Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 65.
Note [65]

« a toujours été de douteuse vertu ».

  • Cet article, daté de 1638 (précision ajoutée dans la marge du manuscrit), porte sur la descendance de Louis xiii : question capitale qui préoccupait toute l’Europe, car 23 ans après son mariage avec Anne d’Autriche (1615), son union était demeurée stérile. De son côté, Gaston d’Orléans, jeune veuf et frère unique du roi, avait eu une fille (la Grande Mademoiselle, née en 1627) et se démenait dans les querelles suscitées par son remariage secret avec Marguerite de Lorraine (1632) ; mais ni les exactions ni les débauches de Monsieur ne pouvaient l’écarter du trône. Si Louis xiii et Gaston venaient à mourir sans héritier mâle, la branche aînée des Bourbons, issue de Henri iv, s’éteignait pour laisser la place à la branche cadette des Bourbon-Condé. La grossesse inespérée de la reine Anne était donc une réjouissante nouvelle pour tous les loyaux sujets du royaume (v. note [8], lettre 38)  et elle eut une heureuse issue, le 5 septembre, avec la naissance de Louis-Dieudonné, le futur roi Louis xiv.

  • Le Prince de Condé était alors Henri ii de Bourbon, né en 1588, fils posthume de Henri ier (v. notes [8], lettre 23, et [18] du Borboniana 4 manuscrit). En 1586, son père avait épousé Charlotte-Catherine de La Trémoille (1568-1629). Cette deuxième princesse de Condé, aïeule du Grand Condé, se trouva mêlée à une sombre affaire criminelle.

    La Correspondance de Théodore de Bèze (Genève, Droz, 2007, tome xxix, pages 60‑61) contient une lettre de Henri de Navarre (Henri iv, roi de France, en 1589), datée de Saint-Jean-d’Angély en mars-avril 1588 ; en voici le début, mis en français moderne :

    « Monsieur de Bèze, {a}

    Il faut que je vous dise que de longtemps je n’ai été tellement contristé et affligé en mon âme que je suis de la perte publique et particulière que j’ai faite de feu mon cousin, Monsieur le Prince. Mais surtout, j’ai eu un extrême déplaisir de la façon de sa mort, laquelle j’ai tant plus en horreur et exécration qu’elle est domestique et presque sans semblable exemple en toutes ses circonstances. Je n’oublie rien pour avérer ce fait, mais un page de Madame la Princesse, nommé Belcastel, {b} en est principal instrument, lequel s’est sauvé dans Poitiers ; et pour le recouvrer, j’ai dépêché vers le roi, {c} espérant qu’il n’approuvera telles voies abominables, et qu’il le fera amener en ce lieu de Saint-Jean, pour pouvoir mieux avérer le fait, et instruire le procès que je leur veux faire. Au même temps, il y avait vingt-quatre hommes dépêchés en ces quartiers pour épier l’occasion de me tuer. […] »

    Dans son Histoire des princes de Condé, le duc d’Aumale n’en dit guère plus, en se fondant lui aussi sur les lettres écrites par Henri de Navarre en 1588 (Paris, 1889, tome 2, pages 179‑182) :

    « Le lendemain, {d} le roi de Navarre quittait Nérac pour aller à Saint-Jean complimenter la veuve de son cousin, et “ pourvoir à ce qui concernait cette mort ”. Sur sa route, il reçut de nouveaux renseignements : les médecins croyaient à un empoisonnement ; tous les gens du prince avaient été arrêtés ; deux d’entre eux avaient disparu. C’était un page de seize ans, appelé Belcastel, {b} et un valet de chambre, appelé Corbais. Tous deux étaient au service de la princesse. On ne put retrouver leur trace ; mais on sut qu’ils s’étaient enfuis sur des chevaux placés depuis plusieurs jours dans une hôtellerie du faubourg par un nommé Brillaud. Ce Brillaud était un ancien procureur de Bordeaux, que la princesse avait fait entrer dans la maison comme contrôleur et qui y gouvernait tout. Mis à la torture, il fit des aveux importants, qui chargeaient la veuve de son maître. L’opinion publique se prononça aussitôt contre elle. Navarre la croyait coupable : “ Souvenez-vous de ce que je vous ai dit d’autres fois ”, écrivait-il à Corisande {e} dès le 13 mars, “ je ne me trompe guère en mes jugements : c’est une dangereuse bête qu’une mauvaise femme. ”

    Des commissaires furent nommés pour instruire le procès des accusés. Belcastel fut exécuté en effigie. Brillaud fut aussi déclaré coupable, convaincu de plusieurs autres forfaits antérieurs, et subit le dernier supplice. La princesse fut arrêtée et, quoique le Parlement de Paris eût évoqué l’affaire, comme représentant la Cour des pairs, le roi de Navarre avait ordonné de passer outre et faisait apporter dans cette affaire d’autant plus de rigueur que la calomnie ne l’avait pas épargné : ses ennemis avaient laissé entendre qu’il n’était pas étranger à la mort de son cousin. Aussi les commissaires continuaient-ils leurs poursuites, lorsque la grossesse de la princesse, déclarée peu après, les fit suspendre. Cependant, elle resta sept ans étroitement détenue. Nous verrons plus loin comment et dans quelles circonstances fut rendu l’arrêt du Parlement de Paris qui la déclara innocente. {f} Nous ajouterons seulement ici que, si un ensemble de circonstances mystérieuses avait dû la faire soupçonner, il n’y eut jamais contre elle d’autre preuve que les dépositions de Brillaud, obtenues par la torture. »


    1. V. supra note [34].

    2. Ce Belcastel, dit de Permilhac, mais de prénom inconnu, ne figure que dans la galerie des personnages énigmatiques de l’histoire de France. Il aurait définitivement disparu après son forfait.

    3. Henri iii, assassiné en août 1589.

    4. 11 mars 1588, six jours après la mort du prince Henri ier de Condé.

    5. Diane d’Andoins (1554-1621), « la belle Corisande », maîtresse du roi de Navarre entre 1582 et 1591.

    6. Ce non-lieu de la princesse permet peut-être de croire le Borboniana quand il fait réapparaître Belcastel à Bordeaux en 1615, sous le malveillant patronage de la reine Marie de Médicis, veuve de Henri iv, lors du mariage de Louis xiii et d’Anne d’Autriche.

  • V. notes :

    • [21] du Borboniana 9 manuscrit, pour d’autres détails sur les relations entre Henri de Navarre et Charlotte-Catherine de Bourbon-Condé ;

    • [15], lettre 12, pour le maréchal-duc Henri ii de Montmorency, condamné à mort et décapité à Toulouse le 30 octobre 1632 ;

    • [54] supra pour Achille Harlay de Sancy, qui avait été ambassadeur de France aux Échelles du Levant avant de devenir évêque de Saint-Malo.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 65.

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(Consulté le 26/04/2024)

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