De Charles Spon, le 20 mars 1657, note 5.
Note [5]

La première des quatre dissertations (pages 1‑64) de François Le Grand (v. supra note [4]) est intitulée Dissertatio in Epicuream philosophiam, ad Petrum Gassendum [Dissertation contre la philosophie d’Épicure, adressée à Pierre Gassendi]. Le début en donne le ton général, qui a « étonné » Guy Patin :

Cum Hesterna die, coram Illustrissimis Viris nec-non sibi invicem charissimis Fratribus Errico Memmio et Comite Avauxiano, sermones tecum de germana Epicuri Philosophia conseruissem, Mi Gassende, in solitum Musarum nostrarum Secessum me recepi ; et memoria recolens, has omnes quibus communem Epicuri mentem impugnaveram, Demonstrationes, taleis enim innueras, ut quæ tuum præcipue affecerint animum, mittendas ad te, qui eas privato expendas, paucis hisce Scriptis perstringere duxi necessarium. Non es interim nescius subseciviis istis operibus, incumbere me veritatis dumtaxat studio, exercendique Genii gratia. Quin etiam minime dubius haud diffidis omnis omnino Epicurei Horti ruinæ Vadem me ac sponsorem præstare ; utquum maxime, quod te huiusmodi negotii gnarum non fugit, de trito ac vulgato Lucretii Dogmate προ γυμνασματικως, per modum Tentativæ agetur. Videlicet potis tibi fuit Infinitionis, quam Απειριαν Græci vocant, vacuitatis, et plane Atomorum Scientiam, iuxta Lucretium dico, (Atomos enim Materiei Peripateticæ vicibus functas quis απλως ibit inficias,) præsenti hacce Dissertatione, nedum fractam quadantenus, verum a fundamentis penitus excussam advertere.

[Après m’être trouvé hier à discuter avec vous, mon cher Gassendi, de la véritable philosophie d’Épicure, en compagnie des très illustres MM. Henri de Mesmes et son très affectionné frère le comte d’Avaux, {a} je me suis retiré dans la retraite ordinaire de nos Muses. {b} Me sont alors revenus en mémoire tous ces arguments dont j’avais assailli la pensée qu’on attribue communément à Épicure, selon la manière dont vous l’avez charpentée. Puisqu’ils vous ont incommodé l’esprit, j’ai jugé nésessaire de les résumer dans ce court écrit, et de vous l’envoyer pour les soumettre à votre jugement particulier. Vous n’ignorez pas qu’à mes heures perdues, et surtout pour m’aiguiser l’intelligence, il m’arrive de m’appliquer à l’étude de la vérité. Vous ne suspectez guère, en revanche, ni ne redoutez que j’aille me porter garant de la ruine pleine et entière du Jardin d’Épicure ; {c} étant donné assurément, et cela ne vous a point échappé, qu’il s’agit ici pour moi d’un pur exercice gymnique sur le dogme de Lucrèce {d} qu’on a tant rebattu et divulgué : vous pouvez comprendre que ma réflexion porte sur l’infinité, soit ce que les Grecs appellent l’immensité du vide, qui n’est autre que la science des atomes, ce que je dis suivant Lucrèce {e} (car chacun refusera tout bonnement de croire que les atomes ont pris la place de la matière péripatéticienne) ; {f} bien loin de parvenir à briser cette science, ma présente dissertation cherche à savoir si les fondements n’en sont pas profondément branlants]. {g}


  1. V. notes [12], lettre 49, pour Henti ii de Mesmes, président au Parlement de Paris mort en décembre 1650, et [33], lettre 79, pour son frère puîné, Claude de Mesmes, comte d’Avaux, surintendant des finances mort en novembre de la même année.

  2. Pompeuse manière de dire « dans mon cabinet » (étude ou bureau).

  3. V. seconde notule {a}, note [17] du Naudæana 4, pour le surnom de « philosophe du Jardin » qu’on donnait à Épicure en raison de l’endroit où il dispensait son enseignement à Athènes.

  4. V. note [131], lettre 166 pour Lucrèce qui, dans son poème De Natura rerum [La Nature des choses], a transmis les préceptes d’Épicure, dont les écrits ont été perdus depuis.

  5. Lucrèce n’a pas parlé des atomes (mot grec que n’a pas adopté le latin classique) ; il les a appelés primordia rerum [principes des choses] ou corpuscula materiæ [petits corps de la matière], comme dans les fameux vers du livre ii (522‑531) :

    Quod quoniam docui, pergam conectere rem quæ
    ex hoc apta fidem ducat, primordia rerum,
    inter se simili quæ sunt perfecta figura,
    infinita cluere. Enim distantia cum sit
    formarum finita, necesse est, quæ similes sint,
    esse infinitas aut summam materiai
    finitam constare, id quod non esse probavi.
    Versibus ostendam corpuscula materiai
    ex infinito summam rerum usque tenere
    undique protelo plagarum continuato
    .

    Traduction de Michel de Marolles : {i}

    « Je joindrai encore à ce que je viens d’enseigner une chose qui en sera commodément déduite, pour faire connaître que les principes qui sont figurés entre eux d’une même sorte, {ii} se montrent dans une multitude infinie ; {iii} et de fait, comme la différence des formes est finie, il faut aussi de nécessité que les formes qui sont semblables soient infinies, ou bien la masse de la matière serait finie, ce que j’ai prouvé qui n’est point du tout. {iv} Et puisque je l’ai enseigné de sorte qu’il serait malaisé d’en douter, à cette heure je ferai voir {v} en peu de paroles, qui peut-être ne seront pas dénuées de toutes les douceurs de l’éloquence, que les petits corps de la matière {vi} sont semés par tout l’univers de toute éternité, en continuant de toutes parts les atteintes de leurs impressions. » {vii}

    1. Paris, 1659 (v. note [50], lettre 549), pages 69‑70 : pour être dans l’esprit du temps.

    2. Configurés de même manière.

    3. De formes.

    4. Être entièrement faux.

    5. Je ferai voir maintenant.

    6. Les atomes.

    7. Sans cesser de s’entrechoquer en permanence.
  6. « Les péripatéticiens disent que toutes choses sont composées de matière et de forme, que la forme est tirée de la puissance de la matière » (Furetière).

    Je n’ai pas su traduire cette parenthèse sans y tenir Atomos pour un substantif féminin, qui s’accorde avec functas (functos m’aurait semblé plus correct).

  7. La dissertation de Le Grand se divise en trois parties : De Infinito Epicureo [L’infini épicurien], De Inani Epicureo [Le vide épicurien], De Atomis Epicureis [Les atomes épicuriens].

    La correspondance de Pierre Gassendi (tome vi de ses Opera omnia, Lyon, 1658, v. note [19], lettre 442) ne contient aucune lettre échangée avec Le Grand.


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Charles Spon, le 20 mars 1657, note 5.

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(Consulté le 04/05/2024)

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