À Claude II Belin, le 13 avril 1641

Note [13]

Louis ii de Bourbon (Paris 1621-Fontainebleau 1686), fils de Henri ii, troisième prince de Condé (v. note [8], lettre 23), et de Charlotte de Montmorency (dernière passion amoureuse de Henri iv), portait alors le titre de duc d’Enghien. Sa sœur aînée était Anne-Charlotte, future duchesse de Longueville, et son frère cadet, Armand, prince de Conti. Louis allait devenir le quatrième prince de Condé (M. le Prince) à la mort de son père (1646) et être honoré par les historiens du surnom de Grand Condé. Ce nom d’Enghien (Anguien ou Enguien) venait d’une seigneurie du Hainaut, ancienne propriété des Bourbons, dont le titre avait été transféré par le premier prince de Condé sur sa terre de Nogent-le-Rotrou, érigée en duché-pairie sous le nom d’Anguien-le-François.

Henri ii, après avoir soigneusement veillé à l’instruction du duc d’Enghien, avait forcé, par intérêt politique (et financier), son mariage avec une nièce de Richelieu, Claire-Clémence de Maillé-Brézé (v. note [63], lettre 101), fille de Nicole du Plessis, sœur du cardinal-ministre. L’union avait eu lieu le 11 février 1641. Le lendemain, le duc d’Enghien était tombé gravement malade : un état de prostration entrecoupé de quelques accès de délire, qui ne dura pas moins de deux mois, et qu’on qualifierait probablement aujourd’hui de dépression mélancolique. Bourdelot, son médecin, écrivait le 24 avril à M. le Prince (Pujo, page 49) :

« La médecine que nous donnâmes à Mgr le duc eut un tel succès qu’après la troisième selle, comme par miracle, il rentra dans son naturel, demanda compagnie, causa pendant trois heures, se souvenant des 20 premiers jours de sa maladie, mais pas des 40 autres. »

Louis ii de Bourbon a été un personnage politique de tout premier plan de l’époque couverte par les lettres de Guy Patin. Elles l’ont suivi dans tous les méandres de sa carrière tourmentée. Elle commença fort brillamment en 1643 : Richelieu, juste avant de mourir, avait recommandé le duc d’Enghien à Louis xiii, qui lui confia le commandement des armées de Flandres et de Picardie, avec la difficile mission de contenir les Espagnols qui menaçaient gravement la frontière du Nord. La première campagne du jeune général aboutit à l’éclatante et décisive victoire de Rocroi, qui sauva la France le 19 mai 1643 (v. note [8], lettre 83), cinq jours après la mort de son roi. Le 8 août, la prise de Thionville confirma le génie militaire du jeune duc. À quelques rares revers près (Lérida, 1647), il vola d’une victoire à l’autre jusqu’à la paix de Westphalie (24 octobre 1648) : Fribourg, Mayence, Landau, Nördlingen en 1644, Dunkerque en 1646, Lens en 1648, pour ne citer que les principales.

Durant la première Fronde (dite du Parlement), devenu M. le Prince, Condé demeura fidèle au jeune roi Louis xiv et à la régente sa mère, Anne d’Autriche : il dirigea les opérations qui aboutirent au siège et à la reddition de Paris (janvier-avril 1649). Sa conduite ultérieure et la menace qu’il représentait pour la branche aînée régnante des Bourbons lui valurent d’être arrêté (18 janvier 1650) et emprisonné dans le château de Vincennes, en compagnie de son frère, le prince de Conti, et de son beau-frère, le duc de Longueville. Leur libération un an plus tard (13 février 1651) inaugura la seconde Fronde (dite des princes) qui transforma le Grand Condé en rebelle, criminel de lèse-majesté :

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Rétabli dans ses honneurs et dignités, M. le Prince, après avoir été candidat malheureux au trône de Pologne (1660-1667), recommença à exercer ses talents de stratège de 1668 à 1675. Il passa ses dernières années dans sa somptueuse retraite de Chantilly, entouré de poètes et de littérateurs, et livré à la fin de sa vie aux inspirations religieuses de Jacques-Bénigne Bossuet.

L’orgueil et l’ambition expliquent en partie les choix politiques tourmentés du Grand Condé (qu’on qualifierait sans doute aujourd’hui d’imprévisible maniaco-dépressif) : général brillantissime qui avait sauvé par deux fois le royaume (Rocroi et la première Fronde), de 17 ans plus âgé que l’enfant-roi Louis xiv et bien supérieur à Gaston d’Orléans, il pouvait nourrir l’ambition de surpasser les descendants directs de Henri iv pour s’emparer de la couronne ; mais Mazarin sut obstinément le contrecarrer. À tous ces titres, M. le Prince, qu’on appelait aussi Son Altesse, horrifiait Guy Patin, mais occupe une place de tout premier choix dans ses lettres.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 13 avril 1641, note 13.

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(Consulté le 28/04/2024)

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