Il y a longtemps que j’ai dessein de vous écrire et votre lettre que je viens de recevoir me fait rentrer en diligence dans mon devoir. Excusez, s’il vous plaît, si par ci-devant je ne vous ai écrit : j’ai eu soin d’instruire mon fils pour son examen de carême, après lequel il a été reçu bachelier ; [2] mais il ne répondra que l’hiver qui vient. [1] J’ai voulu aussi qu’il fît le paranymphe [3][4] de nos Écoles ; à quoi, Dieu merci, il a réussi tant en la composition qu’à la récitation de la grande harangue, qui a duré plus d’une heure et demie, et de six autres petites. Elles pourront être imprimées et en ce cas-là je ne manquerai pas de vous en envoyer. [2] J’ai encore eu un troisième empêchement, qui a été de mener la brigue de M. de Montigny [5] qui avait répondu sous moi l’an passé. [3] Maintenant, Dieu merci, je suis un peu dégagé puisque tout cela est passé. On imprime ici un traité de Hofmannus de Anima et eius facultatibus, quatenus medicus illas considerat [6] et un troisième tome de Conseils de M. de Baillou. [7] M. Guillemeau a ici présidé le carême passé à une thèse qui a été fort bien reçue. [8][9] Je vous en envoie quatre exemplaires pour vous, MM. Sorel, Blampignon et Barat. On l’imprime aussi en français avec quelques observations sur la fin, mais cela n’est pas achevé. [4] Nous avons perdu cette année deux de nos anciens, savoir le bonhomme M. Seguin [10] et M. de La Vigne. [11] Ce dernier en valait dix autres. Quiescant in pace. [5] Votre M. Henry [12] est un Lyonnais fort entendu à beaucoup de choses, je ne sais ce qu’il allait faire à Troyes. [6][13] Vous savez bien la disgrâce de M. d’Émery, [14] surintendant des finances. [7] Le Parlement est ici bien animé, mais je ne sais s’il aura assez de pouvoir d’effectuer tout ce qu’il entreprend, Dieu lui en fasse la grâce. [8][15][16] Je vous baise les mains, à monsieur votre fils, à MM. Camusat et Allen, Blampignon, Sorel et Barat, et suis de tout mon cœur, quand même vous ne le voudriez pas, Monsieur, votre très humble et obéissant serviteur,
Patin.
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Répondre : soutenir sa première thèse quodlibétaire. Les trois thèses que Robert Patin a disputées ont été dans l’ordre :
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Ce paranymphe médical {a} de Robert Patin n’a été imprimé que 15 ans plus tard : Paranymphus medicus habitus in Scholis Medic. die 28 Iunii, 1648, a Roberto Patin medicinæ baccalaureo. De Antiquitate et dignitate Scholæ Medicæ Parisiensis, et illustrioribus, qui in ea claruere Medicis. Cum singulorum Licentiandorum Elogiis. L’épître dédicatoire, Clarissimo eruditissimoque viro D.D. Guidoni Patin, Doct. Medico Paris. et Professori Regio, Parenti suo, Robertus filius S.D. [Robert le fils, salue le très brillant et très savant Maître Guy Patin, docteur en médecine de Paris et professeur royal, son père] est un vibrant et reconnaissant hommage filial :
J’ai porté plus d’attention qu’il n’en mérite à cet ouvrage parce que c’est un des rares écrits académiques dont on soit sûr qu’il l’ait lui-même écrit (bien que, par endroits, on soit tenté d’y deviner la plume et les griffes de son père). L’Oratio panegyrica (47 pages) du Paranymphus medicus ne manque pas de saluer toutes les gloires passées et présentes de l’École médicale parisienne (pages 23‑24) :
Suivent les six Orationes encomiasticæ singulorum, qui tum licentiæ gradu donandi erant [Éloges de chacun de ceux qui allaient alors recevoir le grade de licence] : Jean-Baptiste Moreau, natif de Paris (v. note [12], lettre 155), Étienne Bachot, de Sens (v. note [33], lettre 336), Jean de Montigny, d’Avranches (v. note [3], lettre 157), Bertin Dieuxivoye, du Mans (v. note [46], lettre 442), Armand-Jean de Mauvillain (v. note [16], lettre 336) et Jacques Gamare (v. note [36], lettre 286), tous deux originaires de Paris ; ce sont dans leur rang de classement les lauréats de la licence. Reçu bachelier de la Faculté de médecine de Paris le 4 avril 1648, Robert Patin, né le 11 août 1629, n’avait pas encore atteint ses 19 ans révolus ; il avait donc fait jouer à plein l’article viii des statuts permettant aux seuls fils de docteurs régents d’abréger de quatre à deux ans leur préparation au baccalauréat (v. note [2], lettre 39). Maurice Raynaud (Les Médecins au temps de Molière) en a mis deux extraits en français ; j’en ai transcrit les sources latines avec quelques extensions, et j’en ai amendé et complété les traductions. Ils donnent une juste idée de ce genre d’exercice où l’ironie se dissimulait mal derrière l’outrance de l’hommage (v. note [9], lettre 3, pour le paranymphe prononcé par Gabriel Naudé en 1628).
