L. latine reçue 32.  >
De Reiner von Neuhaus,
le 21 octobre 1663

[Neuhaus, Centuria vi, Epistola xxviii, page 39 | LAT | IMG]

À l’illustre M. Guy Patin, médecin de Paris, professeur royal, à Paris.

Illustre Monsieur Patin, [a][1][2]

Conformément à votre bonne promesse, ce très fameux ouvrage de votre fils Charles, De familiæ Romanæ Numismatibus antiquis, m’est arrivé de Paris. [1][3] C’est assurément un présent qui ne laisse en repos ni les yeux ni les mains, et qui est digne des terres et des mers du très puissant roi Louis ; [4] lui qui, ayant enfin assoupi le terrible Mars et la Gorgone, [2][5][6] pense aussi, parmi le loisir que lui laisse son règne, à promouvoir la pratique de la sagesse, les lettres et les muses, en rare exemple de félicité et de bonne fortune chez les rois et des princes d’Europe. Il n’y a donc pas à s’étonner si naissent en votre France de nouveaux Virgile et de nouveaux Cicéron, [7][8] à la suite des grands Patin, Ménage et Ogier, [9][10][11] quand nous les Flamands, je l’avoue, pouvons difficilement supporter du regard l’éclat de cette pourpre. Enflammés par le contact silencieux et le souffle d’un si éminent souverain, nous passons presque de l’état d’hommes à celui de poètes. Dieu veuille que ce grand roi fasse pénétrer la puissance de sa majesté plus loin dans le monde chrétien, et qu’ayant étendu les frontières de son royaume, il érige ses trophées aux confins lointains de l’Afrique ; de sorte qu’enfin, hostile à notre puissance et à nos affaires, cet autre, le sauvage Alcide [12] venu des rivages de Scythie et de Thrace, le monstrueux Turc[13][14][15] ne s’abatte pas sur notre flanc. [Neuhaus, Centuria vi, Epistola xxviii, page 40 | LAT | IMG] C’est de là que viennent à présent bien de la peur et du danger pour nos voisins allemands ; et voilà la vengeance de Dieu tout-puissant contre les vices et les erreurs humaines qui ont franchi les bornes. Pour vous, une armée victorieuse se tient prête au combat, qui pourrait remarquablement s’opposer à cette fureur, et faire que le Turc ne puisse se répandre plus largement en détruisant vos remparts ; et à la fin, arriverait ce que le poète a dit des vents,

Qua data porta ruant, et terras turbine perflent[3][16]

À ce généreux présent des Médailles, ô Patin l’Ancien, s’ajoute un recueil In regiam stirpem Epigrammatum. J’y lis de nouveau les poèmes de Charles le Jeune, poète au-dessus des poètes, heureux par l’intelligence et par l’inspiration ; [4] tels que doivent être ceux qui ont osé s’élever vers les lits des dieux et qui se sont mêlés aux hommes de premier rang, quand nous labourons plus modestement nos petits champs. Quelque membre de la famille d’Orange ou de Nassau nous en produit parfois la preuve : chez les Hollandais, nous ne connaissons ni Louis, ni Thérèse, [17] ni Bourbons, ni leurs grandes renommées. Je dirai que Libertas Oleæque Minerva Inventrix utramque nobis paginam[5][18][19][20] Tollo manum de tabula[6] mais je vois, mon cher Patin, que je n’en ai pas encore fini avec vos livres et vos fils. Voici votre fils puîné, Robert, qui a écrit dans le même style sublime un panégyrique à l’intention des médecins de Paris ; [7][21] il est le nouvel ornement et le nouveau trophée de la glorieuse famille des Patin, tout comme ce qu’a récemment écrit votre Charles sur Marie-Thérèse, et Quæ surgere regna Conjugio tali[8][22] De Leyde, en outre, illustre Monsieur, le très distingué Vander Linden vous adresse toutes ses salutations ; [23] comme moi, il a l’espoir et le désir que vous restiez tous longtemps en vie, en bonne santé, heureux et prospères. Valete, grandes lumières de l’Europe, Guy Patin, le père, Charles et Robert, les fils.

D’Alkmaar, le 21e d’octobre 1663. [9]


a.

Lettre de Reiner von Neuhaus à Guy Patin, imprimée dans Neuhaus, Centuria vi, Epistola xxviii (pages 39‑40).

1.

Sic pour Familiæ Romanæ in antiquis numismatibus, « Les Familles romaines dans les médailles antiques » (et non « Sur les Médailles antiques de famille romaine »), livre de Charles Patin (Paris, 1663, v. note [11], lettre 736).

