L. 966.  >
À André Falconet,
le 20 septembre 1669

Monsieur, [a][1]

Enfin, Mme de Vendôme [2] est morte et les médecins ont bon temps car il n’y a point ici de malades, si ce n’est quelques dysenteries. [3] La reine d’Angleterre [4] est aussi morte à Colombes d’un médicament narcotique. Dieu nous veuille, par sa sainte grâce, préserver de l’opium [5] et de l’antimoine ! [6] Le roi [7] est en colère contre Vallot [8] de ce qu’il a donné une pilule de laudanum [9][10] à la feu reine d’Angleterre. [1] Les charlatans [11] tâchent avec leurs remèdes chimiques [12] de passer pour habiles gens et plus savants que les autres, mais ils s’y trompent bien souvent et au lieu d’être médecins, ils deviennent empoisonneurs. Ils se vantent de préparation et ce n’est que de l’imposture. Thaïs était anciennement une belle putain, qui tâchait de passer pour femme de bien et qui se déguisait tant qu’elle pouvait : [2][13] ainsi fait la chimie auprès de la médecine. Il court ici des vers sanglants contre Vallot, et entre autres cette épigramme : [14][15]

Le croiriez-vous, race future,
Que la fille du grand Henri
Eut en mourant même aventure
Que feu son père et son mari ?
Tous trois sont morts par assassin,

Ravaillac, Cromwell, Médecin :
Henri d’un coup de baïonnette,
Charles finit sur un billot,
Et maintenant meurt Henriette
Par l’ignorance de Vallot.

On me vient dire que M. le Dauphin [16] n’est pas encore bien, qu’il est fort maigre et a les jambes bien faibles. Dieu lui redonne bientôt la santé, la France a grand besoin que cet enfant vive. François ier [17] perdit son dauphin à 18 ans et, en même temps, sa bonne fortune. [3][18] Cette déesse aveugle [19] aime les jeunes gens et ne fait point de miracle pour les vieux. [4] Adieu.

De Paris, ce 20e de septembre 1669.


a.

Du Four (édition princeps, 1683), no clxxii (pages 464‑466) ; Bulderen, no ccccxcix (tome iii, pages 325‑326) ; Reveillé-Parise, no dccxci (tome iii, pages 705‑706).

1.

Morte à 60 ans, le 10 septembre, dans sa maison de Colombes, la reine mère d’Angleterre, Henriette-Marie de France (v. note [12], lettre 39), était la plus jeune fille de Henri iv et de Marie de Médicis. Épouse en 1625 de Charles ier d’Angleterre, elle était veuve depuis 1649.

Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome ii, page 572, année 1669) :

« Au mois de septembre mourut la reine d’Angleterre après avoir été longtemps malade. L’on impute sa mort prompte à un petit grain d’opium que lui donna M. Vallot pour la faire dormir, contre l’avis de son médecin ordinaire. En effet, elle mourut une heure après l’avoir pris, dont les ennemis de M. Vallot ont fait grand bruit, jusqu’à dire qu’il en serait disgracié. »

2.

Thaïs était une hétaïre (danseuse professionnelle) athénienne du ive s. av. J.‑C. Ménandre, le poète comique (v. notule {a}, note [46], triade 86 du Borboniana manuscrit), l’aima et donna son nom à l’une de ses pièces. Elle séduisit Alexandre le Grand qui l’emmena en Asie. Le roi conquérant n’aurait, semble-t-il, même pas pu lui refuser, lors d’une orgie, l’incendie de Persépolis. Alexandre mort, Ptolémée le remplaça dans les bras de Thaïs et eut d’elle deux enfants ; devenu satrape d’Égypte, il y emmena son amante (G.D.E.L.).

Il y eut aussi, au ive s. de notre ère une prostituée égyptienne, dénommée Thaïs, qui fut canonisée après avoir reconnu Dieu, s’être séparée de tous ses biens, et emmurée dans un couvent trois ans durant ; mais le contexte conduit plutôt ici à la première de ces deux femmes.

V. note [27], lettre latine 98, pour la Thaïs des Épigrammes de Martial, modèle de la femme débauchée.

3.

François, le fils aîné de François ier et de Claude de France, duchesse de Bretagne, était né en 1518 ; dauphin de Viennois et duc titulaire de Bretagne, il mourut en 1536, laissant la couronne à son cadet, qui devint le roi Henri ii en 1547.

4.

V. note [9], lettre 138, pour la déesse Fortune et sa cécité.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 20 septembre 1669

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(Consulté le 04/05/2024)

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