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3. |
Jean de Montigny (natif d’Avranches, mort le 12 novembre 1652) avait obtenu le troisième lieu (sur six) de la licence (v. note [8], lettre 3) de 1648, puis été reçu docteur régent de la Faculté de médecine de Paris en janvier 1649. C’était lui qui avait disputé le 14 mars 1647, sous la présidence de Guy Patin, la fameuse question cardinale sur la Sobriété, qui avait valu à son auteur un procès contre les apothicaires (v. note [6], lettre 143). Par « mener la brigue de M. de Montigny », Patin voulait sans doute dire le seconder pour obtenir la permission de disputer ses trois actes de doctorat, mais je n’ai rien trouvé dans les Comment. F.M.P. de 1648 (tome xiii) qui fasse état d’oppositions qu’il y aurait rencontrées. |
4. |
V. notes :
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5. |
« Qu’ils reposent en paix. » |
6. |
François Henry (Lyon 1615-Paris 1686), avocat au Parlement de Paris, avait dû, en raison de son mauvais état de santé, renoncer au barreau pour s’adonner entièrement à l’étude des sciences mathématiques et naturelles. On lui doit avec Henri-Louis Habert de Montmor (v. note [13], lettre 337) l’édition des Opera omnia de Pierre Gassendi en 1658 (v. note [19], lettre 442), et avec Friedrich Bitiskius, celle des Opera omnia medico-chemico-chirurgica [Œuvres médico-chirurgicales complètes] de Paracelse (v. note [8], lettre 392). |
7. |
En novembre 1643 Michel i Particelli d’Émery (v. note [6], lettre 46) avait acheté la charge de contrôleur général créée en mai précédent. Il l’avait due au soutien de Mazarin qui appréciait ce grand commis formé sous Richelieu. En juillet 1647, la même faveur l’avait amené à la surintendance des finances. Il y avait pris, entre autres, les très impopulaires édits du Toisé (1644, v. note [6], lettre 127) et du retranchement des gages des officiers. Le 9 juillet 1648, Mazarin avait poussé la reine à révoquer ce bouc émissaire de la vindicte populaire, dans la vaine espérance de désarmer l’opposition parlementaire et de disposer les esprits à la conciliation. Le maréchal de La Meilleraye remplaçait Particelli d’Émery, mais il était dépourvu de toute capacité en matière financière. L’arrêt d’union conclu le 13 mai avait tenu bon (v. note [7], lettre 156), la Chambre Saint-Louis réunissait régulièrement les cours souveraines depuis le 13 juin, elle avait déclaré ses 27 articles le 2 juillet : diminution des impôts, annulation de taxes nouvelles, suppression des dédoublements des charges d’officer, renouvellement sans condition de la paulette ; création d’une Chambre de justice pour mettre fin aux abus des financiers et des partisans ; instauration d’un pouvoir de légiférer indépendamment de la Couronne en matière financière ; suppression des commissaires et intendants nommés par le roi pour rendre tout leur pouvoir (et tous leurs revenus) aux officiers propriétaires de leur charge ; instauration par l’article 6 d’une sorte d’habeas corpus, « Aucun sujet du roi ne pourra être détenu prisonnier plus de 24 heures sans être interrogé et rendu à son juge naturel », et d’une sorte d’immunité parlementaire, « Aucun officier ne pourrait être troublé dans sa fonction par lettre de cachet ». Tout à fait inadmissibles pour la Couronne, ces textes « ne furent pas acceptés, sauf pendant les “ événements ”, faute de mieux et en apparence. » (Goubert, pages 202‑205). Le besoin d’argent pour effacer la dette de l’État et éviter la banqueroute avait dépassé les limites du tolérable, la Fronde parlementaire allait grand train. |
8. |
La reine était revenue sur sa décision de dissoudre la Chambre Saint-Louis et acceptait du bout des lèvres les 27 articles que les magistrats unis exigeaient d’elle. La Gazette (ordinaire no 111, du 25 juillet 1648, page 960) rassurait ses lecteurs :
Le lit de justice du 31 juillet 1648 allait entériner la première victoire partielle du Parlement de Paris : les tailles de 1649 étaient réduites d’un quart ; aucune imposition ne pouvait désormais être établie qu’en vertu d’édits dûment vérifiés par les cours souveraines ; divers avantages fiscaux étaient accordés à la ville de Paris (abolition des édits du rachat et du Toisé, v. note [7], lettre 157) ; la création de douze maîtres des requêtes était révoquée ; mais pour sauver la face, la Chambre Saint-Louis devait cesser ses délibérations et le Parlement se cantonner dans ses attributions judiciaires. Pour tout arranger en apparence, les émeutes du mois d’août permirent une concession supplémentaire. Ordinaire no 137, du 15 septembre 1648 (pages 1207‑1208) :
La déclaration royale du 22 octobre 1648 établit l’habeas corpus (v. note [52], lettre 156). |
9. |
Guy Patin n’a pas dit dans cette lettre que le 31 mai 1648, entre midi et une heure, le duc de Beaufort s’était évadé du château de Vincennes, où il était détenu depuis septembre 1643 pour complot ayant visé à assassiner le cardinal Mazarin (v. note [14], lettre 93). Sans doute Patin n’y attacha-t-il pas plus d’importance que le ministre (qui était bien plus préoccupé par la révolte du parlement) ; Olivier Le Fèvre d’Ormesson (Journal, tome i, page 504) :
Seules sept courtes lettres écrites au second semestre de 1648 nous sont restées de Guy Patin. Il y a fort peu parlé des événements politiques de toute première importance, intérieurs (début de la Fronde) comme extérieurs (paix de Westphalie), qui se sont produits dans cette période ; mais plusieurs de ses lettres à Charles Spon ont été perdues (v. note [6], lettre 161). |
a. |
Ms BnF no 9358, fo 114, « À Monsieur/ Monsieur Belin le père/ docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no xc (tome i, page 143) ; Triaire no clx (pages 613‑614). |