L. 481.  >
À Claude II Belin,
le 19 mai 1657

Monsieur, [a][1]

Il est vrai que l’an 1626, M. Des Gorris [2] fit ici soutenir une belle thèse [3] pour la saignée, [4] laquelle je vous enverrai quand il vous plaira si elle n’est chez vous. Il a dessein de les faire réimprimer toutes deux ensemble avec des commentaires, je voudrais qu’il l’eût fait. [1] Tout le monde déteste ici l’antimoine [5] avec raison, et néanmoins Guénault [6] et le Gazetier [7] en ont donné depuis six jours à un nommé M. Du Gué de Bagnols, [8] jadis maître des requêtes et grand janséniste, qui mourut le jour même. O pudor, o stolidi præceps væsania voti ! [2][9] Il faut être bien impudent et ne se guère soucier de la vie des hommes d’employer ce poison. Je fais leçon à Cambrai [10][11] trois fois la semaine maximo auditorum concursu[3] mais j’espère que pas un d’iceux n’en abusera jamais. Tous les rhumes [12] sont passés, il ne reste ici que de la rougeole, [13] où la saignée fait merveilles. [14] Le roi [15] est à Compiègne. [16] On dit que Cromwell [17] nous envoie 6 000 Anglais pour mettre dans notre armée, qui doivent prendre terre à Boulogne. [18] Io. Ruffus < sic > Tigurinus était de Zurich, son livre n’est pas grande chose, prenez-le si on vous le veut donner. [4][19][20] Le pape [21] a fait des cardinaux nouveaux, dont il n’y a pas de jésuites ; quidam scriptor de illo grege [5][22] a tâché de réfuter l’Histoire du concile de Trente du Fra Paolo, [23] mais il n’y a rien fait qui vaille, c’est un in‑fo en italien. Nous sommes à la veille de rompre avec les Hollandais. On achève à Lyon, le Varandæus in‑fo[24] ce sera un bon livre ; on commence ici un in‑fo qui sera l’Histoire de la vie du cardinal de Richelieu sur les mémoires de Mme d’Aiguillon, [25] ce sera une histoire plâtrée[6][26] M. Duchesne [27] le fils a fait l’Histoire des cardinaux français ; il y aura deux volumes in‑fo, le premier est à moitié fait. [7] Je vous baise les mains, à M. Allen, à monsieur votre fils, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin

De Paris, ce 19e de mai 1657.


a.

Ms BnF no 9358, fo 164, « À Monsieur/ Monsieur Belin, le père,/ Docteur en médecine,/ À Troyes. » ; Reveillé-Parise, no cxxxii (tome i, page 226).

1.

Guy Patin a mal construit sa phrase. Il évoquait, avec une erreur d’un an sur la date (27 février 1625), la thèse cardinale de Guillaume Dupré, présidée par Jean iii Des Gorris contre ceux qui accusaient les médecins de Paris de recourir trop souvent à la saignée (v. note [2], lettre 121).

V. note [11], lettre 453, pour les Opuscula iv de Jean iii Des Gorris (Paris, 1660) qui contiennent ses deux thèses cardinales sur la méthode thérapeutique des médecins de Paris.

2.

« Ô honte ! ô aveugle folie du désir insensé ! » : George Buchanan, De Sphæra [La Sphère], livre i, vers 678, Poemata, page 444 (Amsterdam, 1641, v. première notule {a}, note [11], lettre 65).

Guillaume Du Gué, sieur de Bagnols (Lyon 1616-Paris 15 mai 1657), conseiller au Parlement de Paris en 1637, était devenu maître des requêtes en 1643, puis conseiller d’État. Veuf à 32 ans avec quatre enfants, il s’était tourné vers les jésuites, mais trouvant trop légères leurs pénitences, il avait opté pour Port-Royal, abandonnant sa charge en 1652 et se retirant au château de Saint-Jean-des-Troux pour y fonder une école janséniste. Du Gué de Bagnols avait consacré toute sa grande fortune familiale aux restaurations et aménagements de Port-Royal-des-Champs, et tous ses talents de magistrat à la défense du jansénisme contre la censure des Cinq Propositions de Jansenius (Dictionnaire de Port-Royal, pages 361‑362).

3.

« avec grand concours d’auditeurs » ; dans les leçons que Guy Patin donnait au Collège de France, il s’échinait sans relâche à démolir la médecine chimique des modernes, et à prôner la médecine botanique et la saignée des anciens.

4.

Le seul « Io. Ruffus Tigurinus » dont j’ai trouvé trace ne correspond pas exactement à cet énoncé : Jacobus Rueffus (Jacob Rueff) est un chirurgien suisse du xvie s., natif de Zurich (Tigurinus) et auteur d’un traité intitulé :

De Conceptu, et Generatione Hominis : De matrice et eius partibus, nec non de conditione infantis in utero, et gravidarum cura et officio : De partu et parturentium, infantiumque cura omnifaria : De differentiis non naturalis partus et earundem curis : De Mola aliisque falsis uteri tumoribus, simulque de abortibus et monstris diversis, nec non de conceptus signis variis : De sterilitatis causis diversis, et de præcipuis Matricis ægritudinibus, omniumque horum curis variis, libri sex, opera clarissimi viri Iacobi Rueffi, Chirurgi Tigurini quondam congesti. Nunc denuo recogniti et in plerisque locis castigati, picturis insuper convenientissimis fœtus primum in utero siti, deinde in partu, mox etiam matricis et instrumentorum ad partum promovendum et extrahendum pertinentium, illustrati, ornati, et in usum eorum qui parturentibus et obstetricibus consulere debent, typis evulgati.

