L. 124.  >
À Claude II Belin,
le 14 août 1645

Monsieur, [a][1]

Pour réponse à la vôtre, je vous dirai que je souhaite que monsieur votre fils [2] vous donne tout contentement, comme j’espère qu’il fera. Pour votre second, [3] il semble être fort mortifié et a beaucoup d’esprit, ce qui me fait en bien espérer. J’y apporterai ce que je pourrai par mes exhortations ; comme il est éveillé, il sera bien propre à être médecin. Je l’en entretiendrai à notre première entrevue et tâcherai de découvrir quelle intention il peut avoir en l’âme de summa vitæ[1] et alors je vous en donnerai avis. Je ferai par même moyen réponse à celle que monsieur votre fils aîné m’a fait l’honneur de m’écrire. Je le remercie de l’honneur qu’il m’a fait de m’être venu dire adieu et ai grand regret que je ne l’aie vu à ce dernier voyage. Il faut qu’il emploie son temps à la Méthode générale de Fernel, [4] et à la générale et particulière du bonhomme Riolan, [2][5] avec les traités de Galien [6][7] de sanguinis missione, et sa Méthode ; [3][8] mais j’ai tort de me mêler de lui donner conseil puisqu’il est auprès de vous. Je lui souhaite bon voyage à Montpellier, [9] et qu’il en revienne fort savant et bon praticien, comme j’espère qu’il fera afin de ne rien commettre indigne du nom qu’il porte.

Il y a du tumulte à Montpellier où ont été tuées 22 personnes. [4][10] Il y a eu aussi arrêt contre eux, mais de peur de pis, on ne l’a pas envoyé exécuter ; au contraire, on y a envoyé abolition. Les affaires du roi d’Angleterre [11][12] sont en fort mauvais état. [5] M. le duc d’Orléans [13] a pris Bourbourg, [14] mais on ne sait pas s’il attaquera cette année Dunkerque. [6][15] Le roi [16] et la reine [17] sont ici en bonne santé. M. Cousinot, [18] premier médecin du roi, est fort mal en sa santé. J’ai peur que l’hiver prochain il n’aille chercher Monsieur son père [19] qui mourut ici le 4e du mois de mai passé. [7] Je vous baise les mains et à Mlle Belin, et suis de tout cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 14e d’août 1645.


a.

Ms BnF no 9358, fo 95 ; Triaire no cxxvii (pages 465‑466).

1.

« sur ce qui compte le plus dans la vie ». Alors que Nicolas Belin, fils aîné de Claude ii, après avoir étudié à Paris pendant quatre ans, s’en allait prendre ses degrés de médecine à Montpellier, son frère cadet (prénommé Claude iii ou Jean-Baptiste, v. note [2], lettre 109) prenait le relais auprès de Guy Patin qui avait mission de superviser ses études parisiennes (qui allaient être bien plus tumultueuses que celles de Nicolas).

2.

V. note [1], lettre 36, pour la Méthode générale (Therapeutices universalis…) de Jean Fernel. Guy Patin recommandait aussi la Methodus medendi… [Méthode pour remédier…] de Jean i Riolan (Paris, 1598, v. note [5], lettre 116).

3.

de Galien « sur la saignée », Patin citait :

Sur le même sujet, Galien a aussi laissé :

4.

Allusion à la « sédition des femmes » qui éclata à Montpellier le 29 juin 1645 : une nommée Élisabeth Bouissonade, servante ou épouse d’un artisan, déclencha une « émotion populaire » contre la levée d’une taxe exceptionnelle pour l’avènement du roi à la couronne, qu’on disait devoir être proportionnelle au nombre d’enfants et devenir permanente ; groupées autour d’une géante nommée la Branlaïre, 400 Montpelliéraines pourchassèrent autour de la ville les officiers royaux chargés de collecter l’impôt, brûlant leurs papiers et leurs maisons ; la troupe tira sur la foule, mais les hommes se rallièrent à leurs épouses en chassant les soldats dans la citadelle et en élevant des barricades par toute la ville ; après quatre jours d’émeute, on releva une vingtaine de morts. En 1647, Louis xiv accorda une amnistie n’incluant pas la dame Bouissonade qui fut pendue le 9 mars.

5.

Le 14 juin avait eu lieu la bataille de Naseby (Northamptonshire) où Charles ier et son armée avaient été écrasés par la New Model Army de Lord Fairfax et Cromwell. Les papiers privés du roi, saisis à cette occasion, furent publiés par le Parlement, ce qui nuisit considérablement à ce qui survivait de la cause royale, outre que la Couronne continuait d’accumuler défaite sur défaite militaire (Plant). Charles ier se réfugia chez les Écossais. Effrayés déjà des progrès de la révolution et du parti des indépendants, ils étaient faciles à gagner, mais le roi les blessa par son attitude hautaine et son mépris pour le Covenant et le presbytérianisme, au point que les Écossais finirent par le livrer aux parlementaires en janvier 1647 (Plant).

6.

Gaston d’Orléans, ayant sous ses ordres Gassion et Rantzau, commandait l’armée de Flandre pendant la campagne de 1645. Il s’était emparé des places de Mardyck (10 juillet) et de Bourbourg (à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de Dunkerque, le 9 août). Ces deux prises ouvraient la route de Dunkerque, mais Piccolomini (v. note [12], lettre 418), retranché dans une forte position, couvrait la place et le duc d’Orléans dut renoncer au projet (Triaire).

7.

V. note [29], lettre 117, pour Jacques i Cousinot, père de Jacques ii.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 14 août 1645

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0124

(Consulté le 27/04/2024)

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