L. latine reçue 31.  >
De Thomas Bartholin,
le 30 septembre 1663

[Bartholin c, page 506 | LAT | IMG]

À Guy Patin, à Paris. [a][1][2]

L’éminent M. Biermann [3] m’a remis vos très agréables lettres avec un paquet de livres parfaitement bien choisis, dont je vous sais profondément gré, ainsi qu’à vos très distingués fils ; [1][4][5] et en tout premier M. Charles Patin, ce jeune adolescent que j’ai jadis entendu disputer avec talent au Collège de Presle-Beauvais, [6][7] ainsi que je l’écrivis à de Wale dans la lettre lxxiii de ma première centurie. [2][8] Je vous prédis la félicité, éminent Monsieur, car votre propre renom et celui de vos très distingués fils vous rendront illustre. [3] Afin de ne pas être ingrat, je vous renvoie des livres en échange des vôtres, sans pourtant qu’ils les vaillent, tant en nombre qu’en prix ; mais les voici tels qu’ils ont paru il y a peu chez nos libraires : mes deux [Bartholin c, page 507 | LAT | IMG] premières Centuriæ epistolarum, ma Diatribe de pulmonibus[4][9][10][11] le Cælum Orientis de notre collègue Bangius, [5][12] la thèse de Vinding de linguæ Græcæ et Ægypticæ Affinitate[6][13] un autre de mes collègues, l’Anatomia Bilsiana de Jakob Henrik Pauli, professeur d’anatomie, [7][14][15] avec d’autres ouvrages que vous prendrez en bonne et juste part comme venant d’un ami reconnaissant. Je me réjouis que par l’heureux emploi de notre art divin vous ayez tiré le très noble Rosenkrantz de la gorge de Pluton ; [16][17] il vous doit pour cela un coq, comme à un autre Esculape. [8][18] Plutôt qu’extravaguer, j’aimerais apprendre de vous comment les affections de l’abdomen se transmettent aux poumons. Je connais des conduits qu’ils partagent, mais avoue mon ignorance quant à l’existence possible d’autres communications. Chez ceux qui toussent, votre Merlet fait provenir un crachement de pus des parties inférieures, mais il n’en connaît pas le cheminement. [9][19] Le fait s’expliquerait chez les oiseaux, car il existe en eux un passage ouvert dans la partie inférieure du thorax. Dieu seul sait s’il y en a un semblable chez l’homme, necdum enim hæc sacra tradita sunt, Eleusis servat quod ostendat revisentibus[10][20][21] Votre Baillou, au second livre de ses Ephemerides, a vu une dysenterie avec fièvre et assoupissement, mais il n’a pu la guérir. [11][22][23] Dans sa dissertation de Morbis hæreditariis, page 79, Lyonnet a observé chez votre roi très chrétien Louis xiii, qu’un flux de ventre purulent avait entièrement épuisé, que le poumon s’était dissous dans la purulence, que le foie était desséché, et que du pus s’écoulait du mésentère [24] [Bartholin c, page 508 | LAT | IMG] et du côlon. [12][25][26][27] Je me réjouis que l’événement ait été plus heureux pour notre Rosenkrantz et ne puis en être surpris, puisqu’il vous a pris pour médecin, vous à qui tant de mortels ici-bas doivent leur salut. Puisse Dieu conserver longtemps un si grand Esculape, pour nous et pour le monde entier. L’illustre Rosenkrantz, le père, [13][28] qui est le défenseur et l’amoureux des muses, semble avoir retrouvé le goût de vivre, tout à la joie de la vertu paternelle, comprenant que vos soins ont fait revenir son fils du seuil de la mort. Vale, éminent Monsieur, et continuez de m’aimer, moi qui serai toujours à votre dévotion. Je salue obligeamment vos très distingués fils [29] et vos collègues.

Écrit de Copenhague, à la hâte, le 30e de septembre 1663.

Tout à vous, Thomas Bartholin.


a.

Lettre de Thomas Bartholin à Guy Patin, imprimée dans Bartholin c, Centuria iv, Epistola xcix, De Thoracis et abdominis communione [Centurie iv, Lettre xcix, Communication entre le thorax et l’abdomen].

1.

Guy Patin avait annoncé cet envoi dans sa lettre du 13 août 1663. Des fils Patin, Thomas Bartholin avait reçu les Familiæ Romanæ [Familles romaines] de Charles (v. note [11], lettre 736) et le discours de paranymphe médical de Robert (v. note [2], lettre 157), tous deux publiés à Paris en 1663.

