L. latine 477.  >
À Samuel Sorbière,
le 1er décembre 1646

[BnF ms. latin 10352‑II, fo 87 vo | LAT | IMG]

Guy Patin, natif du Beauvaisis, docteur en médecine de Paris, souhaite le bonheur [1] à son très grand ami, le célèbre Samuel Sorbière. [a][1]

Très distingué Monsieur,

J’ai reçu votre dernière lettre, et y réponds brièvement. Acceptez toutes mes félicitations pour votre mariage, [2] pour l’érection, comme on dit, [2] de votre domicile, définitivement établi à Leyde. [3] Je souhaite de tout cœur que l’un et l’autre vous réussissent promptement [BnF ms. latin 10352‑II, fo 88 ro | LAT | IMG] et soient propices à vos entreprises, sans donner ultérieurement lieu à vous en repentir. Je salue le plus obligeamment qu’il m’est possible votre Junon, [4] si vous êtes son Jupiter. [5] Je me réjouis profondément de votre installation et de votre détermination à vieillir dans cette ville où vit Claude Saumaise, [6] la plus brillante étoile des érudits, car je vois que vous avez fait cela en suivant l’exemple du divin Platon, [7] lui qui plaçait Athènes loin devant toutes les autres villes de Grèce parce qu’y demeurait Socrate, [8] le meilleur de tous les honnêtes hommes, le plus sage de tous les philosophes. Ô bienheureuses les cités qui nourrissent de si grands personnages ! Ayant ainsi réglé vos affaires, un libre échange de lettres se fera entre nous par l’intermédiaire de Le Petit, [9] libraire, gendre de la veuve Camusat ; [10] il est fort mon ami et en très étroites relations avec vos Elsevier ; [3][11] il n’est rien que je ne ne lui confierai les yeux fermés.

Je n’ai besoin d’absolument rien venant de Monsieur de Wale, [12] je m’inquiète seulement de savoir s’il a reçu la lettre et le livre que je lui ai envoyés l’an passé par l’intermédiaire de M. Hackius, le libraire. [13] Il s’agissait, si je ne me trompe, des Opera de Riolan, le père, publiées à Paris. [14] Puisse Dieu accompagner Bartholin [15] dans son voyage de retour au Danemark, afin que nulle infortune ne lui advienne dans sa navigation en mer Baltique et qu’il n’aille pas faire naufrage dans cette traversée, lui qui a sillonné tant de mers et échappé à tant de charybdes et de scyllas [16] au cours des sept dernières années ! J’ai vu la royale édition du Spigelius [17] parue chez Blaeu [18] et l’ai ici en ma possession. J’ai déjà vu le livre de M. Hobbes [19] de Cive et en ai approuvé le contenu, principalement quand il s’y exprime librement ; j’ai ouï dire qu’il a entièrement examiné le contenu de la physique[4] mais sans assurance que ces livres paraîtront un jour. Je n’ai jamais rencontré cet homme, je m’arrangerai pour faire prochainement sa connaissance par l’intermédiaire du P. Mersenne, [20] qui est fort mon ami. J’envoie pour vous à Le Petit le livre de notre Hofmann de Medicamentis officinalibus[21] il n’a pas d’autre prix que le mérite de son auteur […] [5] et que le bon cœur de celui qui vous l’offre en cadeau, et je vous prie de me le permettre. On imprime ici d’autres Opuscula du dit auteur, [22] que je vous enverrai aussi quand ils seront achevés. Vous trouverez un portrait du très distingué M. René Moreau [23] dans la première feuille du livre d’Hofmann ; je n’en ai jamais vu de Naudé, [24] hormis celui, parfaitement maladroit, qui a été dessiné en Italie, et dont les honnêtes gens [BnF ms. latin 10352‑II, fo 88 vo | LAT | IMG] qui aiment beaucoup ce grand homme se privent sans peine. J’ai salué notre ami Spon [25] de votre part. [6] Je vous prie, excellent Monsieur, si cela vous est possible, de me procurer le livre d’Hermann Conring [26] de Calido innato[27] de Vita et morte, etc., publié à Leyde chez Jo. Maire, 1631, in‑8o, ainsi que les de Arthritide et calculo gemino tractatus duo, etc., de Frid. Vander Mye, [28] publiés, à La Haye chez Arn. Meuris, 1624, [7] mais à la condition formelle que cela ne vous dérange pas le moins du monde. Je joins mes très humbles salutations aux très éminents, brillants et érudits MM. Saumaise et Ger. Io. Vossius [29] de qui les amateurs de belles-lettres attendent toujours quelque nouveauté : du premier, le Dioscoride[30] le Pline[31] etc., et que ne peut-on espérer d’un si grand trésor qui est allé s’enfouir dans votre Hollande ? du second, ses livres de Arte poetica et de Arte gymnastica, la 5e partie de Idolatria, la nouvelle édition de son ouvrage de Historicis Græcis et Latinis, etc. [8] Pour qu’ils nous donnent tout cela, je leur souhaite de toute mon âme longue vie à tous deux.