[Six livres du très distingué M. Jacobus Rueffus, chirurgien de Zurich sur la Conception et la Reproduction humaines : sur la matrice et ses partie, ainsi que sur la condition de l’enfant dans l’utérus, et sur les soins et assistance des femmes enceintes ; sur l’accouchement et les soins de toutes sortes à donner aux parturientes et aux nouveau-nés ; sur les différentes sortes d’accouchement non naturel et leurs traitements ; sur la mole {a} et les autres fausses tumeurs de l’utérus, tout comme sur les avortements et les divers genres de monstres, ainsi que sur les divers signes de la grossesse ; sur les causes variées de stérilité, et les principales maladies de la matrice et leurs traitements. Jadis rassemblés, les voici maintenant publiés à nouveau pour l’usage de ceux qui doivent procurer leurs conseils aux parturientes et aux sages-femmes. Ils ont été revus et corrigés en maints endroits, et en outre enrichis et illustrés de figures très commodes montrant le fœtus, d’abord en position dans l’utérus, puis au cours de l’accouchement, ainsi que les instruments requis pour provoquer le travail et l’extraction]. {b}


  1. V. note [21], lettre 419.

  2. Francfort, 1587, Petrus Fabricius, in‑4o richement illustré de de 91 pages (première édition en allemand, ibid. 1554) : c’était sans doute bien le livre dont voulait parler Guy Patin, en disant que ce n’était « pas grande chose », eu égard à son modeste volume : il a joui d’un juste renom et vaut largement le coup d’œil.

    L’article d’Éloy sur Ruef dénonce la bévue des auteurs qui, faute de l’avoir correctement lu, lui ont attribué la description de la circulation du sang « plus de cent ans avant Harvey ».


En latin, Rueff est aussi auteur du :

Libellus de Tumoribus quibusdam phlegmaticis non naturalibus, opera Iacobi Rueff Chirugi Tigurini ex veteribus et recentioribus Chirurgis collectus.

[Petit livre sur certaines Tumeurs inflammatoires non naturelles, recueilli chez les chirurgiens anciens et modernes par les soins de Jacobus Rueff, chirurgien de Zurich]. {a}


  1. Zurich, Frosch, 1556, in‑4o de 59 pages, avec deux illustrations situant les tumeurs (externes) sur un homme représenté de face et de dos.

5.

« un certain écrivain de ce troupeau » ; v. notes [21], lettre 480, pour la dernière promotion de cardinaux à Rome, et [26], lettre 477, pour l’Istoria del concilia di Trento (Rome, 1656-1657) du cardinal jésuite Francesco Maria Sforza Pallavicino, contre celle du servite Fra Paolo.

6.

V. notes [10], lettre 485, pour les Opera omnia de Jean Varanda, en cours d’impression à Lyon chez Christophe Fourmy, et [6], lettre de Charles Spon, le 15 mars 1657, pour l’Histoire et les Mémoires de la vie de Richelieu, rédigés par Antoine Aubery (Paris, 1660) d’après les archives que conservait sa nièce, la duchesse d’Aiguillon.

7.
Histoire de tous les cardinaux français de naissance, ou qui ont été promus au cardinalat par l’expresse recommandation de nos Rois, pour les grands services qu’ils ont rendus à leur État et à leur Couronne : comprenant sommairement leurs Légations, Ambassades et Voyages par eux faits en divers Pays et Royaumes, vers les Papes, Empereurs, Rois, Potentats, Républiques, Communautés et Universités, pour Affaires importantes à l’Église universelle, et à l’Auguste Majesté de nos Souverains. Enrichie de leurs armes et de leurs portraits. Divisée en deux tomes, et justifiée par les Titres et Chartes du Trésor de Sa Majesté, Arrêts des Parlements de France, Registres des Chambres des Comptes ; Donations, Fondations, Épitaphes, testaments, Manuscrits, Anciens Monuments, Chroniques et Cartulaires d’Abbayes, et autres Histoires publiques et particulières. Par François Duchesne, fils d’André, {a} Conseiller du Roi en ses Conseils, Historiographe de France. {b}


  1. François Duchesne (Paris 1616-1693), fils d’André (v. note [22], lettre 75).

  2. Paris, « aux dépens de l’auteur et se vendent chez lui », 1660, un volume in‑fo illustré, dédié à Nicolas Fouquet, et divisé en deux parties de 723 pages (Histoire) et 632 pages (Preuves).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 19 mai 1657

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(Consulté le 26/04/2024)

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