L. latine 268.  >
À Bernhard Verzascha,
le 8 novembre 1663

[Ms BIU Santé no 2007, fo 150 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Bernhard Verzascha, docteur en médecine à Bâle.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Vous m’avez pourvu d’une double et bien grande faveur : tant parce que, vous souvenant de moi, vous m’avez écrit quand votre noble ambassadeur vous en a donné l’occasion, [2] que parce que vous avez voulu me gratifier d’un splendide présent. [1] Je vous adresse des remerciements tout particuliers pour cela, mais avec le souhait de pouvoir vous rendre un jour la pareille, et même de vous offrir quelque chose de plus beau et de meilleur. Je ne désespère pas d’y parvenir enfin, selon que me tombera sous la main quelque chose qui soit digne de vous ou qui égale votre munificence. Je vous sais infiniment gré d’avoir pris la défense de Riolan, notre ancien et mon prédécesseur dans la chaire royale ; [3][4] mais quelle qu’ait été la furie des Zoïle qui se sont emportés contre lui, [5] ç’aura été en vain : jamais leurs entreprises ne seront couronnées de succès car, avant de mourir, il s’est érigé un monument plus durable et plus précieux que l’airain de Corinthe. [2][6] De ce très grand héros qui appartient à la famille d’Esculape, [7] je ne dirai qu’une phrase, c’est celle qu’un roi a prononcée après qu’Alexandre le Grand fut mort : Etiam mortuus adhuc imperat[3][8] Ainsi notre Riolan vit-il et respire-t-il chez tous les honnêtes gens ; aussi longtemps que fleurira l’étude de l’anatomie, il vivra et sera honoré comme un très grand homme, et parfaitement digne de louange éternelle. Jamais je n’ai vu cette virulente préface, j’ignore où et dans quel livre on la lit. [4][9][10] Je recommanderai vos livres à nos libraires qui font affaire en Allemagne, afin qu’ils s’en acquièrent des exemplaires que nos étudiants pourront acheter ; et au printemps prochain, je louerai non sans énergie vos deux ouvrages, quand je reprendrai mes leçons publiques du Collège royal, vers le mois de mars. [11] J’irai voir M. votre ambassadeur et le saluerai aussi obligeamment que je pourrai : mais Dieu fasse qu’il n’ait jamais à requérir le service de notre art. [12] En attendant, très distingué Monsieur, vale et continuez de m’aimer.

De Paris, le 8e de novembre 1663.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin, docteur en médecine et professeur royal.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Bernhard Verzascha, ms BIU Santé no 2007, fo 150 ro.

1.

Bernhard Verzascha avait envoyé deux de ses livres à Guy Patin :

V. note [2], lettre 760, pour la venue des ambassadeurs des cantons suisses à Paris, qui allaient faire leur entrée officielle le 9 novembre. L’un des 35 avait porté la lettre et le paquet de Verzascha à Guy Patin.

2.

Ses livres étaient le monument qu’avait laissé Jean ii Riolan à sa mort, en 1657. Dans l’Antiquité, l’airain de Corinthe (aes Corinthum) avait la réputation de ne pas ternir. Pline en a dit la grande valeur (Histoire naturelle, livre xxxvi, chapitre i ; Littré Pli, volume 2, page 429) :

Proxime dicuntur aeris metalla, cui et in usu proximum est pretium, immo vero ante argentum ac pæne etiam ante aurum Corinthio, stipis quoque auctoritas, ut diximus.

« Parlons maintenant des mines de cuivre, métal placé au troisième rang pour la valeur et pour l’usage. Encore estime-t-on l’airain de Corinthe plus que l’argent, et, peu s’en faut, plus que l’or même. »

3.

« Même mort, il commande encore » (v. note [7], lettre 78).

4.