2.

V. note [18], lettre 468, pour la transcription et la traduction de cette lettre, datée du 31 décembre 1645, quand Charles Patin était en sa treizième année d’âge. J’ai rectifié l’inversion des chiffres dans le numéro de cette lettre, 37 (xxxvii) pour 73 (lxxiii).

3.

Le ciel était alors serein pour Guy Patin ; rien ne lui laissait alors prévoir les déboires de Carolus ni sa propre ruine consécutive au mariage et à la mort de Robert.

4.

VBibliographie (Bartholin a) pour les première et deuxième centuries des « Lettres médicales » de Thomas Bartholin (Copenhague, 1663).

V. note [19] de Thomas Diafoirus et sa thèse, pour la « Discussion sur les poumons » de Bartholin (Copenhague, 1663) qui contient les observations capitales de Marcello Malpighi, publiées en 1661, sur le même sujet. Cet envoi interdit de croire que Guy Patin pouvait ignorer la découverte des capillaires sanguins, qui mettait fin aux doutes raisonnables sur la réalité anatomique de la circulation sanguine.

5.

Cælum orientis et prisci mundi Triade Exercitationum Literarium Repræsentatum, curisque Thomæ Bangi D. et Pr. Regii Hafniensis investigatum…

[Le Ciel d’Orient et de l’ancien monde, représenté par une triade d’essais littéraires et exploré par les soins de Thomas Bangius, {a} docteur et professeur royal à Copenhague…] {b}


  1. V. note [13], lettre de Thomas Bartholin, datée du18 octobre 1662.

  2. Copenhague, Petrus Morsingus, 1657, in‑4o, contenant :

    • Exercitatio prima de Pliniana Literarum æternitate, primis Literarum natalibus, Libro Henochi, de Literis cælestibus [Premier Essai sur l’éternité des lettres selon Pline, des premières inventions des lettres, le livre d’Hénoch, les lettres célestes] ;

    • Exercitatio secunda specialis de Literatura patriarchali, Literis Adami, Sethianorum, Henochi, Noachi, Hetruscorum : item de Literarum cælestium et angelicarum Figura et futilitate [Deuxième Essai spécial sur la littérature patriarcale, les lettres d’Adam, des Séthiens (gnostiques qui rendaient un culte à Seth), d’Hénoch, de Noé, des Étrusques ; et aussi sur la forme et la futilité des lettres célestes et angéliques] ;

    • Exercitatio Literariæ antiquitatis tertia Hieronymi Opinioni de Esdræo hodierni characteris Hebraici novo invento modeste opposita [Troisième Essai sur l’ancienneté des lettres modestement opposé à l’opinion de Jérôme sur la nouvelle invention par Esdras des caractères hébraïques modernes].

6.

De linguæ Græcæ et Ægyptiacæ affinitate dissertatio publice profita in Academia Hafniensi, ad diem 28. Julii, anni 1660. ab Erasmo Pauli F. Vindingio. Respondente Georgio Martini F. à Moiniken [Thèse sur la parenté entre les langues grecque et égyptienne, publiquement présentée par Erasmus Vindingius, fils de Paulus, en l’Université de Copenhague le 28 juillet 1660 ; répondant Georgius von Möinichem, fils de Martinus] (Copenhague, veuve de Petrus Morsingius, 1660, in‑4o).

Rasmus Vinding (natif de Vindinge, aujourd’hui Fuirendal, près de Næstved sur l’île de Seeland en 1615, mort en 1684), fils du pasteur et écrivain Poul Jensen Kolding, était un érudit danois qui brillait notamment dans l’étude du droit et de la philologie. Après avoir étudié en divers endroits, dont Angers et le Collège des jésuites de La Flèche, il avait obtenu la chaire de grec de l’Université de Copenhague, puis celle d’histoire et géographie (en 1661).

7.

Anatome Anatomiæ Bilsianæ, inprimis circa vasa mesaraica uti et labyrinthum in ductu rorifero occupata. Professorum in regia Hafniensis Academia disquisitioni 1663. 23. Maii proposita a Jacobo Henrico Pauli, respondente Christ. Frisio.

