De Troyes ce 31e de janvier < 1657 >. [1]
Je suis infiniment obligé à l’honneur de vos dernières qui m’engagent à vous faire de nouvelles supplications pour vous demander si les libraires qui ont acheté la bibliothèque [3] de M. Moreau [4] en ont fait quelque catalogue, et vous me ferez faveur (s’il y en a un) de me l’envoyer afin de contenter mes amis qui en sont désireux, aussi bien que moi. M. Blampignon [5] vous baise humblement les mains et vous remercie de votre avis pour les livres de Hollande qu’il fera acheter par la première commodité ; < et > en mon particulier, < je vous remercie > de toutes vos bonnes nouvelles, entre autres de celles de Messieurs vos enfants qui perpétueront avec bon titre l’honneur de votre maison et de la médecine ; faxit Deus ut vehementer exopto, [2] attendant les thèses [6] que vous me faites la grâce de me promettre. M. Denise, [3][7] notre ami commun et votre voisin, m’a assuré de votre bonne santé, je prie Dieu qu’il vous la conserve longtemps. Depuis 40 ans que je fais la médecine, in ea semper fui hæresi, [4] et y suis encore, qu’il n’y a point de maladies incurables, morbos si excipias hæreditarios. [5] Néanmoins, l’on parle d’établir ici un hôpital des incurables, non pas à la façon de celui du Guzman, [6][8] mais comme celui de Paris, ce qui m’oblige à vous prier de m’apprendre quelle sorte de malades y sont reçus, [9] et si Bruno Seidelius [10] ou Bartholomæus Hubnerus [11] en traitent de quelques-unes, et quelles elles sont, dedans leurs traités de morbis incurabilibus parce que je n’ai jamais vu ces auteurs. [7] Mon fils [12] le médecin vous salue tout particulièrement. Il a trouvé depuis peu les Épîtres de Trithème imprimées Haganoæ in‑4o, [8][13] il croit que c’est dans ces lettres que ce bon abbé dit que les moines de son temps se mêlaient de fondre des métaux, ainsi que vous me l’avez autrefois mandé sur le mot d’antimoine, [14] mais je ne me souviens pas si vous citâtes le lieu où Trithème le rapporte, vous nous en éclairerez. Il y a une chose remarquable dans une lettre du second livre où il dit que l’impression fut trouvée à Mayence ; [9][15][16][17] cette autorité est de près de 200 ans, je ne sais si M. Naudé, [18] M. Mentel [19] et les autres qui soutiennent qu’elle a été trouvée à Strasbourg sont fondés sur une autorité plus ancienne. [10] L’on parle ici bien diversement du procès de M. de Chenailles, [20] je ne doute pas que vous n’en soyez mieux instruit que nous ; aussi bien que de celui de la femme [21] du défunt président Baillet de Dijon [22] qui est renvoyée au Parlement de Paris pour se justifier. Nous avons vu ici la 8e, 9e, et 10e partie de ce procès qui sont la suite de celui du président Giroux, [23] que M. de Saumaise Chasans, conseiller au parlement de Dijon, [24] a envoyées ici à l’un de ses amis. La 8e contient 24 convictions contre cette dame qui sont fort belles à lire. [11] Je prierai M. Gérard d’aller recevoir de vous vos libéralités, savoir les thèses de Messieurs vos fils et la dernière réponse de M. Guillemeau [25] contre M. Courtaud [26] s’il vous en reste quelque copie. Vale et tui amantissimum redama, [12] Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Belin.
1. |
Année illisible en raison d’une déchirure du manuscrit, mais le contenu de cette lettre et la date lisible de celle qui la suit imposent 1657. |
2. |
« ce que Dieu veuille accomplir comme je le désire vivement ». |
3. |
Soit Pierre Denise (maire de Troyes de 1652 à 1656, puis de 1660 à 1664 ; v. note [2], lettre 35), soit « Nicolas Denise (1629-1707), chanoine de Troyes, plus tard aumônier du roi et prédicateur renommé » (selon Finot). |
4. |
« j’ai toujours été dans l’hérésie en ceci ». |
5. |
« si vous exceptez les maladies héréditaires. » |
6. |
Claude ii Belin faisait allusion au roman picaresque intitulé : Le Gueux ou la Vie de Guzman d’Alfarache, {a} Image de la vie humaine. En laquelle toutes les fourbes et méchancetés qui se pratiquent dans le monde sont plaisamment et utilement découvertes. Divisé en trois livres. {b} Ce paragraphe de l’Édit des sottises (seconde partie, livre troisième, page 318) avait pu amuser Belin : « Ceux qui, après s’être mouchés, regardent attentivement et longuement dans leur mouchoir, comme si ce devait être des perles que ce qu’ils ont vidé par le nez, et qu’ils en voulussent faire réserve, nous les condamnons à prendre la qualité de confrères, et à donner autant de fois qu’ils tomberont en faute, quelque chose (à discrétion par aumône) pour l’hôpital des incurables, afin qu’à leur exemple, ceux qui viendront après en fassent autant pour lui, et que Dieu le leur rende. » |
7. |
V. note [13], lettre 286, pour l’hospice des Incurables à Paris.
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8. |
Ioannis Tritemii Abbatis Spanhemensis Epistolarum familiarium libri duo ad diversos Germaniæ Principes, Episcopos, ac eruditione præstantes viros quorum Catalogus subiectus est.