Dans sa préface des planches du Theatrum anatomicum [Amphithéâtre anatomique] (Bâle, 1640), Johann Caspar i Bauhin avait défendu la mémoire de son père en étrillant rudement Jean ii Riolan (v. note [1], lettre latine 297). Cela avait choqué et même outré Bernhard Verzascha, qui déclara sa vive admiration pour Riolan dans la Præfatio ad Lectorem benevolum [Préface au bienveillant lecteur] de son abrégé de la Médecine pratique de Lazare Rivière (Bâle, 1663, v. supra note [1]), quand il explique pourquoi il a publié ce livre : {a}

Alterum est, quod gravibus ac urgentibus causis Johanni Riolano Filio, Anatomicorum Principi, quem titulum ipsi Simon Pauli Regius Hafniensis Medicus exhibuit, justas vindicias scripserimus, uti ex hac epitometam clare constiturum speramus, ac clari Solis radii esse solent, cum sudum est.

Gratias sane immortales ex judicio Magni ingeniorum Æstimatoris Guerneri Rolfincii in præfatione dissert. anatom. Duum-Viris illis Harveo et Riolano debemus : illi quod novi instar Columbi in microcosmo universalem circulationem invenerit : huic quod ceu alter Vespucius nova multa inventæ navigationi adjecerit, novam circulandi viam detexerit, tam speciosam doctrinam ex Antiquitatis fontibus erutam suis gravissimis monumentis nobilitarit, et ceu particularem certis limitibus circumscripserit : porro nota sunt Orbi Erudito sententiarum anatomicarum de vasis lacteis et lymphaticis divortia, quæ editis in lucem scriptis Riolanus ac Bartholinus propugnant, attamen ex laudabili candore Magnus Bartholinus sub finem defensionis suæ in hæc verba erumpit : ut Riolane de sincero meo affectu sis certus et quantum virtutem etiam in hoste laudem, si debitum naturæ ante solveris, quam fragiles mei corporis artus anima fugerit, cum Scipione Æmiliano, qui Metellum inimicum post fata etiam colebat, litteratis omnibus sum dicturus : ite, celebrate exequias, nunquam enim civis Majoris funus videbitis : hactenus ο παιων Bartholinus : utinam tam humanos Antagonistas semper expertus fuisset summus Riolanus : et hæc sunt, quæ posthabitis allatrantium Zoilorum morsibus, antequam ad Riverii Contracti lectionem descendant, Mystas Apollineos præmonere voluimus, in quorum utilitatem porro Vivimus et tandem claudemus lumina nostra.

[En second lieu, pour de sérieuses et impérieuses raisons, j’ai voulu revendiquer par écrit le titre que Simon Paulli, médecin royal à Copenhague, avait conféré à Jean Riolan le fils, en le nommant prince des anatomistes ; {b} et j’espère que mon abrégé l’établira aussi clairement que le soleil brille quand il fait beau.

Au jugement du grand arbitre des esprits, Werner Rolfinck, dans la préface de ses Dissertationes anatomicæ, nous devons « d’immortels remerciements à ce duumvir que forment Harvey et Riolan : au premier, parce qu’à l’instar d’un nouveau Christophe Colomb, il a découvert la circulation universelle dans le microcosme ; au second, parce que, tel un second Amerigo Vespucci, il a ajouté de nombreuses innovations à la manière de naviguer, et mis au jour une voie nouvelle pour circuler ; par ses très puissants ouvrages, il a fait connaître sa fort brillante doctrine tirée des sources de l’Antiquité et en particulier, il en a établi les contours solides ». {c} En outre, le monde savant connaît les avis divergents des anatomistes sur les vaisseaux lactés et lymphatiques, et comment, par les livres qu’ils ont publiés, Riolan et Bartholin se sont attaqués l’un l’autre ; toutefois, à la fin de sa Defensio, Bartholin a eu un élan de louable candeur, avec ces mots : « Pour vous assurer, Riolan, de ma sincère affection pour vous et à quel point je loue la vertu, même chez un adversaire, si vous mourez avant moi, {d} alors, je parlerai à tous les savants comme a fait Scipion Émilien, qui vénéra son ennemi Métellus même après qu’il fut mort : ite, celebrate exequias, nunquam enim civis Majoris funus videbitis. » {e} Le salutaire Bartholin est toujours en vie ; j’aurais souhaité que l’immense Riolan eût toujours connu des adversaires aussi aimables. Avant qu’ils ne se lancent dans la lecture de mon Rivière abrégé, de préférence aux morsures des Zoïle aboyants, {f} voilà comment j’ai voulu prévenir les Mystæ Apollini ; {g} et à leur intention, j’ajouterai que « Nous vivons et à la fin nous fermerons les yeux »]. {h}


