L. latine 325.  >
À Johann Georg Volckamer,
le 27 novembre 1664

[Ms BIU Santé no 2007, fo 180 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Johann Georg Volckamer, à Nuremberg.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Pour répondre de nouveau à votre récente lettre, je voudrais vous aviser que M. Picques [2] m’a remis votre dernier paquet ; comme je vous l’ai dernièrement écrit, j’y ai trouvé les livres de M. Eckard Leichner [3] et de M. Felwinger ; [4] mais j’attendrai patiemment celui que vous promettez encore et lui écrirai ensuite. [1] Philippus Carolus a été un savant et pénétrant philologue ; [5] je ne le connais pas autrement que par ses livres, mais je suis peiné qu’il n’ait pas mis assez de prudence à se garder des petits renards fourbes et rusés, qui instar leonis rugientis totum orbem circumeunt quærentes quem clam vel palam devorent : [2][6][7][8] comprenez-vous ce que je veux dire ? Ce sont ceux que le très distingué Petrus Aurelius, célèbre théologien, [9] a appelés non moins sincèrement que justement, omnium adulatores, omnium inimici[3] Mais dites-moi, je vous prie, de quelle nationalité était Philippus Carolus, était-il allemand, natif de Nuremberg, ou polonais ? Comme lui, Jean Barclay, auteur de l’Argenis[4][10] périt à Rome en 1621 par les pernicieux stratagèmes de ceux de cette engeance, Italo perfusus aceto[5][11] En ce temps-là, j’étais encore jeune homme et me rappelle en avoir entendu parler par un très savant évêque qui connaissait ces hommes intus et in cute, et les haïssait comme les plus fourbes et les plus scélérats des Sinon. [6][12][13][14] Mais qu’est-il ensuite advenu de l’épouse et des enfants de Philippus Carolus ? Je déplore leur infortune, mais que pourrais-je y faire ? Le vers de Lucrèce suffirait-il à me consoler, Tantum religio potuit suadere malorum ! [7][15] Dirais-je comme le plus pénétrant des poètes ? [16]

O genus attonitum gelidæ formidine mortis,
Quid Styga, quid tenebras, quid nomina vana timetis,
Materiem vatum, etc.
 [8][17]

Le Fragmentum Petronii n’est pas encore publié, on dit pourtant qu’il le sera bientôt ; [18] je chercherai à découvrir s’il est authentiquement de Pétrone ; mais en attendant, je donne grand crédit au jugement du très distingué M. Dilherr. [9][19] Je m’enquerrai du prix exact des instruments chirurgicaux et vous écrirai scrupuleusement tout ce que j’en aurai appris. [20] Je vous confie les lettres ci-incluses et salue vos célèbres compatriotes, ainsi que nos autres anciens amis, en particulier MM. Rolfinck [21] et Conring. [22] J’ai ici Georg Horst parmi mes auditeurs ; [23][24] il est le fils de Johann Daniel Horst, [25] qui m’a récemment écrit à votre propos en se disant votre ami. J’ai bon espoir des études de son fils, il a de bonnes dispositions, est bien élevé et montre grand zèle à apprendre la plus pure médecine. Notre jeune reine a souffert ici d’une fièvre continue, [26][27][28] elle a accouché avant le neuvième mois d’une petite fille, qui vit et se porte bien. [29] Les choses ont mal tourné pour nos soldats en Afrique ; [30] mais avec l’aide de Dieu, nous serons plus sages l’an prochain, à moins que le destin ne fasse obstacle à nos entreprises. [10] Fouquet, [31] jadis notre surintendant des finances, gémit dans les fers depuis plus de trois ans, mais non sans craindre d’être condamné dans quelques mois : des rumeurs de danger se répandent en effet à son sujet, disant que son procès doit se terminer par la corde et la main du bourreau. Dii meliora ! [11][32] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce vendredi 27e de novembre 1664.

Vôtre, etc., G.P.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Johann Georg Volckamer, ms BIU Santé no 2007, fo 180 ro.

1.

Guy Patin avait déjà répondu le 7 novembre 1664 à la lettre que Johann Georg Volckamer lui avait écrite le 7 septembre précédent. Il reprenait la plume pour commenter les livres contenus dans le paquet qu’il avait reçu de son ami le 6 novembre, par l’intermédiaire de Nicolas Picques (v. note [1], lettre latine 321, pour ceux d’Eckard Leichner et de Johann Paul Felwinger). Un autre paquet était en chemin et Patin avait commandé d’autres ouvrages dans son post-scriptum du 7 novembre.

