L. 134.  >
À Claude II Belin,
le 10 mai 1646

Monsieur, [a][1]

Je viens de recevoir un paquet de lettres, par la poste du Languedoc, de monsieur votre fils [2] qui porte les armes, avec un autre paquet enfermé dans ma lettre qu’il me prie d’envoyer à Troyes [3] à M. Corps, comme je fais ; peut-être que dans ce paquet il y en a quelques[-unes] pour vous. Il me mande dans sa lettre qu’il a laissé les livres que je lui avais prêtés à un certain qu’il me mande ; j’irai et les reprendrai, si on me les rend. Quoi qu’il en soit, ne vous en mettez point en peine et ne m’écrivez plus de m’en rendre le prix. J’ai reçu par M. Coquelet [4] la somme qu’avez ordonnée, dont je vous remercie. Le livre de M. Rivière [5] est le plus malheureux ouvrage que j’aie jamais vu, il n’est ni philologue, ni philosophe, ni médecin ; tout son livre n’enseigne rien que la charlatanerie, [6] laquelle n’est que trop en crédit au monde, quam tamen insulsus et imperitus ille conscribillator quasi sepultam suscitare, et ex Orco in lucem revocare velle videtur. Dii meliora[1] Je n’en veux ni à l’homme, ni à sa Faculté de Montpellier, [7] mais je ne saurais plus sincèrement et plus candidement juger de son livre qui est plein de fadaises. De Salmasio nihil prorsus novi, nisi quod dicitur languere atque tabescere ; [2][8] je n’ai point encore reçu son livre de Primatu Petri. Je n’ai point encore vu M. Vautier [9] depuis son exaltation. Il y a bien des choses à dire là-dessus, qui pourront être dites et sues de tout le monde quelque jour. Il est médecin du premier ministre de l’État [10] et on le fait premier médecin du roi. Il a été douze ans prisonnier du père, et aujourd’hui il est maître de la santé du fils, etc. [3] Tout cela sont fleurs de notre politique, quæ magis spectat ad fæcem Romuli quam ad Πολιτεια Platonis[4][11][12][13] On dit que les quatre jésuites sont réduits à trois et que le P. Ignace [14] en a enlevé un en son ciel, comme Jupiter fit Ganymède ; [15][16] j’ai peur que ces bourreaux ne l’aient fait assommer quelque part, je n’en sais rien de nouveau. [5] J’ai déjà ouï parler de cette comète [17] par lettres de Provence, sed audivi tantum[6] On imprime ici un nouveau livre de Casp. Hofmannus, [18] intitulé De Medicamentis officinalibus tam simplicibus quam compositis libri duo[7] C’est un très docte livre, et d’un auteur très résolu et très judicieux. On l’imprime sur le manuscrit de l’auteur qu’il a ici envoyé, il sera fait à la fin du mois d’août. Il est ennemi juré des ignorants et des charlatans. Le roi, [19] la reine, [20] le Mazarin [21] et toute la cour sont à Chantilly ; [22] et delà iront à Compiègne [23] pour quelque temps. [8] Je vous baise les mains et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Patin.

De Paris, ce 10e de mai 1646.

On a mis ici à la Bastille [24] M. le comte de Montrésor, [25] accusé d’intelligence avec Mme de Chevreuse. [9][26] Il y a dans le Châtelet, [27] prisonnier depuis trois jours, un gentilhomme italien, domestique du Mazarin, accusé et trouvé chargé de fausse monnaie, [28] savoir de pistoles. Nous avons ici le père < Le > Vignon [29] fort malade, il est le plus âgé de toute notre Faculté, combien qu’il ne soit pas l’ancien. [10][30]


a.

Ms BnF no 9358, fo 101 ; Triaire no cxxxvii (pages 500‑502) ; Reveillé-Parise, no lxxix (tome i, pages 122‑123).

1.

« que pourtant ce griffonneur insipide et ignorant semble vouloir réveiller quand elle est presque ensevelie, et rappeler à la lumière en la sortant de l’enfer. Puissent les dieux nous ménager des jours meilleurs ! [v. note [5], lettre 33]. »

V. note [6], lettre 132, pour les Observationes medicæ… de Lazare Rivière.

2.

« Je ne sais absolument rien de nouveau sur M. de Saumaise, sinon, dit-on, qu’il languit et dépérit. »

V. note [6], lettre 62, pour ses livres de Primatu Papæ [de la Primauté du pape] (Leyde, 1645), tant attendus de Guy Patin.

3.