  1. Détestant Rivière, Guy Patin n’avait pas même dû ouvrir l’abrégé qu’en avait donné Verzascha.

  2. Rivière avait sans doute lu cela dans le § 80, page 98 de la Παρεκβασισ[Digression] sur les fièvres de Simon i Paulli, {i} sur la coagulation du sang dans la veine au cours de la phlébotomie :

    Quid quod Incomparabilis Anatomicus, Pater et Princeps Anatomicorum, Præceptor meus ætatem colendus, joannes riolanus […] testetur […].

    Ce dont l’incomparable anatomiste jean riolan, le père et les prince des anatomistes, mon maître à honorer éternellement, {ii} (…) témoignerait (…)].

    1. Francfort, 1660, V. note [3], lettre latine 238.

    2. V. note [1], lettre 836, pour la dévotion Paulli à la mémoire de Riolan. Plusieurs auteurs lui ont donné le titre de « prince des anatomistes », avant et après Paulli (et parfois par dérision).

  3. V. note [2], lettre latine 52, pour les « Dissertations anatomiques » de Werner Rolfinck (Nuremberg, 1656), avec l’extrait de leur préface qui rend un vibrant hommage à William Harvey et à Jean ii Riolan ; Verzascha le reprenait ici mot pour mot (passage mis entre guillemets).

  4. Littéralement : « si vous acquittez votre dette envers la nature avant que la vie n’ait quitté les membres de mon corps ».

  5. « Allez, célébrez les funérailles, car jamais vous ne verrez celles d’un plus grand citoyen ! » (Pline, Histoire naturelle, livre vii, chapitre xlv, Lit Pli, volume 1, page 303).

    V. note [1], lettre latine 45, pour la Thomæ Bartholini Defensio Vasorum lacteorum et lymphaticorum adversus Joannem Riolanum… [Défense des vaisseaux lactés et lymphatiques, de Thomas Bartholin contre Jean Riolan…] (Copenhague, 1655). L’emprunt de Verzascha se trouve à la 168e et dernière page du livre.

    Valère Maxime (Faits et dits mémorables, livre iv, chapitre i, § 12) a mieux expliqué que Pline l’histoire que citait Bartholin (en y inversant apparemment les rôles car Scipion Émilien mourut en 129 av. J.‑C., et Métellus 13 ans plus tard, en 116) :

    Acerrime cum Scipione Africano Macedonicus dissenserat, eorumque ab æmulatione virtutis profecta concitatio ad graves testatasque inimicitias progressa fuerat : sed tamen, cum interemptum Scipionem conclamari audisset, in publicum se proripuit mæstoque vultuet voce confusa “ concurrite, concurrite ” inquit, “ ciues ! mœnia nostræ urbis eversa sunt : Scipioni enim Africano intra suos penates quiescenti nefaria vis allata est ”. O rem publicam pariter Africani morte miseram et Macedonici tam humana tamque civili lamentatione felicem ! Eodem enim tempore et quantum amisisset principem et qualem haberet recognovit. Idem filios suos monuit ut funebri eius lecto humeros subicerent, atque huic exequiarum illum honorem vocis adiecit, non fore ut postea id officium ab illis maiori viro præstari posset. Ubi illa tot in curia iurgia ? Ubi tot pro rostris altercationes ? Ubi maximorum civium et ducum tantum non togata prœlia ? Omnia nimirum ista præcipua veneratione prosequenda delevit moderatio.