Je suis toujours sans nouvelles du très intègre M. Jan van Beverwijk. [32] Je fais le vœu qu’il recouvre rapidement sa santé d’antan, bien qu’une maladie si tenace me laisse augurer pire, surtout dans la saison qui vient, car elle est fort ennemie des corps décharnés et épuisés par la maladie. [9] Confiez s’il vous plaît aux Elsevier tout ce que vous voudrez m’envoyer de Hollande, afin qu’ils l’emballent avec les livres qu’ils expédient à Le Petit. Vale, très docte Monsieur, je vous supplie encore et encore de ne pas cesser de m’aimer.

De Paris, le 1er décembre 1646.


a.

Copie manuscrite de la réponse de Guy Patin à la lettre de Samuel Sorbière, datée du 15 octobre 1646, BnF ms latin 10352‑II, fos 87 vo‑88 vo.

Notre édition doit cette lettre à l’extrême obligeance et au talent archivistique de Gianluca Mori, professeur d’histoire de la philosophie à l’Université du Piémont oriental (Vicence), qui a très aimablemet attiré mon attention sur ce recueil manuscrit de la BnF.

1.

En grec dans le manuscrit : ευ πραττειν (eu prattein), expression que j’ai traduite en la prenant pour une variante orthographique de ευ πρασσειν (eu prassein).

2.

Le ton de sa lettre étant amical et badin, il me semble que Guy Patin employait ici le mot « érection de domicile » (de erecto domicilio) dans son double sens, sans toutefois garantir absolument la gaillardise de sa coquinerie.

V. note [41], lettre 240, pour Judith Sorbière, épouse de Samuel.

3.

Guy Patin reprenait les mots de Samuel Sorbière pour corriger son erreur sur Pierre Le Petit, gendre de la veuve Camusat, et non de la veuve Pelé (v. note [3], lettre de Sorbière, datée du 15 octobre 1646).

Socrate et Platon, son disciple, étaient tous deux natifs d’Athènes, tandis que Claude i Saumaise et Sorbière, nés en France, étaient venus s’installer à Leyde. Je n’ai pas trouvé de source disant que Platon mettait Athènes devant toutes les villes de Grèce parce que son maître y vivait.

4.

Dans le manuscrit, insuadere, comme verbe subordonné à audiveram [j’ai ouï dire], n’existe pas en latin ; ma traduction l’a remplacé par inspicere [écrire sur], supposition que je crois être graphiquement la plus voisine.

Charybde et Scylla étaient deux écueils marins du détroit de Messine, que le mythe liait aux infortunes de deux divinités féminines antiques.

V. notes :

5.

L’élision ([…]) marque un mot effacé du manuscrit, dont l’absence ne nuit pas à la syntaxe et au sens du texte.

