À Thomas Bartholin, le 27 juin 1664, note 5.
Note [5]

Le manuscrit anonyme contre la religion, attribué (mais désormais sans certitude) à Jean Bodin (v. note [25], lettre 97), est intitulé Colloquium heptaplomeres de rerum sublimium arcanis abditis [Colloque de sept personnages sur les secrets cachés de choses sublimes]. Écrit en 1593, il en existait quelque 120 copies (en Allemagne et en France). Les premières éditions imprimées n’ont paru qu’au xixe s. (v. note [28], lettre 186).

Gianluca Mori, historien de la philosophie moderne et professeur à l’Université du Piémont Oriental (Vercelli), avec qui j’ai mené, d’avril à juin 2020, une riche discussion sur l’athéisme et le libertinage de Guy Patin (v. note [38], lettre 477), a eu la bonne idée d’attirer mon attention sur l’exemplaire manuscrit conservé par la BnF (Latin 6566, Gallica), qui porte cet ex-libris de la plume même de Patin :

Guido Patinus, Bellovacus, Doctor Med[icus] Parisiensis. 1627.
Ex dono Dom. Caroli Guillemeau, Regis [Chri]stianissimi Medici Ordinarii
.

[Guy Patin, natif du Beauvaisis, docteur en médecine de Paris. 1627. {a}
Par don de Maître Charles Guillemeau, {b} médecin ordinaire du roi très-chrétien]. {c}


  1. Patin a été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris le 16 décembre 1627 en présidant sa première thèse (v. note [10], lettre 3).

  2. Bienveillant maître et durable ami de Patin, v. note [5], lettre 3.

  3. Patin ne disait donc pas la vérité à Thomas Bartholin : il n’avait pas seulement vu le Colloquium, mais il l’avait sûrement possédé (et le possédait peut-être encore, 37 années après l’avoir reçu de Guillemeau).

Le Naudæana et Patiniana manuscrit de Vienne (v. note [12] de l’Introduction aux ana de Guy Patin) donne ce complément d’information :

« Le manuscrit de Bodin, qui court sous le nom de Heptaplomeres, était entre les mains des héritiers du dit Bodin qui, ayant un procés par devant M. le président de Mesmes, {a} le lui prêtèrent, dont il fit tirer copie ; et de là est croyable que sont venues tant d’autres copies qui sont aujourd’hui dans les bibliothèques des curieux de Paris. Je pense pourtant que M. le P. de Mesmes a encore l’original. C’est un livre bien fait, mais fort dangereux parce qu’il se moque de toutes les religions, et enfin conclut qu’il n’y en a point ; aussi n’en avait-il point lui-même. Il mourut comme un chien, sine ullo sensu pietatis, {b} n’étant ni juif, ni chrétien, ni turc. {c} Ce livre est écrit du même style et fait du même génie que La République de Bodin. {d}

Il y a dans ce livre quantité de mauvaises choses et horriblement impertinentes. Il faut passer un grand trait de mer fort ennuyeux avant que d’y trouver quelque chose de bon, qui n’est que lorsqu’il vient au détail des religions et qu’il les examine particulièrement les unes après les autres ; mais avant que d’en venir là, il dit cent inepties des démons, des esprits, des influences, etc. M. Grotius en a fait un jugement en ses Épîtres, pag. 431. » {e}


  1. Henri ii de Mesmes, v. note [12], lettre 49

  2. « Sans aucune aspiration à la piété ».

  3. Mahométan.

  4. V. note [25], lettre 97, pour la République de Bodin (Paris, 1576) et pour son prétendu judaïsme.

    Le Patiniana I‑1 est revenu sur ce sujet (v. sa note [1]).

  5. Hugo Grotius, lettre à Johannes Cordesius (v. note [2], lettre 85) datée du 19 septembre 1634, Epistolæ ad Gallos [Lettres à des Français], Leyde, 1648 (v. note [73], lettre 150), Epistola clviii, pages 431‑432 :

    Bodini scriptum manu librum legi dignissimum […]. Bodinum in illo misso ad me opere agnovi, qualem existimavi semper, hominem rerum quam verborum studiosorem, Latinitate utentem haud plane nitida, metricarum legum pueriliter imperitum, Græcis litteris vix imbutum, Hebraicorum morum ac sententiarum satis gnarum, non ex interiore linguæ illius cognitione, sed ex amicitia quam coluit cum doctissimis Hebræorum, quæ in illo πληροφορίαν eam, quæ in Christanis requiritur, non parum labefactavit. In historiis et testimoniis citandis video eum a vero sæpe abire, neglectu malo credere, quàm dolo : quamquam interdum vix est, ut doli suspicionem effugiat. Cæterum nihil mihi novi laboris augendum de veritate Christiani Religionis librum hinc impositum intelligo. Nam si quæ sunt, quæ solidamenta illa arietent, quibus proprie Christiana fides nititur, iis occursum à me arbitror, quantum lectori non pertinaci sufficere possit.

    [J’ai lu le très estimable livre manuscrit de Bodin […]. Dans cet ouvrage que vous m’avez envoyé, j’ai reconnu Bodin tel que je l’ai toujours jugé : c’est un homme plus attaché aux faits qu’aux mots ; son latin n’est pas fort élégant, il y maltraite puérilement les règles de la métrique ; il maîtrise mal le grec ; il sait assez bien les mœurs et les opinions hébraïques, non par une connaissance intime de leur langue, mais par l’amitié qu’il a cultivée avec les plus doctes des hébraïsants ; dans ce livre, il a fort ébranlé cette pleine certitude dont les chrétiens ont besoin. Dans les histoires et les témoignages qu’il cite, je le vois souvent s’écarter de la vérité ; je préfère croire que c’est par négligence plutôt que par ruse, bien que de temps en temps il n’échappe guère à la suspicion de fourberie. Autrement, j’entends ne me donner aucune peine pour contrer ce que ce livre conteste sur la vérité de la religion chrétienne. De fait, s’il y a là des choses qui secouent les propres fondements de la foi chrétienne, je crois qu’elles m’ont échappé, pour autant qu’un lecteur puisse y suffire sans s’obstiner à les débusquer].

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Thomas Bartholin, le 27 juin 1664, note 5.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1335&cln=5

(Consulté le 26/04/2024)

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