2.

Jamais à court de verbiage pompeux, Reiner von Neuhaus glorifiait ici la paix des Pyrénées (7 novembre 1659) et ses heureuses suites ; même si le mérite en revenait plutôt à Mazarin qu’à Louis xiv.

V. note [16], lettre de Samuel Sorbière écrite au printemps 1651, pour Mars, dieu romain de la guerre. Figurant ici l’Espagne, la Gorgone désignait Méduse, symbole de la femme fatale et la plus célèbre des trois Gorgones de la mythologie.

Fr. Noël :

« Méduse était mortelle, au lieu que ses deux sœurs, Euryale et Sténo, n’étaient sujettes ni à la vieillesse ni à la mort. Neptune, {a} s’étant métamorphosé en oiseau, enleva Méduse et la transporta dans un temple de Minerve qu’ils profanèrent ensemble. La déesse en fut si irritée qu’elle changea en affreux serpents les beaux cheveux dont Méduse se glorifiait et donna à ses yeux la force de pétrifier tous ceux qu’elle regardait. Persée, {b} muni des talonnières de Mercure, du miroir de Minerve et du casque de Pluton, se présenta devant Méduse sans en être aperçu, < et > coupa la tête de la Gorgone qu’il porta depuis avec lui dans toutes ses expéditions. Du sang qui sortit de la plaie de Méduse, quand sa tête fut coupée, naquirent Pégase et Chrysaor ; et lorsque Persée eut pris son vol par dessus la Libye, {c} toutes les gouttes de sang qui découlèrent de cette fatale tête se changèrent en autant de serpents. Persée, vainqueur de tous ses ennemis, consacra à Minerve la tête de Méduse qui, depuis ce temps-là, fut gravée sur la redoutable égide de la déesse. »


  1. V. note [6] du Faux Patiniana II‑7.

  2. Héros mythique, fils de Jupiter et de Danaé, dont le plus grand exploit fut son combat contre les Gorgones. Il était armé du bouclier de Minerve, du casque de Pluton, et des ailes et des talonnières de Mercure.

  3. V. notule {b}, note [28] des Triades du Borboniana manuscrit.

  4. Par métonymie, Méduse a donné son nom aux animaux marins transparents qui appartiennent à l’embranchement des Cnidaires. Son pouvoir pétrifiant a survécu dans le verbe méduser. On a aussi qualifié de gorgone une femme très méchante ou très laide.

3.

« Ils s’engouffreraient par la porte offerte et souffleraient en tourbillon sur la terre » (Virgile, Énéide, chant i, vers 83).

Ses Douze Travaux (Dôdékathlos) ont fait le renom du héros mythique Alcide, autre nom d’Hercule (Héraclès), fils de Zeus et d’Alcmène. Ancêtre prétendu d’Hippocrate (v. note [6], lettre 6), il est moins connu pour sa folie furieuse (peut-être liée à son épilepsie, v. note [7], lettre 809) qui le poussa à massacrer ses enfants.

4.

À l’envoi des Familiæ Romanæ, les Patin avaient joint les In Stirpem regiam epigrammata, per M. Carolo Patin, Doctore Medico Parisiensi, et Scholarum Professore. Emblèmes et devises de la Maison royale, par M. Charles Patin, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris (sans lieu ni nom, 1660, in‑12, bilingue français et latin, dédié au cardinal Mazarin), court recueil d’épigrammes en l’honneur de la famille royale et des princes du sang. Il a été réimprimé à la fin de l’Introduction à la connaissance des médailles. Par Charles Patin. Troisième édition (Padoue, sans nom, 1691, in‑12), où il est suivi de deux Épîtres au roi, respectivement datées du 1er avril 1661 et du 26 mars 1662. Charles (mort en 1693) a expliqué la raison de cette réédition dans son avis Au lecteur :

« Quelques amis m’ont engagé de joindre à cette Introduction des Devises et des Lettres que j’adressai au roi lorsqu’il commença de témoigner sa bienveillance à la curiosité des médailles. Quoiqu’on les puisse juger indignes d’être derechef publiées, je me suis laissé aller leur sentiemnt, tant par l’inclination que j’ai de les satisfaire que par la conformité des sujets, qui peuvent donner quelque éclaircissement à la connaissance des médailles. »

Pour donner une idée des muses de Charles, que Reiner von Neuhaus qualifiait ici sans barguigner de supra vates vates [poète au-dessus des poètes], voici la première de ses louanges (page 245), intitulée « Pour le roi très-chrétien Louis xiv roi de France et de Navarre » (en respectant les majuscules, mais en modernisant l’orthographe) :

« Vos Triomphes doivent enfin faire place à l’Amour, que votre Mariage et la Paix demandent, et pour notre belle Reine et pour vos Peuples.