[Dissection de l’Anatomie de Bilsius, {a} concernant principalement les vaisseaux mésaraïques, {b} ainsi que le labyrinthe qui est dans le canal chylifère. Proposée par Jakob Henrik Paulli {c} à la discussion des professeurs de l’Université royale de Copenhague le 23 mai 1663 ; répondant Christ. Frisius]. {d}


  1. Lodewijk de Bils, v. note [8], lettre latine 141.

  2. Vaisseaux du mésentère.

  3. Jakob Henrik Paulli (ou Pauli, 1637-1702), fils de Simon i, avait étudié la médecine à Copenhague, puis visité plusieurs universités d’Europe en 1658. En 1662, il avait obtenu la chaire d’anatomie de l’Université de Copenhague et, l’année suivante, celle d’histoire, bientôt accompagnée du titre d’historiographe de la Couronne danoise. En 1665-1666, il séjourna à Paris où il suivit les cours de Guy Patin au Collège de France. Le jeune Paulli avait aussi étudié le droit et mena plus tard une brillante carrière politique et diplomatique, et fut anobli avec le nom de Paulli von Rosenschild-Paulyn.

  4. Copenhague, Henricus Gödianus, 1663, in‑4o, réédition à Strasbourg, Simon ii Paulli, 1665, in‑8o de 90 pages.

8.

V. note [12], lettre 698, pour cette antique expression de reconnaissance médicale dont Thomas Bartholin honorait Guy Patin afin de le féliciter et remercier des soins qu’il avait procurés à Janus Rosenkrantz, son jeune et noble compatriote (v. note [11], lettre latine 255).

9.

V. note [4], lettre 690, pour le Paradoxum de tussi [Paradoxe de la toux] de Jean Merlet (Paris, 1659), voulant établir qu’un crachement de pus proviendrait des intestins plutôt que des poumons.

10.
« car ces secrets ne se sont pas encore révélés, Éleusis garde en réserve ce qu’il montrera à ceux qui y reviendront » ; adaptation de Sénèque le Jeune : Non semel quædam sacra traduntur ; Eleusis servat quod ostendat revisentibus (v. note [21] de Patin contre les consultations charitables de Renaudot).

Dans ses Leçons d’anatomie comparée… (Bruxelles, Adolphe Wahlen et Cie, 1838, in‑4o, troisième édition, tome deuxième, 21e leçon, section ii, article i, § 2, page 417), Georges Cuvier (1769-1832) a magistralement décrit la différence anatomique dont parlait Thomas Bartholin :

« Les rapports du péritoine diffèrent dans les quatre classes des animaux vertébrés, suivant que les différents viscères qu’il enveloppe, chez l’homme, sont séparés par un diaphragme ou par quelqu’autre cloison, de ceux de la circulation et de la respiration, comme cela a lieu dans les mammifères et les poissons ; ou que tous ces viscères sont contenus dans une même cavité, comme dans les oiseaux et les reptiles. Dans le premier cas, une membrane analogue au péritoine, mais qui en est entièrement séparée, tapisse la cavité du thorax, et revêt les organes qui y sont renfermés ; le péritoine seul est distribué dans l’abdomen.

Dans le dernier cas, le péritoine et la plèvre paraissent confondus, ainsi que les cavités abdominale et thoracique, et ne forment qu’une seule membrane.
La disposition de cette membrane commune a quelque chose de particulier dans les oiseaux. Elle y forme de grandes cellules, dont une partie sont vides, et les autres remplies par des viscères ; ces cellules communiquent avec les poumons, et se remplissent ou se vident d’air dans l’inspiration et l’expiration. »

11.

V. note [3], lettre 48, pour les deux livres des [Épidémies et] « Éphémérides » de Guillaume Baillou (où les cas sont classés par dates et non par catégories). En dépit d’une soigneuse exploration des consultations qui y foisonnent, je n’en ai pas trouvé qui corresponde à la dysenterie mortelle que mentionnait Thomas Bartholin.

Son retour sur la dysenterie était probablement en rapport avec celle de M. Flescher que Guy Patin était parvenu à guérir un an auparavant (v. note [6], lettre latine 209).

12.

V. note [1], lettre 141, pour la Brevis dissertatio de Morbis hæreditariis… [Courte dissertation sur les maladies héréditaires…] de Robert Lyonnet (Paris, 1647) ; l’autopsie de Louis xiii y est résumée dans le chapitre vii, page 79 :

Uno aut altero ulcere foratum mesenterium, unde puris exudantis copia imum ventrem opplebat, cui interanea innatabant.

Intestina crassiora interiore sua tunica variis locis nudata : et Colum foramine pervium viam puri in rectum aperire. Hepar totum flavum, aridum, exsuccum, eius tunicam hiulcam, laceram. Dextrum pulmonem superiore parte exesum et absumptum in purulentiam abiisse qua adhuc diffluebat.

