Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-6, note 39.
Note [39]

Cette citation, mise entre le guillemets dans L’Esprit de Guy Patin, est une longue broderie dont l’amorce (que j’ai traduite en italique) vient de Cicéron, chapitre xxi du livre de la Vieillesse, qui commence par ce propos de Caton l’Ancien sur la mort :

Non enim video cur, quid ipse sentiam de morte, non audeam vobis dicere, quod eo cernere mihi melius videor, quo ab ea propius absum. Ego vestros patres, P. Scipio, tuque, C. Læli, viros clarissimos mihique amicissimos, vivere arbitror, et eam quidem vitam, quæ est sola vita nominanda. Nam, dum sumus inclusi in his compagibus corporis, munere quodam necessitatis et gravi opere perfungimur ; est enim animus cælestis ex altissimo domicilio depressus et quasi demersus in terram, locum divinæ naturæ æternitatique contrarium. Sed credo deos immortales sparsisse animos in corpora humana, ut essent, qui terras tuerentur, quique cælestium ordinem contemplantes imitarentur eum vitæ modo atque constantia.

Les rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin ont à nouveau plagié sans aucun scrupule la traduction de Philippe Goibaud-Dubois, {a} pages 103‑104 :

« Rien ne peut m’empêcher de vous dire ce qu’il me semble de la mort, et que je crois voir d’autant mieux que j’en suis plus proche. Je suis persuadé que vos pères, ces illustres personnages que j’ai tant aimés, n’ont point cessé de vivre, quoiqu’ils aient passé par la mort ; et qu’ils sont toujours vivants de cette sorte de vie qui seule mérite d’être appelée de ce nom-là. Car tant que nous sommes dans les liens du corps, nous y sommes comme des forçats à la chaîne, {b} puisque notre âme est quelque chose de divin qui, du ciel, comme du lieu de son origine, est jetée et comme abîmée dans cette basse région de la terre, qui est un lieu d’exil et de supplice pour une substance céleste de sa nature. {c} Mais je crois que si les dieux ont engagé nos âmes dans nos corps, c’est afin que ce grand ouvrage de l’univers eût ses spectateurs, qui admirassent le bel ordre de la nature, et le cours si réglé des corps célestes, et qui l’exprimassent en quelque sorte par le règlement et l’uniformité de leur vie. » {d}


  1. Paris, 1708, v. supra note [30], notule {b}.

  2. Référence anachronique aux galériens du royaume de France, que le Faux Patiniana a fidèlement reprise.

  3. Note de Goibaud-Dubois :

    « Un chrétien n’aurait pas mieux dit, et c’est une grande preuve de cette vérité, de voir que tout ce qu’il y a de grands esprits parmi les païens même l’aient vu. Il ne restait qu’à savoir quelle est la cause de notre exil, d’où viennent les maux que nous y souffrons, par quel chemin et sous quel guide nous pouvons retourner dans notre patrie. Mais il n’y a que la religion qui nous l’apprend. »

  4. Note de Goibaud-Dubois, qui termine en citant l’Évangile de Matthieu (5:48) :

    « Il est donc de l’ordre que l’homme soit saint : car c’est ce que Caton dit ici en d’autres termes, et il n’en faut point d’autre preuve que le repos et la satisfaction que l’on trouve dans toutes les bonnes actions, et le trouble et le remords dont les mauvaises sont suivies. Dieu a voulu que les païens rendissent encore témoignage à cette grande vérité. Il n’y manque que d’avoir vu que ce n’est pas l’ordre de la nature, mais la sainteté de l’Auteur de la nature que nous devons nous proposer pour modèle. Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait. »

Traduction plus littérale du texte de Cicéron :

« Pourquoi n’oserais-je pas vous dire ce que je pense de la mort ? Il me semble la discerner de mieux en mieux à mesure que je m’en approche. Je crois, Scipion et toi aussi Lélius, que ces hommes illustres, qui furent vos pères et mes grands amis, sont en vie, et je veux parler de la seule vie qui mérite ce nom. En effet, aussi longtemps que nous sommes retenus par les liens du corps, nous nous épuisons, bon gré mal gré, à accomplir tâches serviles et rudes travaux ; mais notre âme, qui, elle, est d’essence céleste, a été précipitée des hauteurs où elle demeurait et comme enfouie dans la terre, soit un lieu qui est à l’opposé de sa divine nature et de son éternité. Je crois cependant que les dieux immortels ont implanté des esprits dans les corps des humains pour qu’il y ait des êtres qui veillent sur les terres, et qui contemplent l’ordre du ciel pour l’imiter par le règlement et la constance de leurs mœurs. »

Il est strictement impossible de tenir cet article pour un propos de Guy Patin et pour une convaincante proclamation de sa foi chrétienne. En la lui attribuant, les rédacteurs de son Esprit (1709) avaient-il une autre intention que défendre sa mémoire contre le soupçon d’avoir été un libertin athée, allégation téméraire que lui avaient valu (et lui valent encore aujourd’hui, v. note [38], lettre 477) la publication de ses Lettres (1683) et le jugement de Pierre Bayle dans la note E de son Dictionnaire (1702, v. note [7], lettre 65) ? Mais pouvait-on s’y prendre plus maladroitement qu’avec ce pathétique plagiat ?

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-6, note 39.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8219&cln=39

(Consulté le 26/04/2024)

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