François Vautier (v. note [26], lettre 117), jusqu’alors médecin de Mazarin, venait d’être honoré du titre de premier médecin du roi, Louis xiv (après avoir été embastillé 12 ans sous le ministère de Richelieu, pour sa fidélité à la reine mère, Marie de Médicis).

4.

« qui a plus d’égard pour la lie {a} de Romulus {b} que pour La République {c} de Platon » ; Cicéron : {d}

Nam Catonem nostrum non tu amas plus quam ego ; sed tamen ille optimo animo utens et summa fide nocet interdum rei pubilcæ ; dicit enim tanquam in Platonis Πολιτεια, non tanquam in Romuli fæce sententiam.

[Quant à notre cher Caton, {e} tu ne peux l’aimer autant que moi, mais avec ses excellentes intentions, sa loyauté imperturbable, il gâte souvent les affaires. Il plaide comme dans la République de Platon, et nous sommes la lie de Romulus].


  1. La merde.

  2. V. note [8], lettre 52.

  3. Politeia.

  4. Lettres à Atticus, livre ii, lettre 1, § 8.

  5. Caton d’Utique, dit le Jeune, v. sous-notule {ix}, note [51] du Borboniana 7 manuscrit.

5.

Jupiter (Zeus en grec), fils de Saturne (v. note [31] des Deux Vies latines de Jean Héroard) et de Rhéa, est le dieu mythique suprême des Romains, roi des dieux et des hommes qui gouvernait l’Olympe.

Ganymède, prince troyen d’une beauté merveilleuse, fils de Tros et de la Nymphe Callirhoé, fut enlevé par l’aigle de Jupiter et transporté dans l’Olympe pour y remplacer Hébé comme échanson des dieux. Il devint l’amant de Jupiter et en récompense de ses services, il fut placé sous le nom de Verseau dans le zodiaque. Je n’ai pas trouvé de quels jésuites Guy Patin contait ici la mésaventure.

6.

« mais j’ai entendu tant de choses. »

7.

Caspari Hofmanni, Doctoris Medici, et in Academia Altorfina publici Professoris primarii, de Medicamentis officinalibus, tam simplicibus quam compositis, libri duo. Accesserunt quasi Paralipomena, quæ vel ex Animalibus, vel ex Mineralibus petuntur. Opus triginta annorum.

[Deux livres de Caspar Hofmann, docteur en médecine et premier professeur public à l’Université d’Altdorf, sur les Médicaments officinaux, tant simples que composés. {a} Avec, en supplément, ceux qui sont tirés soit des animaux, soit des minéraux ; somme de trente années de travail]. {b}


  1. Les médicaments officinaux étaient en principe ceux qui se trouvaient tout composés chez les apothicaires, à la différence des médicaments magistraux, qui étaient composés conformément à l’ordonnance du médecin.

  2. Paris, Gaspard Meturas, 1646, in‑4o, avec annotations autographes de Guy Patin ; autre édition ibid. et id. 1647.

    L’Approbatio Doctorum [Approbation des docteurs (de la Faculté de médecine de Paris)], signée Guy Patin et René Moreau, est datée du 1er août 1646.


Cet ouvrage est une précieuse encyclopédie de botanique médicale au xviie s. Le premier livre (pages 1‑98) est consacré aux médicaments purgatifs, et le second (pages 99‑592) aux altérants (qui modifient profondément et graduellement la constitution du corps humain) ; avec un copieux index (pages 593‑632) et une annexe (Paralipomena) sur les remèdes d’origine animale et minérale (pages 633‑701), pourvue e son propre index.

L’épître de l’auteur (en date de mars 1646) est dédiée à Guy Patin :

perill<ustre>. et excell<ente>. viro Domino D<omino>. Guidoni Patino Bellovaco, Doctori Medico Parisiensi, Dom<ino>. et amico suavissimo. S.P.D. {a}

[< Caspar Hofmann > adresse ses profonds saluts au très honoré et très illustre Me Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur en médecine de Paris, maître et ami très doux].


  1. Salutem Plurimam Dicit.

On y lit notamment cette jolie phrase traduite d’Aristote (v. note [8], lettre latine 351) :

Ut enim difficile non est leges scire : ita minime omnium difficile est scire quid sit oleum, quid mel, quid vinum, quid helleborus, etc. Rursus, quam difficile est Iustitiam administrare, hoc est, scire quid faciendum sit, quid tribuendum huic, illi : ita scire, cui vinum, verbi gratia, sit præscribendum ? quo tempore ? qua quantitæ ? non minus difficile est, quam iustum esse.

