L. 429.  >
À Charles Spon,
le 24 décembre 1655

Je [a][1] viens de chez le bonhomme M. Riolan [2] y consulter [3][4] pour un chanoine de Beauvais [5] qui est hydropique. [6] Il est gaillard et se porte bien, il dit que le roi de Suède [7] est maître de toute la Pologne, qu’il entrera le mois d’avril prochain dans l’Allemagne avec une armée de 100 000 hommes et qu’il ne craint point les princes de l’Empire, ni l’empereur [8] même. [9] M. Riolan ne fait point de doute que nous ne soyons de partie avec lui, aussi bien que Cromwell. [10] Le roi de Suède a dessein de se faire empereur et de s’attribuer tout le bien que les moines possèdent en Allemagne ; et après, d’aller en Italie ; si bien que nous verrons beau jeu si la corde ne rompt. [1] J’ai soupé hier avec M. Ferrus [11] chez un marchand de ses parents qui est de mes bons amis. Nous y avons bu à votre santé, et de M. Ravaud [12] son cousin, auquel je vous prie de faire mes très humbles recommandations, et à M. Huguetan [13] pareillement ; mais ne leur parlez point, s’il vous plaît, du tout des livres qu’ils ont dessein de m’envoyer afin qu’ils ne sachent point que j’en ai de l’impatience. Faites-moi la grâce de dire à M. Devenet, [14] si vous le voyez, qu’il recevra vers les Rois de l’argent pour les livres qu’il m’a fait tenir de Genève. M. le chancelier [15] a encore été ce matin en Sorbonne [16] où il fait ce qu’il peut contre M. Arnauld : [17] il fait toujours protestation qu’il les veut laisser en liberté, mais pourtant il ne fait que les interrompre. [2] Le duc de Modène [18] doit être reçu dimanche prochain dans le Bois de Vincennes [19] où le roi se rendra tout exprès. [3] Voilà la fin de ma lettre et la fin de l’an venue. Je vous souhaite l’an prochain, et à mademoiselle votre très chère femme, toute sorte de prospérité et santé, et à votre famille. Conservez-moi, s’il vous plaît, en vos bonnes grâces et tenez pour certain que je serai toute ma vie, Monsieur, tuus usque ad aras[4]

G.P.

Ce vendredi bien tard, à neuf heures du soir, 24e de décembre 1655.

On ne fait ici que voler et massacrer ; aussi prend-on beaucoup de voleurs qui seront pendus après les fêtes ; mais tous ne le seront pas, il y a quelqu’un qui en échappe toujours par le moyen de ses amis qu’il trouve à la cour. Le libraire qui doit imprimer les Institutions de feu M. Rivière [20] s’appelle Cellier ; [21] on dit que cela sera presque aussi gros qu’un Perdulcis ; [22] qu’en croyez-vous, a-t-il commencé ? Utinam bene cedat[5]


a.

Ms BnF no 9357, fo 200, sans suscription.

1.

« On dit “ on verra beau jeu si la corde ne rompt ” par allusion aux danseurs de corde, quand on promet de faire voir des choses extraordinaires » (Furetière).

2.

Les, dans cette phrase, représente les partisans d’Antoine ii Arnauld, ses collègues de Sorbonne qui défendaient la cause janséniste.

3.

Le duc de Modène (François ier d’Este, v. note [10], lettre 398) avait été accueilli à Lyon par l’archevêque du lieu « pour exécuter dignement l’ordre qu’il avait reçu du roi de rendre tous les honneurs possibles à ce prince », le 13 décembre, « au bruit du canon et de toutes les boîtes de la ville ». Le duc avait quitté Lyon pour Paris le surlendemain (Gazette, ordinaire no 174, du 24 décembre 1655, page 1462). Louis xiv quitta Vincennes le 27 décembre pour partir à la rencontre du duc de Modène et rentrer avec lui dans Paris (Levantal).

Montglat (Mémoires, page 313, année 1656) :

« Cette année commença par l’arrivée du duc de Modène à Paris, pour confirmer l’union étroite qu’il avait faite avec la France. Il fut reçu au bois de Vincennes par le roi, qui le ramena dans son carrosse au Louvre, où il fut logé, défrayé et servi par les officiers de Sa Majesté ; et durant qu’il fut à la cour, on n’oublia rien pour le divertir, et tous les courtisans firent ce qu’ils purent pour lui faire voir les magnificences de la France. Cet excès de bon traitement donna jalousie au duc de Mantoue, qui n’avait pas été reçu de même, {a} et commença à l’aliéner du zèle qu’il avait pour le parti de la France ; mais l’alliance que le duc de Modène avait prise avec le cardinal Mazarin était cause du grand empressement qu’avaient tous les grands à lui faire passer le temps, dans la pensée de plaire au favori ; et par là, de faire leurs affaires. Les ducs et pairs gentilshommes ne le virent point chez lui parce qu’il ne leur voulut pas donner la main ; {b} et le duc de Guise et les autres princes de la Maison de Lorraine n’en firent pas de difficulté. Ce duc demeura tout le mois de janvier à Paris ; puis il en partit pour retourner en Italie. »


  1. V. note [27], lettre 415.

  2. Les saluer.

4.

« vôtre jusqu’à la mort ».

5.

« Dieu fasse que cela avance bien. »

V. note [49], lettre 166, pour l’Universa Medicina… de Barthélemy Pardoux (Perdulcis). L’autre livre annoncé était les :

Lazari Riverii, consilarii et medici regii, necnon in Monspeliensi Universitate medicinæ professoris, ac doctorum Monspeliensium decani, Institutiones medicæ in quinque libros distinctæ, quibus totidem medicinæ partes, Physiologia, Pathologia, Semeiotice, Hygieine, et Therapeutice dilucide explicantur. Opus accuratissimum, ac philiatris omnibus vtilissimum.

[Institutions médicales de Lazare Rivière, {a} conseiller et médecin du roi, ainsi que professeur de médecine en l’Université de Montpellier et doyen des docteurs de Montpellier, distribuées en cinq livres, où sont expliquées avec éclat toutes les parties de la médecine, physiologie, pathologie, sémiotique, hygiène et thérapeutique. Ouvrage extrêmement soigné et utile à tous les étudiants de médecine]. {b}


  1. Mort en 1655, v. note [5], lettre 49.

  2. Lyon, Antoine Cellier, 1656, in‑4o.

    L’épître dédicatoire de l’imprimeur est adressée à Nobilissimo, Spectantissimoque Viro, D. Andreæ Falconeto, doctori medico Monspeliensi, consiliario medicoque regio, necnon Collegio medd. Lugdun. Aggregato, eiusdemque urbis exconsuli meritissimo [Me André Falconet, très noble et estimé docteur en médecine de Montpellier, conseiller et médecin du roi, ainsi qu’agrégé au Collège des médecins de Lyon et ancien consul très méritant de la même ville] qui avait contribué à cette édition posthume. On y apprend que Falconet était premier médecin de l’archevêque de Lyon.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 24 décembre 1655

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(Consulté le 29/04/2024)

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