L. 620.  >
À André Falconet,
le 2 juillet 1660

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 2 juillet 1660

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(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous envoyai ma dernière vendredi dernier, 25e de juin, par la voie de M. Troisdames. [2] Messieurs du Parlement ont ordonné que le lendemain, samedi, serait fête, et le lundi suivant, à cause que le Te Deum fut chanté dans Notre-Dame [3] pour le mariage du roi, [4][5] et les boutiques furent fermées le samedi 26e de juin. M. de Vendôme [6] était malade d’une fièvre tierce, [7] laquelle est devenue continue. [8] S’il meurt, il faudra dire Belle âme devant Dieu, s’il y croyait ! [1] Au moins n’en faut-il point jurer qu’on ne soit assuré, car ce sont d’étranges gens que les princes d’aujourd’hui et peut-être que tels ont été pareillement ceux du temps passé. Je ne vois plus ce prêtre qui est tant déréglé, il ne paraît plus dans les rues, latet abditus agro vel angulo urbis[2][9] j’ai peur qu’il ne se mette, faute d’argent, à faire quelque vilain métier dont il se repentirait à loisir. [10] Paris est plein de friponneries, de voleurs, de faux-monnayeurs. [11] On a beau en pendre, on n’en saurait faire tarir la source. Dieu veuille qu’il s’amende, et que non habeat in consilium impiorum, undique naufragium imminet[3]

Le roi devait arriver à Bordeaux la veille de la Saint-Jean. M. d’Épernon [12] l’y a précédé, mais en ce temps-là toute la ville a été fort étonnée d’un grand tremblement de terre [13] qui a eu d’horribles circonstances. Les grosses cloches en ont sonné d’elles-mêmes, les pierres de rocher en sont tombées. Bref, tout le pays en est fort scandalisé, ils n’en attendent rien moins que la peste et des impôts. [14] Cela est arrivé le 21e de juin, qui est le même jour que M. d’Épernon y arriva. A signis cœli nolite metuere[4][15] je suis de l’avis du Saint-Esprit.

M. le comte de La Feuillade [16] est disgracié pour avoir dit quelque chose de mal à propos du mariage du roi, mais cela se raccommodera. [5] On a renvoyé en Espagne quelques dames espagnoles qui étaient à la cour au service de la reine. [17] On leur a fait de beaux présents, elles s’en sont retournées contentes, disant qu’elles ne se pouvaient accoutumer en France et que l’on n’y buvait point assez frais. La reine nouvelle ne parle point encore français, elle dit seulement ces mots : Allons à Paris. On dit qu’ils seront à Fontainebleau [18] le 15e de juillet, qui serait une grande hâte ce me semble.

Noël Falconet [19] acquiert chaque jour quelque degré de sagesse et dit qu’il répondra bien. Il aime fort à être près de moi et à m’écouter parler. Avant-hier après-dîner, comme nous nous entretenions lui et moi, il survint un honnête homme avec qui je parlai environ demi-heure, et puis je le menai dans mon étude pour lui faire une ordonnance. Cet officier du roi le regarda fort et après il me dit, lorsque nous fûmes seuls : Ce petit jeune homme-là vous écoute attentivement et veut apprendre ; ah, que si j’étais en sa place, je ferais bien mon profit de votre présence ! Je lui dis qui vous étiez et il me promit de vous aller saluer quand il ira à Lyon.

On dit que le roi n’ira ni à La Rochelle, [20] ni à Tours ; [21] mais que de Bordeaux, il viendra à Poitiers, et puis à Chambord [22] et à Blois, [6][23] et delà à Fontainebleau. Le roi d’Angleterre [24] a désiré que l’on changeât M. de Bordeaux, [25] notre ambassadeur qui est à Londres, qu’un autre fût envoyé à sa place. [7] On dit que ce nouveau roi se plaint fort du cardinal Mazarin. [26] On dit aussi que le roi d’Angleterre, les Hollandais et le roi de Danemark [27] vont faire un grand accord ensemble, dans lequel ils feront ce qu’ils pourront pour nous y faire entrer aux dépens des autres qui ne voudront point être de nos amis ou alliés.

Il court ici un libelle de huit pages in‑4o par lequel il est prouvé que le crime dont la dame Constantin, sage-femme, est depuis peu accusée n’est qu’une suite de la doctrine des jésuites, et aussi pour détromper les dames qui se laissent abuser par cette erreur, sous prétexte que ces pères l’enseignent dans leurs livres. [8][28][29][30] On dit que la sage-femme [31] se défend fort bien : elle avoue que Mlle de Guerchy [32] est morte chez elle, mais qu’elle ne lui a donné aucun breuvage ; qu’elle vint chez elle fort malade, où elle mourut en criant cruellement ; qu’elle a ouï parler d’un certain breuvage que ladite dame avait pris, mais qu’elle ne savait ce que c’était ni qui l’avait fait. [33] M. de Maunoury, [34] abbé de Gaillac, maître des requêtes, n’est pas bon marchand de son insulte contre M. le premier président : [35] les maîtres des requêtes l’abandonnent, aussi bien que M. le chancelier ; [36] on lui a envoyé un ajournement personnel signé de M. le procureur auquel, s’il ne défère, il sera changé en prise de corps ; on dit qu’il est allé à la cour chercher de la protection. [9]

On dit que le cardinal Mazarin [37] arrivera ici avant le roi, mais qu’il est mal en santé ex frequenti dolore nephretico et acerrima podagra. Mors etiam saxis marmoribusque venit[10][38][39][40][41] On dit que le roi est présentement à Poitiers, qu’il sera le 9e de ce mois à Amboise, [42] puis qu’il viendra à Chambord [43] où il séjournera quatre ou cinq jours ; [11] delà à Blois, après cela à Fontainebleau, delà à Compiègne, [44] avant que de faire son entrée dans Paris, pour laquelle on continue de travailler en divers endroits, et surtout dans la rue Saint-Antoine, [45] dans le même faubourg, [46] à la Grève, [47] sur le Pont Notre-Dame, [48] au Marché-Neuf, [49] et ailleurs. Les nouvelles de M. de Vendôme [50] ne sont pas bonnes, il est encore en danger de sa personne. Le tremblement de terre n’a pas été seulement vers Bordeaux, mais aussi en Auvergne et ailleurs. Le roi passera à Richelieu, [51] et on croit qu’il y séjournera plusieurs jours. On dit que la reine a eu des maux de cœur, d’où l’on soupçonne qu’elle est déjà grosse. Cela serait agréable aux gens de bien pourvu que le peuple soit soulagé, lequel languit il y a lontemps de trop de pauvreté. On rompit hier un voleur à la Grève ; [52] aujourd’hui seront pendus trois autres malheureux au faubourg Saint-Germain. [53][54] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 2d de juillet 1660.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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