Dans le ms BIU Santé no 2007, la première lettre de Patin à Johann Paul Felwinger est datée du 22 janvier 1665.

2.

« à l’instar du lion rugissant, rôdent par le monde entier, cherchant qui dévorer, en cachette ou au grand jour » ; imitation de la Première épître de saint Pierre (5:8) :

Diabolus tamquam leo rugiens circuit quærens quem devoret.

[Tel le lion rugissant, le diable rôde, cherchant qui dévorer].

La suite et le contexte font comprendre que ces dévoreurs étaient les jésuites que Guy Patin tenait pour ceux qui avaient poussé Philippus Carolus à se convertir au catholicisme (v. note [3], lettre latine 295).

3.

« flatteurs de tout le monde et ennemis de tout le monde » (Petrus Aurelius, pseudonyme du janséniste Jean Duvergier de Hauranne, v. note [5], lettre 204).

4.

Le Io. Barclaii Argenis [Argenis de Jean Barclay (mort le 15 août 1621, v. note [20], lettre 80)] (Paris, Nicolas Buon, 1621, in‑8o, avec dédicace au roi Louis xiii datée de Rome le 1er juillet 1621) a été réédité de nombreuses fois après la mort de l’auteur Cum Clave, hoc est nominum propriorum elucidatione, hactenus nondum edita [Avec la clé, c’est-à-dire, l’éclaircissement des noms propres, qui n’a encore jamais été publiée] (par exemple, à Leyde, Elsevier, 1630, in‑12) ; Gallica met en ligne la traduction française de 1624 (Paris, Nicolas Buon, in‑8o).

Ce fut un des plus grands succès romanesques du xviie s., mêlant aventures guerrières, intrigues amoureuses, et critique à peine masquée des vices courtisans et des abus du pouvoir.

5.

« inondé par le vinaigre d’Italie » ; Horace (Satires, livre i, vii, vers 31‑34, qui forment la conclusion) :

At Græcus, postquam est Italo perfusus aceto,
Persius exclamat : “ per magnos, Brute, deos te
oro, qui reges consueris tollere, cur non
hunc Regem iugulas ? Operum hoc, mihi crede, tuorum est. ”

[Mais après avoir été inondé du vinaigre d’Italie, le Grec Persius {a} s’écrie : « Par les grands dieux, Brutus, {b} je t’en conjure, toi qui as l’habitude d’en finir avec les rois, pourquoi n’étrangles-tu pas ce Rex ? Crois-moi, c’est de ton ressort »]. {c}


  1. Dans cette satire, Rex Rupilius, le proscrit, est l’ennemi juré de Persius, le rustre ; ils se traînent l’un l’autre de procès en procès devant les tribunaux.

  2. Fils adoptif et assassin de Jules César.

  3. Cette référence de Guy Patin est ambiguë, mais suggère que la mort de Jean Barclay pouvait, à son avis, n’avoir pas été tout à fait naturelle, en lien avec tout le mal qu’il avait écrit des jésuites dans son Euphormion (v. note [3], lettre 320).

    Philippus Carolus (v. supra note [2]), quant à lui, n’était pas mort à Rome, mais à Vienne (Autriche).


6.

Dans l’Énéide, Sinon, cousin d’Ulysse, est l’espion grec, modèle du traître habile et menteur qui fit pénétrer le fameux cheval de bois, rempli de soldats ennemis, dans la ville de Troie et ouvrit la porte qui était ménagée dans son flanc (chant ii, vers 195‑198) :

Talibus insidiis periurique arte Sinonis
credita res, captique dolis lacrimisque coactis
quos neque Tydides nec Larisæus Achilles,
non anni domuere decem, non mille carinæ
.

[Voilà par quelles traîtrises, par quel art du parjure, le perfide Sinon a su se faire croire. Ses mots rusés, ses fausses larmes ont capté ceux que le fils de Tydée, Achille de Larissa, dix ans de guerre et mille vaisseaux n’avaient pu dompter]. {a}


  1. En déplorant la traîtrise qui a causé la défaite de Troie, ces vers illustrent le fait que, dans son Énéide, Virgile a transformé Ulysse, héros grec de L’Iliade d’Homère, en Énée, héros troyen (v. note [14], lettre d’Adolf Vorst datée du 4 septembre 1661).

Guy Patin se souvenait ici de son ami Jean-Pierre Camus, évêque de Belley (mort en 1652, v. note [9], lettre 72), ennemi acharné des jésuites.