    [Métellus le Macédonique avait eu de très vifs dissentiments avec Scipion Émilien et leur rivalité, quoique née d’une vertueuse émulation, avait dégénéré en une haine violente et déclarée. Mais, lorsqu’il eut entendu retentir la nouvelle de l’assassinat de Scipion, il s’élança hors de chez lui l’air consterné et criant d’une voix émue : « Au secours ! Citoyens, au secours ! Le rempart de Rome est renversé ! Scipion, pendant son sommeil et dans sa maison, vient d’être frappé par une main criminelle. » Ô république, aussi à plaindre de la mort de Scipion qu’heureuse d’entendre les plaintes si humaines et si patriotiques de Métellus le Macédonique ! Car dans le même instant elle put comprendre quel grand citoyen elle venait de perdre et quel grand citoyen elle conservait. Le même Métellus invita ses fils à porter sur leurs épaules le lit de parade de Scipion et à ces honneurs funèbres il n’ajouta pas un hommage moindre en leur disant que jamais ils n’auraient à rendre un pareil devoir à un plus grand homme. Qu’étaient devenues tant de querelles violentes en plein sénat, tant d’altercations dans l’assemblée du peuple, tant de combats que de si grands capitaines, de si grands citoyens s’étaient livrés pour ainsi dire en pleine paix ? Tous ces souvenirs avaient été abolis en lui par l’effet d’une modération digne d’un profond respect].

  6. V. note [5], lettre latine 221, pour Zoïle, type antique du critique jaloux.

  7. Les « initiés aux mystères d’Apollon » (dieu de la guérison, v. note [8], lettre 997), c’est-à-dire les médecins.

  8. Sans source latine que j’aie su trouver.

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 150 ro.

Clarissimo Viro D. Bernardo Verzaschæ, Med. Doct. Basileam.

Duplici eóque maximo me affecisti beneficio, Vir Cl. tum quod mei
recordatus, data occasione generosi Viri Legati vestri, ad me scripseris :
tum etiam quod egregio munere beare me volueris : quo nomine gratias ago
Tibi singulares : sed utinam aliquando possim Tibi retaliare : et etiam aliquid
præstantius atque melius referre : quod me tandem facturum non despero,
prout nobis occurret aliquid Te dignum, vel tuæ munificientiæ analogum.
Quod Riolano Seniori nostro, et in Cathedra regia Antecessori meo, vindicia scripseris
gratias habeo quam maximas ; sed quidquid in eum Zoili debacchentur,
totum illud frustra erit, et eorum conatus irriti, numquam succedent,
quoniam ante obitum sibi nonimentum erexit ære Corinthiaco perennius
atque pretiosius : verbo dicam de illo summo heroe in familia [Æscu-]
lapij, quod olim rex ille de Alexandro magno, postquam fatis [cesserat]
Etiam mortuus adhuc imperat : sic apud omnes bonos vivit et spirat Riolanus
noster : et quamdiu florebit Anatomicum studium, tamdiu vivet atque lau-
dabitur noster Riolanus, tanquam vir summus, ac æterna laude dignissimus.
Virulentam illam Præfationem numquam vidi : ubinam et in quo libro legatur,
nescio. Bibliopolis nostris in Germania agentibus libros tuos commendabo, ut inde sibi
exornent aliquot Exemplaria quæ possint emere nostri Candidati, quib. utrumque
Opus non segniter laudabo vere proximo, quum publicas Prælectiones meas
circa Martium mensem in regia Schola repetam. Dominum Legatum ves[trum]
adibo, et quantum in me erit, officiosissimè salutabo : sed utinam Artis n[ostri]
benificio nusquam indigeat. Interea v. Vir Cl. vive, vale, et me amare [perge.]
Parisijs, 8. Nov. 1663. Tuus ex animo, Guido Patin, Doctor Med. et P[rof. regio.]


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Bernhard Verzascha, le 8 novembre 1663

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(Consulté le 03/05/2024)

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