note [1], lettre latine 342, pour la Philosophia Italica [Philosophie italique (ou pythagoricienne)] de Johannes Schefferus (Uppsala, 1664), que Guy Patin attendait.

Du même auteur, avaient aussi paru depuis peu les Κλ. Αιλιανου Ποικιλης Ιστοριας βιβλια. ιδ. Cl. Æliani Variæ Historiæ libri xiv. Cum notis Joannis Schefferi Argentoratensis. Editio secunda, priori auctior multo, ac emendatior [Quatorze livres de l’Histoire variée de Claude Élien (v. note [2], lettre 618). Avec les notes de Johannes Schefferus natif de Strasbourg. Seconde édition, fort augmentée et mieux corrigée que la première (1647)] (Strasbourg, Friedrich Spoor 1662, in‑12, texte grec et latin).

4.

Johannes Loccenius (Johan Locken ; Itzehoe, Holstein 1598-Uppsala 1677) est un juriste et historien germano-suédois. Depuis 1647, il était professor Skytteanskus, c’est-à-dire titulaire de la prestigieuse (et toujours active) chaire de politique et d’éloquence que Johan Skytte (diplomate et homme d’État suédois, 1577-1645) avait fondée à Uppsala en 1622. Les livres que Loccenius a publiés traitent d’histoire scandinave et de droit civil, romain et suédois.

5.

« car les chiens et les porcs n’ont pas du tout la même odeur » (Plaute, v. note [8], lettre latine 341).

V. note [11], lettre 792, pour les deux éditions (anonymes et non pseudonymes) du Satyricon de Pétrone avec le fragment que Pierre Petit avait mis au jour, parues en 1664 à Padoue, puis à Paris par Jacques Mentel.

6.

« Pour le détruire, on a dû préparer plus d’un singe, d’un seul serpent, et d’un sac de cuir » : vers de Juvénal qui visent explicitement l’empereur Néron (v. note [50], lettre 286).

Dans le Satyricon, Trimalcion, esclave affranchi, représente le modèle du nouveau riche et du cuistre dont les fastes ne parviennent pas à dissimuler la vulgarité. Fortunata, son épouse, est une ancienne prostituée qui s’y connaît en mœurs de lupanar (v. note [7], lettre 580). Guy Patin fait ici de Trimalcion la caricature du disciple de Sénèque, c’est-à-dire de l’empereur Néron, qui eut le Philosophe pour précepteur et Pétrone pour courtisan favori (v. note [14], lettre 41).

7.

« qui, jadis à Rome, fut tour à tour histrion, aurige, incendiaire, bourreau de sa mère et de son précepteur, etc. » : imitation de Tacite (v. note [16], lettre 564).

Suétone (Vies des douze Césars, Néron, livre vi, chapitre liii) a parlé de Néron aurige (conducteur de char), passionné par les jeux du cirque :

Destinaverat etiam, quia Apollinem cantu, Solem aurigando æquiparere existimaretur, imitari Herculis facta ; præparatumque leonem aiunt, quam vel clava vel brachiorum nexibus in amphitheatri harena spectante populo nudus elideret.

[Voyant qu’on le comparait à Apollon pour le chant, et au soleil pour l’art de conduire un char, il voulut imiter aussi les exploits d’Hercule. On avait même, dit-on, préparé le lion qu’il devait combattre nu, en présence du peuple, sur le sable du cirque, et assommer de sa massue ou étouffer de ses bras].

8.

V. notes :

9.

La D. Joh. Danielis Majoris, h.t. Medici Hamburgensis, Prodromus inventæ à se Chirurgiæ infusoriæ, sive, quo pacto Agonizantes quidam, pro Deploratis habiti, servari aliquandiu possint infuso in venam sectam liquore peculiari [Introduction de Johann Daniel Major, {a} à présent médecin de Hambourg, à la Chirurgie d’infusion qu’il a inventée, {b} ou comment certains agonisants, en état désespéré, pourraient être maintenus assez longtemps en vie en injectant une liqueur particulière dans une veine coupée] (Leipzig, Johannes Wittigau, 1664, in‑8o) présente une technique pour injecter, à l’aide d’un petit tube d’or ou d’argent et d’une poire, un liquide dans une veine entre deux garrots placés au-dessus et au-dessous du point de ponction. Major décrit ainsi la mixture qu’il a administrée à des patients atteints de ce qu’il appelle des Febres Stomatichæ ac Intestinales [fièvres gastriques et intestinales] (§ 5, page 6) :

[…] existimavi tum, et censeo adhuc, illos interdum etiam ob acrimoniam constringi, ab usu Medicamentorum cordialum quidem, sed acidiusculorum simul, quales sunt Syrupi Limorum, Citri, Ribium, Granatorum ; spiritus item minerales, acuminis ergo additi Julebis alexipharmacis, aut potiunculis aliis expulsivis.

