Autres écrits : Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre II, note 6.
Note [6]

Dans le chapitre xvii, De Eduliis in particulari ac primo de Pane [Des aliments et, en tout premier, du pain] de ses commentaires sur la Schola Salernitana [École de Salerne] (Paris, 1625, v. note [4], lettre 12), René Moreau a consacré 49 pages (256‑305) aux céréales et au pain. Le passage cité par Guy Patin se trouve aux pages 268‑269 :

Salis interim moderata aspersio utilis imo necessaria tum quod gratiam palato addat et ventriculo acceptiorem reddat panem, tum quia nimium humorem exsiccet, sicque panem et coctioni et distributioni aptiorem efficiat ; eius exuberantia plus iusto siccescit panis ac durescit, retorridumque in corporibus sanguinem cumulat. Detestandus eorum est error qui loco salis aqua marina panem subigunt, nam inde morborum ilias exoritur. Puniendi quoque pistores qui ut panis gravior fiat, salem detrahunt, norunt enim salis admistione leviorem panem fieri, cuius rei causam postea dabimus. In summum salitus panis non salito iucundior est ac salubrior ; quamobrem laudare non possum Lutetianum panem qui sine sale paratur, dicique non potest quam morborum multitudinem civibus accersat. Crediderim calculorum generationem quibus obnoxii sunt Parisienses hanc præcipuam habere causam : Veram enim esse Galeni sententiam arbitror lib. i de alim. cap. de Pane loto afferentis cibos omnes boni succi et multi alimenti eos qui ipsis assidue utuntur, lædere, obstructiones in hepate parere et in renibus calculos gignere. Cum enim, inquit, humor crudus lentorem assumpsit et transitus per renes quibusdam natura sunt angusti, ibi quod crassissimum est ac maxime lentum diutius moratum, πωρον, id est, tophum prompte gignit. Nemo autem est qui ignoret panem Parisiensem vulgarem, ut boni est succi, sic multum nutrire, succumque alibilem suggerere diu perdurantem, maxime cum magna copia ingeritur : exinde quoque contingit ut plenitudine Parisienses laborent ac πολυαιμα quæ coërceri nullo aptiori remedio potest quam phlebotomia frequenti, quod observare debent ii qui Parisiensibus Medicis injurii eos αιματοποτας vocant propter sanguinis detractionem quam frequenter præscribunt.

[Il est cependant utile et même nécessaire de saler la pâte, tant afin de rendre le pain plus agréable au goût et plus digeste pour l’estomac que, puisqu’il assèche fort l’humeur, de mieux le disposer à la digestion et à l’absorption dans le corps ; mais si on dépasse la juste mesure, il devient sec et dur, et favorise l’accumulation d’un sang brûlé dans les corps. Il faut pester contre l’erreur de ceux qui pétrissent le pain avec de l’eau de mer, au lieu de sel, car il donne alors naissance à une iliade de maladies. {a} On doit aussi blâmer les boulangers qui s’abstiennent de saler le pain pour le rendre plus lourd, car ils savent que l’addition de sel l’allège, comme nous l’expliquerons plus loin. En somme, le pain est plus agréable et plus salubre quand il est salé que quand il ne l’est pas. Je ne puis donc louer le pain parisien qu’on fabrique sans sel, ni énumérer la multitude de maladies qu’il provoque chez les habitants de cette ville. Je croirais volontiers que telle est la principale explication des calculs qui les affligent. Je trouve en effet profondément juste ce qu’a dit Galien du pain lavé, {b} au livre i des Aliments : Consommés continuellement, tous ces aliments de bon goût et bien nourrissants sont nuisibles : ils provoquent des obstructions du foie et engendrent des calculs dans les reins car, à l’humeur crue, s’en adjoint une plus glutineuse ; quand elle a traversé les reins, que certains ont par nature étroits, où ce qui est très épais et extrêmement visqueux séjourne très longtemps, elle engendre promptement un tophus, {c} c’est-à-dire un calcul. Nul pourtant n’ignore que le pain grossier de Paris, étant de bon goût et très riche, procure un suc nourrissant qui séjourne durablement dans le corps, surtout quand il est ingéré en grande quantité. Cela fait aussi que les Parisiens souffrent de cacochymie et de pléthore, {d} et que, pour les réprimer, il ne peut y avoir de remède plus efficace que la fréquente phlébotomie. Voilà ce à quoi devraient se conformer ceux qui injurient les médecins parisiens en les appelant sangsues {e} parce qu’ils prescrivent trop fréquemment la saignée].


  1. Cette « iliade de maladies » est la seule traduction plausible qui puisse correspondre à morborum ilias, mais elle n’est corroborée par aucun des dictionnaires que j’ai consultés. Je suppose que René Moreau y a recouru pour exprimer la copieuse liste des maux qu’engendrerait le pain pétri avec de l’eau de mer, en référence avec la longueur de l’Iliade d’Homère.

  2. C’est-à-dire le pain trempé, comme l’explique le livre cinquième (page 500) de L’Agriculture et maison rustique de Maîtres Charles Estienne et Jean Liébault, docteurs en médecine (Lyon, Claude Charteron et Charles Amy, 1689, in‑4o ; v. note [2], lettre 755) :

    « Le pain lavé est d’un manger fort profitable à la santé, d’autant qu’il donne une légère nourriture au corps et n’y engendre des obstructions, à cause que le lavement lui ôte son épaisseur et viscosité terrestre, dont il est rendu tout léger et aérien. Qu’ainsi soit, vous le connaîtrez par l’expérience, d’autant que si le jetez dans l’eau, il nage par-dessus comme une pièce de liège ; si vous le pesez après qu’il sera lavé [essoré], vous serez surpris de sa légèreté, et vous le trouverez moins pesant de la moitié. Les Anciens le tranchaient par leiches [tranches], le lavaient en eau et en faisaient grand cas aux maladies aiguës parce qu’il est de petite et légère nourriture, requise en telles maladies. En ce temps, nous n’en tenons < pas > moindre compte, sauf que nous ne faisons son lavement en eau, mais en bouillon de viandes, comme de veau ou de chapon, ayant plus d’égard à notre délicatesse et faiblesse plus grandes que n’étaient aux corps des anciens. »

  3. V. note [9], lettre 515.

  4. V. note [8], lettre 5.

  5. Adaptation du mot grec aïmatopôtas, « buveurs de sang » (ici écrit αιματοποτας au lieu d’αιματοπωτας), au vocabulaire des ennemis de la saignée (hématophobes).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre II, note 6.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=8169&cln=6

(Consulté le 26/04/2024)

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