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À Charles Spon, le 21 septembre 1657

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière le mardi 18e de septembre avec une lettre pour M. Ravaud par la voie de M. Robert, [2] votre collègue. Depuis ce temps-là, je vous dirai que M. Palliot, libraire de Dijon, [3][4] m’est venu voir, qui m’a dit qu’il s’en va imprimer la troisième centurie des épîtres latines de M. Morisot[5] j’ai céans les deux autres ; [1] qu’il imprime un livre d’Armoiries et par après, qu’il imprimera une Histoire généalogique du duché de Bourgogne[2]

Ce mercredi 19e de septembre. J’attends toujours votre M. Dinckel avec nos manuscrits Hofmanniques[3][6][7] plût à Dieu que je les tinsse ! Et comme je n’avais pas encore mis la plume bas, le voilà arrivé avec nos manuscrits et votre lettre, Dieu soit loué de tout, dont je vous remercie. Ce M. Dinckel est bon et sage, et me semble être fort aimable, je le servirai très volontiers de toute ma puissance. Je vous remercie pareillement de votre petit livre de Obsidione Fontirabiæ[4][8][9] Le partisan Girardin [10] est mort comme je vous ai mandé, non pas dans Malines, [11] mais dans la ville d’Anvers. [12] Il laisse dix enfants vivants, Punition divine ! comme dit Homenaz[5][13][14] je voudrais que tous les partisans fussent morts comme celui-là et que la race en fût éteinte.

Ce même jour, à six heures du soir. Vraiment vous me l’avez belle baillée : [6] voilà que je reçois votre lettre de la propre main de Mlle Spon, [15] laquelle après avoir vu un peu mon étude, mais avec une chandelle, m’a parlé de cette bonne femme, laquelle me connaissait comme si elle m’avait nourri ; cela m’a tout à l’heure mis en soupçon ; ce qu’ayant reconnu, elle est si bonne qu’elle a voulu tout à l’heure me mettre hors de peine et m’a avoué la vérité. Mon Dieu, que c’est une digne femme ! Ha, que vous êtes heureux d’en avoir une si bonne et si parfaite, et de si belle humeur ! La mienne [16] a bien plusieurs qualités fort bonnes, mais elle est quelquefois chagrine, et cruelle aux valets et servantes, qui sont deux qualités desquelles je ne tiens rien, mais elle les a iure gentilitio[7] feu sa mère, [17] qui a vécu 84 ans, était de la même humeur. Vous avez été plus heureux que beaucoup d’autres, c’est que Dieu s’est mêlé de vos affaires, a Domino datur uxor prudens[8][18]

Ce jeudi 20e septembre. J’ai été ce matin saluer Mlle Spon et lui ai mené mon deuxième fils Carolus, [19] qui est fortuitement arrivé céans comme je pensais à sortir ; l’aîné n’y était point alors. Ce soir j’y suis retourné comme ils achevaient de souper et avons causé ensemble jusqu’à dix heures. Mon deuxième fils a fait partie [9] de la mener à la comédie, elle et sa compagnie, demain vendredi ; je souhaite fort que le dessein en réussisse.

Ce vendredi 21e, à huit heures du soir. Ce matin, Mlle Spon m’a porté bonne chance : l’homme de M. Elsevier [20] m’a apporté céans le Corn. Celsus [21] de M. Vander Linden, [22] relié en beau vélin et bien doré. Il a encore fait davantage, il m’a fait l’honneur de me le dédier. [10] Dès que les balles du libraire seront ouvertes, j’en prendrai quelque nombre et vous en enverrai, à vous et à M. Gras.

Vale et me ama. [11] G.P.


1.

Seules deux centuries des lettres de Claude-Barthélemy Morisot (v. note [19], lettre 80) ont paru : Dijon, Philibertus Chavance, 1656, deux parties de 194 et 140 pages en un volume in‑4o.

2.

La notice de {BnF Data sur Pierre Palliot (1608-1680) détaille ses nombreuses qualités : « imprimeur-libraire, imprimeur ordinaire du roi, imprimeur du révérendissime évêque et duc de Langres, des états de Bourgogne, de la ville de Dijon ; originaire de Paris où il était graveur ; gendre de Nicolas Spirinx, graveur et imprimeur-libraire de Dijon, à qui il succèda ; imprimeur ordinaire du roi depuis 1643 au moins, il s’en attribua abusivement le titre dès 1635 ; fut également héraldiste, historiographe, généalogiste et auteur de divers ouvrages ; son gendre Louis Secard lui succèda en 1687. »

Palliot a publié, mais bien plus tard, deux ouvrages sur des thèmes très voisins de ceux que Guy Patin annonçait ici :

