L. 956.  >
À André Falconet,
le 26 avril 1669

Monsieur, [a][1]

Pour réponse à la vôtre du 8e d’avril que m’a envoyée M. Troisdames, [2] je vous dirai que c’est grande pitié qu’un jeune médecin inhabile et inexpert qui n’entend pas l’importance de la saignée [3] dans toutes les maladies aiguës, et principalement celles du poumon. Je me souviens de ce jeune médecin dont vous me parlez, qui a péché si lourdement et si malheureusement : qu’il lise Hippocrate, [4][5] Galien, [6][7] Fernel [8] lib. 2. Methodi[1] Botal [9][10] et la belle thèse de M. Des Gorris ; [11][12] il y pourra apprendre ce qu’il ne sait pas encore. Cette savante thèse avec ses commentaires in‑4o contient plus de bonne et véritable médecine, et plus de doctrine pour guérir les maladies aiguës que tous les livres de pharmacie et de chimie, [13] dans lesquels il y a trop de forfanterie arabesque. [2][14] Vivent les Grecs, et surtout le divin Galien ! Je suis ravi de ce que monsieur votre fils, le médecin, [15] vous seconde et vous imite si bien. Il gagnera des combats, marchant ainsi à votre côté. Il apprendra ainsi, en vous écoutant et vous voyant faire, plus en un mois qu’il en ferait à Montpellier [16] en dix ans. C’est pourquoi je le prie de continuer et le conjure de vous croire en tout. Je vous prie de lui dire que je le salue très cordialement. On recherche les maîtres des comptes, sur quoi on fait un parti dont on offre dix millions.

Ce 14e d’avril. Un conseiller de la Grand’Chambre encore jeune, nommé M. Dorat, [17] mourut hier d’apoplexie ; [3][18] et M. Charon, [19] oncle de Mme Colbert. [4][20]

Ce 20e d’avril. > Le roi [21] a fait son jubilé [22] fort dévotement et a donné fort bon exemple de ces dévotions, et a même visité l’Hôtel-Dieu. [23] Tout le monde est satisfait de tant de piété, je prie Dieu qu’il lui prenne envie de soulager son peuple qui souffre trop il y a longtemps. Dii meliora piis ! [5]

Mon Carolus [24] est parti de Heidelberg [25] et est allé voir le duc de Wurtemberg [26] qui l’a mandé pour en avoir du secours médecinal. [6] Il y avait déjà fait un autre voyage dont il était fort content, comme ce prince l’était aussi de lui ; et il l’a renvoyé avec de beaux présents à la charge qu’il le retournerait bientôt voir. Il m’écrit que s’il aimait l’argent, il aurait là occasion de se satisfaire et qu’outre sa profession où on l’honore fort (vous savez ce que c’est que l’honorarium des médecins et des avocats), [7][27] ces princes aiment fort à jouer au trictrac [28] avec lui, et il dit qu’ils perdent volontiers, [29] que ce sont les plus honnêtes joueurs et les meilleures gens du monde. On dit que le roi d’Espagne [30] a trois cautères, [31] mais qu’il se porte bien et que, nonobstant sa santé délicate, il pourra vivre encore longtemps. Les Vénitiens ont envoyé au roi de belles armes fort curieuses, elles ont été fort bien reçues. Ils ont soin par ces marques d’affection de renouveler l’amitié sincère que tous les Français ont pour eux, et particulièrement à la cour, depuis qu’ils prêtèrent de l’argent à Henri iv [32] dans des conjectures fâcheuses. Nos troupes de Provence s’embarqueront bientôt avec grande espérance de chasser les Turcs de Candie. [33] Le pape [34] a envoyé l’étendard de l’Église à M. de Beaufort, [35] qui l’a envoyé au roi. Je vis hier M. Delorme, [36] c’est un merveilleux homme, et toujours lui-même. Plura alias[8] Je vous remercie de vos beaux livres que M. de La Fille [37] me vient de rendre. Je vous baise les mains et suis de toute mon âme votre, etc.

De Paris, ce 26e d’avril 1669.


a.

Bulderen, no ccccxc (tome iii, pages 308‑310) ; Reveillé-Parise, no dcclxxxiii (tome iii, pages 694‑696).

1.

« au deuxième livre de sa Méthode ». Le livre ii (La Méthode de remédier) de la Méthode (Thérapeutique universelle) de Fernel (v. note [21], lettre 101) examine la saignée sous toutes ses facettes.

2.

V. note [11], lettre 453, pour les Opuscula iv de Jean iii Des Gorris (Paris, 1660).

3.

Joseph Dorat, seigneur de La Barre et de Noisy-le-Grand, avait été reçu conseiller à la quatrième Chambre des enquêtes en 1637 ; monté ensuite à la Grand’Chambre, il était devenu conseiller d’État en 1661 (Popoff, no 1102).

4.

Jean-Baptiste Colbert avait épousé en 1648 Marie Charon de Ménars (1630-1687) ; elle était la fille de Jean-Jacques i Charon (v. note [10], lettre 740), dont le frère, Guillaume, riche trésorier général de l’Artillerie de France, venait de mourir.

5.

« Puissent les dieux ménager des jours meilleurs aux gens pieux ! » (v. note [5], lettre 33).

Le 20 avril, veille de Pâques : {a}

« le roi va à pied des Tuileries à Saint-Germain-l’Auxerrois où il entend la messe dite par l’évêque d’Orléans, {b} son premier aumônier, et communie ; puis, après une seconde messe, revient à pied au manège où il touche “ un grand nombre de malades ”. L’après-midi, toujours à pied, il va avec Monsieur continuer les stations {c} à Notre-Dame, puis se rend à l’Hôtel-Dieu où il fait ses prières et visite tout l’hôpital, accompagné de l’archevêque de Paris, et se fait rendre compte de tout ce qui regarde l’assistance des malades, s’entretient avec plusieurs d’entre eux et va même jeter de l’eau bénite dans la chambre des morts. Il visite aussi les autres églises des environs. Avec la reine et Monsieur, il assiste ensuite aux matines en l’église des prêtres de l’Oratoire. »


  1. Levantal, citant la Gazette.

  2. Pierre Du Cambout de Coislin, v. note [2], lettre 825.

  3. Du jubilé.

6.

Depuis 1628, le duc de Wurtemberg, à qui Charles Patin rendait alors visite, était Eberhard iii (1614-1674), frère aîné d’Ulrich (v. note [20], lettre 219).

7.

V. note [23], lettre 206, pour l’honorarium (honoraire).

Guy Patin a aussi parlé de son fils Charles dans ses lettres latines, entre autres celles du 6 juin 1668 et du 6 février 1669 à Christiaen Utenbogard.

8.

« Plus une autre fois. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 26 avril 1669

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(Consulté le 27/04/2024)

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