Grand Prince, c’est assez montrer votre courage
Dans les exercices de Mars,
Renoncez à tous ses hasards.
Pour être redouté, pouvez-vous davantage ?
Tout le monde est fort convaincu
Que rien ne Vous est impossible,
Et que vous êtes invincible
Comme vous êtes invaincu.
Mais maintenant à Mars il faut qu’Amour succède,
Que vous lui donniez tous vos jours ;
Mars vous a possédé toujours.
Il faut à l’avenir que l’Amour vous possède. »

Le reste est à l’avenant (v. infra note [8], pour deux autres échantillons).

La lyre de Neuhaus voulait sans doute faire chanter les cordes de sa reconnaissance pour ses propres vers que les Patin avaient fait figurer en tête des Familiæ Romanæ (v. note [5], lettre latine 199).

5.

« Libertas {a} “ et Minerve, la créatrice de l’olivier, ” {b} font chez nous la pluie et le beau temps. » {c}


  1. Libertas était la déesse romaine de la liberté. Reiner von Neuhaus déplorait que les Provinces-Unies tirassent alors plus de gloire de leur régime républicain et de leur commerce que de leurs poètes.

  2. Virgile, Géorgiques, livre i, vers 18‑19, Oleaque Minerva Iuventrix dans la lettre imprimée, par erreur de transcription.

  3. V. notule {b}, note [2], lettre 626.

6.

« Je lâche ma tablette » [Je lève la plume (v. note [10], lettre 93)].

7.

V. note [2], lettre 157, pour le paranymphe médical de Robert Patin (Paris, 1663), avec méprise de Reiner von Neuhaus sur son rang de naissance, minor [puîné] au lieu de major [aîné].

8.

« du royaume qui surgira d’une telle union » (Virgile, Énéide, chant iv, vers 47‑48).

Reiner von Neuhaus ajoutait cette citation à l’ode latine (page 250) que Charles Patin avait composée en l’honneur de la reine dans ses Emblèmes (v. supra note [4]), In Adventum felicem Mariæ Theresiæ Austriacæ, D.G. Franc. & Nav. Reginæ Christianissimæ [Pour l’avènement de Marie-Thérèse d’Autriche, par la grâce de Dieu reine très-chrétienne de France et de Navarre] :

Rex loquitur.

Cum Domino Pax ista venit, venit alma vicissim
Copia, Francigenis et decus omne meis :
Sequana nobilium late regnator aquarum,
Omnibus hanc Nereus et veneretur aquis :
Tuque triumphali, Francus invecta per Urbes
Axe, oleam gesta, chara Theresa manu :
Illa tuum decus, et tali te dote superbam
Debebant thalamis Numina magna meis
.

[C’est le roi qui parle.

La paix nous amène un Maître, {a} la bienfaisante Copia est de retour, {b} accompagnée de toute gloire pour mes Français. La Seine domine largement les eaux et Nérée {c} la vénère entre toutes les autres. Et toi Français, voici la chère Thérèse, triomphale, transportée par les villes en son char, tenant à la main le rameau d’olivier ; voici ta gloire, et pour mon mariage, les grandes divinités te la devaient superbe car elle te prend pour dot].


  1. Devise inscrite sur l’esquisse de médaillon qui accompagne le poème : le roi, avec le sceptre (le pouvoir), et la reine, avec l’olivier (la paix), y sont dessinés main dans la main, assis dans un char tiré par deux paons.

    À gauche de la vignette, est inscrite la référence, Lucan. i Pharsal. [Lucain, La Pharsale, livre i (vers 670)], mais l’emprunt est maladroit car le sens de Domino en est strictement contraire à ce que voulait célébrer Charles Patin : « La paix nous amène un tyran », c’est-à-dire Jules César, apportant la guerre civile à Rome après avoir franchi le Rubicon (v. note [1], lettre 281).