Marin Mersenne (Oizé, Sarthe 1588-Paris 1648) est un des célèbres savants français du xviie s. Moine minime érudit, philosophe et mathématicien, surnommé le Secrétaire de l’Europe savante, il était notamment ami de Pierre Gassendi et de Thomas Hobbes. Mersenne avait fondé en 1635 l’Academia Parisiensis, précurseur de l’Académie des sciences (créée en 1666). Guy Patin disait ici être une de ses intimes relations, mais il n’a jamais parlé de lui dans ses lettres françaises ; il ne l’a mentionné qu’en passant dans quatre autres de ses lettres latines, pour répondre à des correspondants étrangers qui lui parlaient de lui ; tout particulièrement celle du 28 février 1669 à Johann Theodor Schenck (v. ses notes [6] et [7] qui donnent un aperçu de l’abondante production littéraire et scientifique de Mersenne).

Le P. Mersenne n’avait pas de lien de parenté avec le médecin janséniste Pierre de Mersenne (ou Demercenne, v. note [21], lettre 336).

Patin a fait connaissance de Thomas Hobbes quand il l’a soigné à Paris : v. le début de sa lettre à Charles Spon, le 23 septembre 1651.

V. note [7], lettre 134, pour les deux livres de Caspar Hofmann « sur les Médicaments officinaux », édités par Patin (Paris, 1646).

6.

Aucune des lettres que Guy Patin a écrites à Charles Spon en 1646 n’a survécu au temps.

V. note [10], lettre 140, pour les sept Opuscula medica [Opuscules médicaux] de Caspar Hofmann (Paris, 1647), édités par Patin.

Marie-France Claerebout, la très diligente relectrice de notre édition, a trouvé le portrait de Gabriel Naudé gravé en Italie par Giovanni Georgi en 1645. Debout devant une bibliothèque, il tient dans la main gauche son Syntagma de Studio liberali [Traité sur les Arts libéraux] (Urbino, 1632, v. note [9], lettre latine 4), avec cette légende :

Gabr. Naudæus Paris. Emi. Card. Mazarini Bibliothecarius
æt. an. xlvi

Naudæi Vultu Charites Musæque renident,
Ignotisque redit munere fama libris.
Io Rhodius. Patavii 1645
.

Gar. Naudé, natif de Paris, bibliothécaire de l’émin. Card. Mazarin.
En sa 46
e année d’âge
Muses et Grâces rayonnent de joie à la vue de Naudé, et son renom lui a procuré la charge des livres tombés dans l’oubli.
Johannes Rhodius, {a} Padoue, 1645.


  1. V. note [1], lettre 205.

Le portrait de Naudé aujourd’hui le plus connu a été dessiné par Claude Mellan (1598-1688), après la mort de l’auteur (1653).

7.

Ces trois ouvrages que souhaitait acquérir Guy Patin étaient :

8.

V. notes :

9.

Jan van Beverwijk allait mourir le 19 janvier 1647.

s.

BnF ms latin 10352‑II, fo 87 vo

Viro inclyto et amicissimo DD. Samueli Sorberio
Guido Patinus, Bell. Doc. Medicus Paris.

ευ πραττειν

Postremas tuas accepi, Vir Clarissime, quibus paucis ijs respondebo.
De ducta uxore, de erecto, ut vocant, domicilio, fixâque sede Lugd.
Batav. seriò Tibi gratulor : utinam tibi ex animi < sic pour animo > cito succedat

t.

BnF ms latin 10352‑I, fo 88 ro

utrumque, bonisque tuis rebus factum sit, ne posthac illius sit
pœnitentiæ locus. Junonem tuam si Jupiter ei fueris, quam possum
officiosissimè saluto. Quod in ea urbe sedem posueris et in ea
senescere decreveris in qua vivit lucidissimum illud eruditorum
jubar Cl. Salmasius, plurimùm lætor : hoc enim fecisse Te
video ad exemplum divini Platonis, qui Athenas ideo cæteris
Græciæ urbibus anteponebat, quod inibi viveret Socrates, omnium
bonorum optimus, omnium philosophorum sapientissimus. Ô
beatas urbes quæ tales alunt viros ! Sic compositis rebus tuis liberum erit
inter nos commercium literarum per Bibliop. Petitum mihi
amicissimum viduæ Camusatæ generum, Elzeviriis vestris conjunc-
tissimum, et cujus fidei nihil est quod non committam.