V. note [16], lettre 7, pour intus et in cute [jusqu’au bout des ongles].

7.

« Tant la religion a pu inspirer de crimes ! » (v. note [12], lettre 334).

8.

« Ô race terrorisée par la crainte de la mort qui glace, pourquoi craindre le Styx, les ténèbres et autres noms vides de sens qui donnent de la matière aux poètes, etc. » (Ovide, Métamorphoses, livre xv, vers 153‑155).

9.

V. note [11], lettre 792, pour les éditions par Pierre Petit et Jacques Mentel (Padoue et Paris, 1664) du Satyricon enrichi du « Fragment de Pétrone » qu’il avait découvert en Dalmatie.

Curieusement, dans la seule lettre à Johann Michael Dilherr que contient notre édition, datée du même jour que celle-ci, Guy Patin ne lui avait pas parlé de ce fragment qu’il jugeait suspect.

10.

V. notes :

11.

« Puissent les dieux nous ménager des jours meilleurs ! » (Virgile, v. note [5], lettre 33).

Le procès de Nicolas Fouquet avait commencé le 14 novembre (v. note [12], lettre 798).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 180 ro.

Cl. Viro D. Io. Georgio Volcamero, Noribergam.

Ut iterum postremæ tuæ respondeam, Vir Cl. monitum Te velim, mihi redditum fuisse per
D. Picques, postremum fasciculum, in quo reperi qædam ut nuper ad Te scripsi, D. Eccardi
Leichneri, et D. Felwingeri :
sed aliud adhuc polliceris, quod patienter expectabo, et postea
scribam ad illum. Phil. Carolus vir fuit eruditus, et acutus Philologus : sed licet eum aliter
non noverim, doleo tamen quod non satis prudenter sibi caverit ab istis stellionibus et astutis
vulpeculis, quæ instar leonis rugientis totum Orbem circumeunt quærentes quem clam
vel palam devorent : intelligis quid velim ? illi sunt à Cl. viro Petro Aurelio, insigni Theologo,
non minus verè quàm appositè nominati, Omnium adulatores, omnium inimici. Sed dic sodes,
cujus erat Phil. Carolus ? an Germanus, et Noribergensis ? an Polonus ? sic perijt Romæ
Io. Barclaijus, author Argenidis, pravis ejusmodi hominum artibus, Italo perfusus aceto,
anno 1621. quod tunc temporis adhuc adolescens memini dictum à doctissimo quodam Episcopo,
qui homines illos intus et in cute noverat et odebat, tanquam vaferrimos et scelestissimos
Sinones. Sed postea quid factum est uxori et libris Ph. Caroli, quorum infortunium lugeo ?
Verùm quid facerem ? an mihi solatium adferet Lucretij decantatus versiculus ? Tantum
Relligio potuit suadere malorum !
An dicam cum ingeniosissimo Poeta ? O genus attonitum
gelidæ formidine mortis, Quid Styga, quid tenebras, quid nomina vana timetis, Materiem
vatum, etc.
Fragmentum Petronij nondum prostat : dicitur tamen brevi proditurum : an sit genuinum
Petronij inquiram, interea v. multum tribuo Cl. Dilheri judicio. De pretio instrumento-
rum Chirurgicorum seriò inquiram, et exactè ad Te scribam de omnibus. Inclusas literas
fidei tuæ committo, et insignes viros saluto, cum veterib. alijs amicis : ex ijs præsertim D. Rol-
finckium et Conringium.
Hîc habeo inter Auditores meos Georgium Horstium, Io. Dan.
Horstij
filium, qui de Te tanquam amico, nuper ad me scripsit : bene spero de studijs
ejus Filij : est bonæ indolis, bene moratus, et discendæ purioris Medicinæ admodum studiosus.
Iunior nostra Regina hîc malè habuit ex febre assidua, et ante tempus requisitum novum mensem peperit
virgunculam, quæ vivit et valet. Militibus nostris parum feliciter cessit in Africa : sed
cum Deo, sapiemus anno proximo, nisi fatum nostris conatibus obstet. Fuquetus, olim
Gazophylax, plusquam à triennio gemit in vinculus, sed non absque metu dam-
nationis intra aliquot menses : periculosi enim rumores de eo sparguntur, ut et de
terminanda ejus lite, per laqueum et manum carnificis. Dij meliora. Vale, Vir
Cl. et me ama. Parisijs, die Ven. 27. Nov. 1664. Tuus etc. G.P.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johann Georg Volckamer, le 27 novembre 1664

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(Consulté le 06/05/2024)

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