  2. Copia était la déesse romaine de l’abondance.

  3. Père des Néréides et dieu de la mer, plus ancien que Neptune.

L’épigramme latine est suivie de cette paraphrase en français (page 251), Pour la reine, et sa triomphante entrée dans Paris :

« La Paix vient avec notre Roi.
Peuples qui gémissez sous le faix de la Guerre,
Il est temps de bien espérer,
Vos maux ne peuvent plus durer,
Le calme de la Paix se répand sur la Terre :
Dans ce char plein de Majesté,
Une double Divinité,
Que l’éclat de l’Amour, et la Guerre environne
Par les plus Saints et sacrés Nœuds,
Vient satisfaire à tous vos Vœux,
L’une apporte la Paix, et l’autre Vous la donne. »

9.

Avec correction d’une coquille dans le millésime : cxiii ([16]113) pour lxiii ([16]63).

s.

Neuhaus, Centuria vi, Epistola xxviii, page 39.

Epistola xxviii.

Illustri Viro, Guidoni Patino,
Med. Parisino, Prof. Regio. Parisios.

Illustris D. Patine,

Bona fide perlatum nuper ad me Parisiis nobi-
lissimum illud opus Caroli, filii tui :
De fami-
liæ Romanæ Numismatibus antiquis. Dignum, certe,
munus quod terra marique Potentissimi Regis,
Ludovici, manus oculosque exerceat. Qui, terri-
bili tandem Marte atque Gorgone consopitis, nunc
etiam, inter Regni sui otia, de promovendis
Sapientiæ studiis, de Literis et Musis cogitat. Ra-
ro exemplo felicitatis et fortunæ Regum princi-
pumque in Europa. Quare, non mirum, si novos
hinc inde Marones Tulliosque excitet, post mag-
nos
Patinos, Menagios, Ogerios in Gallis vestris. Ipsi
nos Belgæ, qui vix oculis nostris, fateor, fulgo-
rem istius Ostri pati possumus. Tantique Regis
tacito attactu Spirituque inflammati, pene ab ho-
mine in Vates pertransimus. Utinam ! porro Rex
Ille Magnus Potentiam suæ Majestatis per orbem
Christianum promoveat. Productoque Imperii
limite, etiam in ultimis Africæ finibus trophæa sua
statuat. Ne regno rebusque nostris infestus, ille al-
ter, è Scythia Thraciæque littoribus trux Alcides,
immanis Turca, infeliciter tandem lateri nostro

t.

Neuhaus, Centuria vi, Epistola xxviii, page 40.

incumbat. Unde non parum, hoc tempore, metus
et periculi in proximos Germanos, scilicet, Vindi-
cta opt. Max Dei in vitia et errores humanos plus-
quam matura. Vobis in procinctu stat victor exer-
citus, qui obstare huic furori insigniter posset. nec
latius ille se diffundat, Aggeribus ruptis. Tandem-
que, quod ille de ventis ait,

Qua data porta ruant, et terras turbine perflent.

Accessit nobili isti dono Numismatum, Patine Pa-
ter,
in Regiam Stirpem fasciculus Epigrammatum. Ubi
utraque lingua Poetam iterum lego filium
Carolum.
Supra vates vatem, ingenio et vena felicem. Qua-
les debent esse illi, qui ad Deorum pulvinaria ausi
assurgere, et quotidie permixti sunt Principibus
viris. Nos tenuiore sulco et Circo agellos nostros
aramus.
Auriacus aliquis, aut Nassovius quando-
que argumentum nobis facit. Non
Ludovicos, non
Theresias, non Borborinos, magna illa Nomina, in
Batavis agnoscimus. Una, inquam,
Libertas,
Oleaque Minerva Iuventrix, utramque nobis pagi-
nam. Tollo manum de tabula, sed, necdum finis
est, video, mi Patine, Libris Liberisque tuis.
Ecce, pari cothurno, natu tamen minorem Ro-
bertum F.
qui Panegyricum scripsit in Medicos
Parisienses. Novum decus et trophæum gloriosæ
familiæe Patinorum, ut vere dicere mihi liceat,
quod de Maria Theresia nuper Carolus tuus.
Quæ
surgere regna Conjugio tali ! Cæterum, Vir Illu-
stris, plurimam Tibi Salutem dicit Leida Clarissi-
mus Lindanus. Qui una mecum diu Vos salvos,
felices, sospites, superstites sperat et desiderat.
Valete,
magna Europæ lumina, Patini Guido
Pater,
Carole, Roberte, Filii.

Alcmariæ xii Kal. Nov. cIɔ Iɔc cxiii.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Reiner von Neuhaus, le 21 octobre 1663

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(Consulté le 04/05/2024)

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