A D<omi>no Valæo nihil quidquam requiro : hoc unum anxiè scire
velim, an superiore anno epistolam meam et librum acceperit,
quos ei miseram, commiseramque D. Hackio, Bibliop. ut ei redde-
rentur. Erant Opera Riolani P. Lutetiæ [ed]ita, nî fallor. Bartoli-
num qui abijt in Daniam Deus conducat, ne infeliciter naviget
in mari Balthico, faciatque in portu naufragium qui tot maria
præternavigavit, et tot Scyllas totque Charybdes evasit à septennio.
Regium opus Spigelij Blaviani vidi, idque hîc habeo. Librum
D. Hobbij de Cive antehac vidi et probavi, præsertim ubi
liberè loquitur : audiveram illum in Physicis totum insuadere,
quæ an aliquando prodibunt, incertus sum. Hominem de facie
non novi, efficiam posthac per P. Mersennum mihi amicissimum,
ut ei innotescam. Hofmanni nostri librum de medicamentis Officinalibus
ecce ad Te mitto per Petitum : pretium nullum habet, præter meritum
auctoris […] et animum offerentis atque donantis : et hoc ut
patiaris, rogo Te : alia ejusdem Auctoris hîc excuduntur Opuscula,
quos denuo ad Te mittam, ubi eorum editio ad finem deducta
fuerit. Clarissimi viri Ren. Moreau effigiem deprehendes sub
i. folio Hofmanni. Naudæi nullam unquam vidi præter
quondam Italicam, quæ ineptissima est : et quâ boni, tanti viri

u.

BnF ms latin 10352‑II, fo 88 vo

amantissimi facile carebunt. Sponium nostrum tuo nomine
salutavi. Rogo Te, si fieri possit, per Te habeam, vir Optime,
Hermanni Conringij librum de calido innato : de vita et morte,
etc. Leidæ editum apud Jo. Maire, 1631, in 8. ut et Ferid.
Vander Mye, Delphensis, de Arthitide et Calculo, gemino tracta-
tus duos, etc. Hagæ Comitum editos, apud Arn. Meuris, 1624.
in 4. ea tamen lege, ut eorum inquisitio nullatenus tibi molesta
fiat. Viris amplissimis, clarissimis, eruditissimis salutem
humillimè adscribo, DD. Salmasio, et Ger. Io. Vossio, à quibus
novum aliquid semper expectant bonarum [a]rtium studiosi : ab
illo quidem, Dioscoridem, Plinium, etc. et quod non a tanto
thesauro in Batavia vestra recondito ? ab hoc verò, libros de
re poëtica, et arte gymnastica, partem v. de Idolatria, novam
editionem eximij sui operis de historicis Græcis et Latinis, etc.
quod ut faciant, utrique longam vitam toto animo voveo.

De integerrimo viro Io. Beverovicio, nihil quidquam audivi :
utinam pristinæ valetudini citò restituatur : quamvis aliquid aliud
augurer sinistri ominis de tam contumaci affectu, hac præsertim
tempestate, malicentis et à morbo extenuatis inimicissima. Quidquid
mittere volueris ex Hollandia, committe si placet Elzeverijs, ut
includant in libris ad Petitum dirigendis. Vale, vir doctissime,
meque amare ne desinas, supplex rogo atque iterum rogo. Parisijs
Kal. Dec. 1646.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Samuel Sorbière, le 1er décembre 1646

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(Consulté le 26/04/2024)

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