[Deux livres des Épîtres familières de Ioannes Tritemius, {a} abbé de Sapnheim, adressées à divers Allemands, princes, évêques et hommes remarquables pour leur érudition, dont la liste suit]. {b}
En feuilletant ses lettres, je n’ai rien trouvé sur les moines, les métaux et l’antimoine, mais ce passage (pages 90‑91) contre les mauvais alchimistes (lettre datée de Spire le 24 août 1505, adressée à Germain de Ganay, conseiller clerc au Parlement de Paris, doyen de l’église de Beauvais, évêque de Cahors puis d’Orléans, mort en 1520) :
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9. |
Claude ii Belin signalait ce passage (page 303) de la lettre de Ioannes Tritemius abbas S. Iacobi Herbipolensis, Iacobo Kymolano Carmelitani ordinis Theologo et mathematico [Jean Trithème, abbé de Saint-Jacques de Wurtzbourg, à Jacobus Kymolanus, carme (de Gand) théologien et mathématicien] datée de Wurtzbourg (Bavière) le 16 août 1507 :
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10. |
Nul ne conteste aujourd’hui que Johannes Gutenberg (v. note [13], lettre latine 7) ait inventé l’imprimerie (comme Trithème en convenait, mais sans le nommer). On date de 1454 les premières impressions qu’il réalisa à Mayence après avoir travaillé à Strasbourg jusque vers le milieu des années 1440. V. note [34], lettre 242, pour l’attribution de cette découverte à Jean Mentel, ancêtre de Jacques, collègue de Guy Patin. Dans son Addition à l’Histoire de Louis xi (Paris, 1630, v. note [17], lettre 238), Gabriel Naudé avait contredit le point de vue de Mentel, son neveu. |
11. |
Pierre Baillet, président de la Cour des comptes de Bourgogne, et son valet, nommé Neugeot, n’avaient plus reparu après s’être rendus le 6 septembre 1638 chez Pierre Giroux, président au mortier du parlement de Dijon, cousin germain de Baillet. Deux ans plus tard, sur la plainte de la mère de Baillet, née Jeanne Burgat, une enquête mit au jour de très lourds griefs à l’encontre de Giroux : il était amant de Marie Fyot, épouse de Baillet ; désireux de se débarrasser du gênant mari, il avait d’abord monté contre lui deux guets-apens qui avaient manqué ; puis le susdit jour de 1638, il s’était résolu à le poignarder lui-même avec l’aide de trois laquais ; les corps du président et de son valet furent jetés dans des latrines que l’on fit murer ; plus tard on les en sortit pour les enfermer dans un saloir ; afin de pouvoir épouser sa « belle Chloris », comme il appelait Marie Fyot, Giroux avait aussi fait empoisonner sa propre épouse par un empyrique nommé Raudot ; et pour être sûr qu’il n’en révélât rien, le médecin de Mme Giroux avait subi le même sort ; quant aux laquais complices de l’assassinat, l’un fut aussi empoisonné et l’autre envoyé aux armées, mais le troisième fut imprudemment laissé en vie et put témoigner contre son maître. L’instruction révéla aussi la vive animosité que Giroux entretenait contre Pierre de Saumaise sieur de Chasans (v. note [100] des Déboires de Carolus pour son épouse), conseiller au parlement de Dijon et neveu de Claude i Saumaise : Giroux l’avait empêché d’être reçu président en l’accusant mensongèrement d’avoir commis un viol ; Saumaise avait de son côté fait poursuivre Giroux pour 18 crimes capitaux commis dans la juridiction du parlement de Bretagne, mais la plainte avait abouti à un non-lieu en 1639. Après trois ans d’instruction, un procès avec preuves accablantes avait abouti à la condamnation de Giroux qui fit amende honorable et eut la tête tranchée à Dijon le 8 mai 1643. Le 2 août 1646, le parlement de Bourgogne avait aussi condamné par contumace Marie Fyot, alors remariée, à être décapitée. Elle avait pourtant engagé une procédure compliquée et obtenu la cassation de cette sentence par le Parlement de Paris le 16 mai 1653.Plusieurs sources m’on permis de résumer cette fameuse affaire criminelle, dont la procédure n’était pas encore éteinte en 1657 :
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12. |
« Vale et répondez à tout l’amour de celui qui en a tant pour vous ». V. notes [3], lettre 390, pour la Margarita… (juillet 1655), dernier de trois ouvrages que Charles Guillemeau avait publiés contre Siméon Courtaud, et [17], lettre 459, pour les deux thèses présidées par les frères Robert et Charles Patin au mois de janvier 1657. |
a. |
Lettre de Claude ii Belin « À Monsieur/ Monsieur Patin docteur en médecine/ et Professeur du Roy en pharmacie/ en la place du chevallier du guet/ À Paris » : ms BIU Santé no 2007, fo 367 ro (signature autographe tremblée, manuscrit de belle écriture, sous la dictée de Belin) ; Finot no ii, pages 303‑304. |