[Le mésentère était perforé d’un ou deux ulcères, d’où s’était écoulée une abondance de pus qui avait entièrement rempli le bas-ventre, où nageaient les intestins.

En divers endroits, le gros intestin était dénudé de sa tunique interne, et une fistule du côlon dans le rectum ouvrait la voie à l’écoulement du pus. Le foie tout entier était jaune, atrophique et desséché, et sa capsule était fissurée et déchirée. Le poumon droit, rongé et détruit dans sa partie supérieure, s’était dissous dans le pus, et il s’en écoulait encore]. {a}


  1. V. note [5], lettre 86, pour un rapport plus complet sur l’autopsie du roi, le 15 mai 1643 au château de Saint-Germain.

13.

Jorgen Rosenkrantz (1607-1675), seigneur de Kieldgaard, fils d’Holger et père de Janus (v. note [11], lettre latine 255), « fut d’abord secrétaire du roi, ensuite trésorier et surintendant des finances, et enfin directeur et président, pendant 20 ans, de l’académie équestre de Sorø. […] C’était un homme très savant. Outre la théologie et la politique, il s’était attaché à la physique et à la chimie. Il a publié quelques ouvrages de dévotion » (Moréri).

s.

Bartholin c, page 506.

Epistola xcix

De Thoracis et abdominis communicatione.

Guidoni Patino Parisios.

Recte tuas suavissimas literas tradidit
Amplissimus D. 
Biermannus, cum fa-
sciculo librorum selectissimorum, pro quo
et Tibi et filiis Tuis Clarissimis, inprimis
Dn. 
Carolo Patino, quem olim in Collegio
Prælo Bellovaco juvenem audivi ingeniosè
disputantem, sicut
Cent. i Epist. 37. ad
Walæum scripsit, gratias ago amplissimas.
Felicem Te prædico, Vir Magne, quod et
propria et Clarissimorum filiorum famâ in-
clarescas. Ne ingratus sim remitto pro
libris libros, nec mole tamen, nec pretio
pares, tales tamen, qui ex officina nostra
non ita pridem prodierunt, Epistolarum

t.

Bartholin c, page 507.

mearum Centurias duas primas, diatriben
de Pulmonibus,
Bagnii nostri Cœlum
Orientis,
Vindingii pariter nostri Diatri-
bon de Lingg. Græc. et Ægypt. affinitate,
Jac. Henr. Paulli Anat Professoris Anato-
miam Bilsianam, et alia, quæ æqui boni-
que consules, ab amico animo et grato
profecta. Gaudeo quod Artis divinæ feli-
citate Nobilissimum
Rosencrantzium ex orci
faucibus eripueris, cui ea propter ut alteri
Æsculapio gallus debetur. Quomodo pul-
monibus abdominis vitia communicentur,
ex Te malim discere quam ariolari. Com-
munes vias novi. De alia
ξυρροια an sit
cogitandum, nescire cogor.
Merletus ve-
ster, puris in tussinetibus exscreatum ex
inferioribus de ducit, sed vias ignorat. In
avibus res esset expedita, in quibus pervius
commeatus inter thoracem infimum patet.
An similis in homine sit, Deus novit.
Necdum enim hæc sacra tradita sunt.
Eleusis servat, quod ostendat revisentibus.
Dysenteriam cum febre et marcore vidit
Ballonius vester l. 2. Eph. sed sanare non
potuit. Et in
Ludovico XIII. Rege
vestro Christianissimo, fluxu purulento
tabescente, observavit
Lyonnetus de Morb.
Hæred. p. 79 pulmonem in purulentiam
abiisse, hepar excussum, mesenterium et

u.

Bartholin c, page 508.

colum pure diffluisse. Felicius cum Ro-
sencranzio nostro actum gaudeo, nec mi-
tari possum, quia Te Medico usus est,
cui tot in orbe salutem suam debent mor-
tales. Deus tantum nobis orbique diu ser-
vet Æsculapium. Illustris Parens
Rozen-
crantzius, Musarum Fautor et Amor, re-
natus sibi videturn quia a limine mortis
revocatum filium paternæ indolis et virtu-
tis, tua opera lætus intellexit. Hisce
vale, Vir summe, et me semper tuum
semper ama. Officiose saluto Clarissimos
Tuos filios, et Collegas. Raptim Hafniæ,

30. Sept. 1663.

T.T.
Th. Bartholinus.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Thomas Bartholin, le 30 septembre 1663

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(Consulté le 06/05/2024)

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