  • La vraie et parfaite science des Armoiries, ou l’Indice armorial de feu Maître Louvan Geliot, avocat au parlement de Bourgogne. {a} Apprenant, et expliquant sommairement les Pots et Figures, dont on se sert au Blason des Armoiries, et l’origine d’icelles. Augmenté de nombre de termes, et enrichi de grande multitude d’exemples des Armes de familles tant françaises qu’étrangères ; des Institutions des Ordres, et leurs Colliers ; des marques des Dignités et Charges ; des ornements des Écus, de l’Office des rois, des Hérauts, et des Poursuivants d’Armes ; et autres curiosités dépendantes des Armoiries. Ouvrage utile à la Noblesse et autres personnes de condition, qui doivent et désirent savoir l’art et pratique du Blason ; comme aussi aux Peintres, Graveurs, Sculpteurs, Brodeurs, et autres qui travaillent en Armoiries. Par Pierre Palliot, Parisien, Historiographe du roi, et Généalogiste ; {b}

  • Histoire généalogique des comtes de Chamilly, de la Maison de Bouton, au duché de Bourgogne, dans le bailliage de Chalon issue de celles de Jauche du duché de Brabant. Justifiée par divers Titres particuliers, d’Églises, de Tombeaux, Épitaphes, registres du Parlement et la Chambre des comptes de Dijon, Histoires imprimées et autres bonnes preuves. par Pierre Palliot Parisien, Historiographe du roi, Généalogiste du dit duché. {c}


    1. Mort en 1641.

    2. À Dijon chez l’auteur, et à Paris chez Frédéric Léonard, 1664, in‑4o richement illustré de 678 pages.

    3. À Dijon chez l’auteur et à Paris chez Hélie Josset, 1671, in‑fo illustré de 333 pages.

3.

Manuscrits des Chrestomathies de Caspar Hofmann : v. note [6], lettre de Charles Spon, le 28 août 1657.

4.

V. note [7], lettre de Charles Spon datée du 28 août 1657, pour les livres du P. Joseph Moret, jésuite, « sur le Siège de Fontarabie » (Lyon, 1656).

5.

Homenaz, évêque de Papimanie, est un personnage du Quart livre de Rabelais (chapitres xlviii à liv). Au chapitre lii (Continuation des miracles advenus par les décrétales), frère Jean lui confesse s’être « torché le cul » avec des décrétales (lettres papales) qu’un moine avait laissé tomber dans le cloître de l’abbaye de Seuillé (Huchon, page 659) :

« Je me donne à tous les diables, si les rhagadies et hæmorrutes {a} ne m’en advinrent si très horribles que le pauvre trou de mon clous bruneau en feu tout déhinguandé. {b}
— Injan, {b} dit Homenaz, ce fut évidente punition de Dieu vengeant le péché qu’aviez fait incaguant ces sacrés livres, lesquels devez baiser et adorer. » {b}


  1. Fissures anales et hémorroïdes (v. note [11], lettre 253).

  2. Disloqué ; le Clos Bruneau (partie du Quartier latin, autour de la rue Jean-de-Beauvais) désigne ici l’anus.

  3. Par saint Jean.

  4. Et quelques lignes plus loin, l’évêque tire la morale de deux autres utilisations sacrilèges de parchemins sacrés en s’exclamant « Punition et vengeance divine ! »

6.

« On lui a baillé belle, pour dire on lui a dit une bourde » (Furetière). Charles Spon avait profité d’un voyage de son épouse, Marie, née Seignoret, pour jouer un petit tour à Guy Patin : Marie Spon le vint voir sans lui dire qui elle était ; et puis, après un moment de conversation au sujet de « Mlle Spon », elle ne sut abuser plus longtemps du subterfuge et convint de sa véritable identité.

7.

« par tradition familiale ».

8.

« c’est le Seigneur qui donne une épouse raisonnable » (Proverbes, v. note [3], lettre 452).

9.

Entrepris.

10.

V. notes [20], lettre de Charles Spon datée du 28 août 1657, pour le Celse de Johannes Antonides Vander Linden, publié chez Jean Elsevier à Leyde en 1657 ; et [3] de sa lettre du 5 mars 1658, pour sa dédicace à Guy Patin.

11.

« Vale et aimez-moi. »

a.

Ms BnF no 9357, fo 266, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; Reveillé-Parise, no cccxvi (tome ii, pages 343‑348, datée du 5 octobre 1657). Au revers en regard de l’adresse, de la main de Charles Spon : « 1657./ Paris 21 septembre/ Lyon 26 dud./ Risposta/ Adi 2 octobre ».


Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Lettre de Charles Spon à Guy Patin, le 21 septembre 1657.
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(Consulté le 23.03.2023)

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