[Tout comme il vous est aisé de connaître les lois, vous n’avez pas la moindre difficulté à savoir ce que sont l’huile, le miel, le vin, l’ellébore, etc. En revanche, comme il est difficile de prescrire avec discernement, c’est-à-dire de savoir ce qu’il faut faire, ce qu’il faut administrer à celui-ci et à celui-là : ainsi, par exemple, à qui donner du vin, à quel moment, en quelle quantité, n’est pas moins difficile que bien exercer la justice].

Hofmann a brièvement commenté son épître dans sa lettre à Guy Patin datée du printemps 1646, en lui exposant (entre autres affaires) les difficultés qu’il avait rencontrées pour trouver un imprimeur qui acceptât de publier ses de Medicamentis officinalibus.

La lettre latine 351 (24 mai 1665) contient une longue liste de fautes relevées dans l’édition parisienne des « Médicaments oficinaux » (1646-1647) ; Guy Patin l’adressait à Sebastian Scheffer en vue de sa réédition à Francfort (1667, v. note [14], lettre 150).

8.

Le 8 mai vers huit heures du matin, le roi avait quitté Paris pour Chantilly où le prince et la princesse de Condé l’avaient reçu. La reine et Mademoiselle étaient parties vers midi pour le rejoindre. Le cardinal Mazarin et le duc d’Orléans firent de même, respectivement le lendemain et le surlendemain. Le 11 mai, après avoir assisté à une chasse, le roi et la reine quittèrent Chantilly pour aller coucher à Liancourt, et se rendirent le lendemain à Compiègne. La cour y séjourna jusqu’au 28 mai pour partir ensuite à Amiens (Levental).

9.

Claude de Bourdeilles, comte de Montrésor (vers 1608-1663), avait été attaché fort jeune à Gaston d’Orléans, le frère cadet de Louis xiii. Il avait su à partir de 1635 s’emparer à tel point de sa confiance que Monsieur ne fit plus rien sans le consulter. Montrésor écarta de Gaston toutes les personnes suspectes d’attachement au cardinal de Richelieu, facilita plusieurs entrevues entre son maître et le comte de Soissons, et fut le véritable chef du complot tramé par eux pour renverser le tout-puissant ministre. Le complot ayant été découvert, Gaston s’était hâté de faire la paix avec le cardinal, sans songer à rien stipuler en faveur de son favori qui alla passer six ans dans ses terres pour éloigner de lui tout soupçon d’intrigue. Cependant, à l’occasion de voyages secrets qu’il faisait à Blois, il revoyait Gaston d’Orléans et fut amené à prendre part à la conspiration nouvelle formée par le duc de Bouillon, Gaston et Cinq-Mars. Ce nouveau complot ayant aussi avorté, Montrésor avait eu la douleur de se voir abandonné une seconde fois par le frère du roi, qui eut la lâcheté de déclarer que son favori l’entraînait sans cesse dans de nouvelles intrigues.

Pour échapper à la colère du cardinal, Montrésor s’était enfui en Angleterre et y était resté jusqu’à la mort du ministre. Il était alors revenu en France, mais trouvait l’abbé de La Rivière devenu le favori de Gaston et vendait sa charge de grand veneur. Montrésor se trouvant sans emploi se rendit en Hollande pour y prendre du service. Sur ces entrefaites, la duchesse de Chevreuse, alors exilée en Angleterre (v. note [37], lettre 86), lui écrivit de se rendre à Paris, d’y prendre ses pierreries qu’elle y avait laissées et de les lui envoyer. Dénoncé à Mazarin par l’abbé de La Rivière pour cette correspondance insignifiante, il fut arrêté et jeté à la Bastille pour 14 mois. Mazarin ayant voulu l’attirer à son parti et l’amener à trahir ses amis, Montrésor, plein de mépris pour le cardinal, entra dans le parti de la Fronde avec Retz et Beaufort. Après avoir joué un rôle des plus actifs pendant les troubles, il se réconcilia avec la cour et passa les dernières années de sa vie dans la retraite, tout entier à son amour pour Mlle de Guise, dont il avait eu trois enfants naturels (G.D.U. xixe s.).

10.

L’ancien de la Faculté de médecine de Paris était alors Pierre i Seguin, reçu docteur en 1594, alors que Quirin Le Vignon l’avait été en 1607 après des études fort prolongées (v. note [4], lettre 1).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 10 mai 1646

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(Consulté le 04/05/2024)

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