[(…) j’ai alors estimé, comme je le pense encore, devoir parfois protéger ces patients contre l’acrimonie en employant certes des médicaments cordiaux, {c} mais aussi acidulés, comme sont les sirops de limon, de citron, de groseille, de grenade ; ainsi que des esprits minéraux, après en avoir acéré la pointe par des juleps alexipharmaques, {d} ou par d’autres potions expulsives]. {e}


  1. Johann Daniel Major (Breslau 1634-Stockholm 1693), docteur en médecine de Padoue en 1660, s’installa d’abord à Wittemberg où il épousa, en 1661, Maria Dorothea Sennert, petite-fille de Daniel Sennert. Sa femme étant morte au bout d’un an, Major se rendit à Hambourg où il fut nommé médecin des épidémies (Medicus epidemicus) ; rapidement après, on lui y confia la chaire de médecine et la garde du jardin botanique. Naturaliste de renom, il est l’un des inventeurs de la muséologie.

  2. V. note [5], lettre latine 452, pour les premiers balbutiements de l’injection intraveineuse et de la transfusion sanguine.

  3. Fortifiants, v. note [31], lettre 101.

  4. Sirops antivenimeux (v. note [20], lettre 164).

  5. Major consacre la seconde moitié de son livre (§ 23‑53) à défendre la perfusion intraveineuse contre ses détracteurs et à prouver qu’il en a été le premier inventeur.

    On admire moins aujourd’hui les médicaments, destinés à chasser l’humeur morbifique, que l’idée d’appliquer la découverte de la circulation du sang à les injecter dans une veine.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 187 vo.

Cl. viro D. Henrico Meibomio, Helmstadium.

Gratissimam tuam cum summo gaudio accepi, Vir Cl. hesterna luce, cui paucis, cum
bona tua venia, sic respondebo. Patienter expectabo fasciculum
quem Francofurtum misisti ad Schefferum nostrum, et
statim respondebo quamprimum eum accepero. Maximo
me devinxeris beneficio si curaris mihi comparari
fasciculum ex tot libellis, quos quorum Indiculum ad Te
miseram, et qui fuerant apud vestrum Typographum editi.
De singulis videbo postquam accepero quem misisti ad
Schefferum : cætera si volueris mittantur Hamburgum
ad Lud. Heron, ut antehac ad Te scripsi, qui statim et illico
restituet quidquid pro me impendaris pro illis emendis.
De pretio numquam certabimus, modò patiaris ut impensæ
tuæ tibi statim tibi refundantur. Quæcumque scribis de
Scheffero Argentoratensi valdè mihi placent : cumprimum
hîc apparebunt, ea statim mihi comparabo et ex eorum
lectione sine dubio proficiam. Loccenius ille mihi notissimus est
ex editis operibus. De Petronio noli moveri, anno superiore
editus fuit quidam libellus Patavij verè Pseudonymos

t.

Ms BIU Santé no 2007, fo 188 ro.

qui ab aliquot mensibus hîc etiam prostat, sed ejus mentem
sensim capio : Fragmentum est inquiunt Petronij ; ego contrà
fortiter nego : suspicor enim, ne dicam malo credere, libellum
istum opus esse otiosi alicujus Monachi et simioli Petronisantis : longè eni[m]
et aliter olent C catuli quàm sues : quidquid sit, potuit ejusmodi
scriptum ex aliquo lupanari prodire, sed numquam
mihi persuaderi
patiar, nec facilè credam tam insulsum fragmentum pertinere ad
Petronium Arbitrum privatarum deliciarum famosi illius
Trimalcionis, quem fuisse puto non alium quàm Senecæ
prædivitis infamem discipulum, Cujus ad exitium non debuit
una parari simia, non serpens unus, non culeus unus
 ; sis scis
quid velim, et abundè nosti quid intelligam. Monstrum fuit
hominis, qui Romæ olim hi
hystrioniam exercuit, Aggripinæ
filius, auriga, incendiarius, matris et Præceptoris carnifex, etc.
Anna Austriaca in dies infirmatur, nec in ejus cancrum
sacrificuli medicamina proficiunt, ubi nihil aliud quàm
tabem exspectari puto. Tractatus vester de Cerevisia utinam
tandem bonis avibus in lucem prodeat. Vivimus in seculo
novaturiente, et contra fas omne nimis avidum novitatis :
quo nomine etiam figmenta multa nobis offeruntur,
imò nolentibus obtruduntur, inter
quæ repono quod scribis
de Chirurgia illa infusoria Io. Dan. Majoris, apud Hamburg.
Medici Epidemici
. Rem falsam pollicetur, et impossibilem
profitetur ; nugæ sunt et deliria morientis seculi. Omnes
tuos Amicos salutabo, t
Tu vicissim nomine meo saluta
Cl. Conringium, Tappium, et alios mihi faventes. Vale
Vir præstantissime, et me ama. Ego et omnes mei Te salutant.
Parisijs, Cal. Aprilis 1665.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Heinrich Meibomius, le 1er avril 1665

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(Consulté le 08/05/2024)

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