L. 451.  >
À André Falconet,
le 19 novembre 1656

Monsieur, [a][1]

J’ai parlé à M. le comte de Rebé [2] de la réponse que j’avais faite pour votre religieuse [3] menacée d’hydropisie ; [1][4] il dit qu’il l’a envoyée à Lyon par l’ordinaire. Pour ma description de la reine de Suède, [2][5] je suis bien aise qu’elle vous ait plu. On dit qu’elle a passé de Turin [6] à Casal, [7] et qu’elle s’en va à Venise, [8] si elle n’y est déjà. Je ne connais rien au dessein de cette princesse ni quelle fin auront ses aventures, mais je pense qu’elle voyage d’esprit aussi bien que de corps. J’apprends que Bourdelot [9] est à Paris et qu’il fait l’homme d’État, mais ce n’est qu’un fourbe qui n’en trompera pas tant qu’il voudrait. Il y a ici beaucoup de gens qui le connaissent bien et plusieurs autres qui ne le connaissent pas pour ce qu’il est (votre bon ami Lucain [10] a dit quelque part Fatis accede deisque, et cole felices, miseros fuge ; [3] c’est où l’on délibère de la mort de Pompée, [11] au livre 8). M. de Narbonne [12] en fait état, c’est peut-être qu’il a fait fortune et qu’il est aujourd’hui abbé en récompense. Il y a aussi bien des honnêtes gens qui ne voudraient pas se fier à lui. Il a traité M. Dupuy, [13] garde de la Bibliothèque du roi, [14] qui fut hier enterré. [4]

J’ai reçu les deux exemplaires du livre nouveau du jésuite : c’est le P. Théophile Raynaud [15] (non pas Raymond) qui a merveilleusement écrit, [5] mais je n’ai pas tout ce qu’il a fait ; il est l’ami intime de M. Guillemin [16] votre collègue. Je trouve bien cher le Theatrum vitæ humanæ de M. Huguetan, [6][17][18] je ne sais si avec le temps il ne rabaissera point ; obligez-moi seulement de lui dire qu’il m’en fasse choisir un beau et bien conditionné, et qu’il me l’adresse ; je le paierai de deçà à qui il voudra ou bien je lui enverrai l’argent à Lyon. Je vous remercie des Institutions de M. Rivière [19] que vous voulez envoyer à mon fils aîné. [7][20] Vous nous faites trop de bien, et plus que je ne mérite.

M. Moreau [21] est mort le mardi 17e octobre à quatre heures du soir et âgé de 72 ans ; M. Guillemeau, [22] le samedi 21e d’octobre, à quatre heures trois quarts du matin âgé de 68 ans ; et le lendemain, dimanche 12e d’octobre à quatre heures du soir, mourut d’une apoplexie [23] M. Le Clerc [24] qui était aussi des nôtres, âgé de 74 ans ; c’était bien vivre et bien longtemps pour un ivrogne, mais qui avait bien de l’esprit. Tout Paris regrette les deux premiers qui étaient excellents en leur genre. L’un ne songeait qu’à faire du bien au public. L’autre aimait ses plaisirs, et ne voyait point de malades : grande chère et beau jeu, il se plaisait aux bonnes compagnies et il avait les plus belles de Paris ; il voulait que je l’allasse voir deux fois par semaine et que j’y menasse un de mes grands fils, mais il souhaitait bien plus Carolus [25] avec qui il prenait plaisir de s’entretenir ; c’était toujours le soir et il nous envoyait quérir en carrosse ; il ne soupait point, un bouillon de restaurant [26] lui suffisait ; [8] mais il nous faisait toujours festin, et nous renvoyait chargés de confitures et de fruits rares ; il était magnifique en prince. [9]

Beaucoup de gens croient que le cardinal de Retz [27] est ici autour de Paris, mais cela est fort incertain, joint qu’il y serait en danger. Le quinquina [28] des jésuites de Rome n’a guéri personne ici et il n’en est plus mention nulle part. Barbarus ecce iacet, nec erit cum nomine, pulvis[10] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur, vôtre, etc.

De Paris, ce 19e de novembre 1656.


a.

Bulderen, no cx (tome i, pages 281‑283) ; Reveillé-Parise, no ccccxlvii (tome iii, pages 67‑69).

1.

V. note [5], lettre 416, pour Marie de Riant, dont la mère était née Marie de Rebé.

2.

V. lettre à André Falconet, du 6 octobre 1656.

3.

« Rangez-vous du parti des dieux et du sort ; honorez les heureux et repoussez les misérables » : Lucain, La Pharsale (livre viii, vers 486‑487), passage où Pothin ose proposer à Ptolémée xiii le meurtre de Pompée (v. note [1], lettre 101).

4.

Jacques Dupuy, le frère de Pierre, tous deux amis de Guy Patin.

5.

Le dernier livre du P. Théophile Raynaud dont a parlé Guy Patin dans ses lettres était alors son traité sur les eunuques, paru sous le pseudonyme de Joannes Heribertus (Dijon, juin 1655, v. note [17], lettre 387).

6.

Guy Patin a souvent parlé de la réédition à Lyon, par Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud, du « [Grand] Amphithéâtre de la vie humaine… » de Laurens Beyerlinck (Cologne, 1631, 8 volumes in‑4o, v. note [36], lettre 155). On en discutait déjà le prix, mais il ne parut qu’en 1665-1666.

7.

V. note [5], lettre 429, pour les Institutions de Lazare Rivière (Lyon, 1656).

8.

Restaurant (Furetière) :

« aliment ou remède qui a la vertu de réparer les forces perdues d’un malade ou d’un homme fatigué. Un consommé, un pressis de perdrix sont de bons restaurants. Le vin, l’eau-de-vie, les potions cordiales sont de bons restaurants pour ceux dont les esprits sont épuisés. Il y a des restaurants distillés à l’alambic qui sont des extraits de chairs succulentes et délicates avec mie de pain blanc et des eaux et poudres cordiales, des conserves et électuaires, et autres choses de bonne substance et odeur. La gelée est une espèce de restaurant, mais elle est plus alimenteuse et de consistance plus ferme que le restaurant, qui est liquide. »

9.

Magnifique : « celui qui est splendide, somptueux, qui se plaît à faire dépense en choses honnêtes. C’est la principale qualité des princes d’être magnifiques. Le magnifique ne fait état des richesses que pour faire paraître la grandeur de son âme, sa libéralité » (Furetière). Toute cette description concerne le feu Charles Guillemeau.

10.

« Voilà la poudre barbare mise à terre, et on oubliera jusqu’à son nom » (sans source identifiée).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 19 novembre 1656

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(Consulté le 26/04/2024)

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