L. 660.  >
À André Falconet,
le 29 décembre 1660

Monsieur, [a][1]

Ce 22e de décembre. Nous avons eu hier le plus court jour de l’année, bruma Veterum[1] le jour du solstice d’hiver, [2] Bruma quasi[2] Aujourd’hui a été vespérisé [3] en nos Écoles un nouveau licencié [4] nommé De Caen, [5] par M. Hubault, [6] mon proche voisin et immédiat successeur. [3] Mon rang était d’y faire du latin, comme j’y en ai fait pro laudabili Scholæ consuetudine[4] et la question était An vino madidis iusculum capparum ? [5][7] que j’ai proposée au dit sieur De Caen qui y a satisfait. J’ai encore à faire du latin deux fois, l’une pour la pastillaire [8] de M. De Laval [9] et l’autre pour le doctorat [10] de M. De Caen ; [6] et après, je serai quitte de toutes ces corvées et je travaillerai un peu plus à mon aise à mes leçons [11] de purgantium medicamentorum viribus et natura[7][12] On imprime à Leyde [13] un bel ouvrage de Vitis illustrium medicorum Io. Henr. Meibomii[14] Cet auteur est un médecin de Lübeck, [15] fort savant homme, qui est mort depuis trois ans ; c’est de lui que nous avons un commentaire fort exact in Iusiurandum Hipp[16] Plût à Dieu que personne ne fît pis dans un si grand nombre d’écrivains qui barbouillent le papier, il a écrit sagement, poliment et doctement. [8]

Le cardinal [17] se porte un peu mieux. Il avait chassé ses médecins avec indignité, mais M. Le Tellier [18] les a un peu réconciliés sur ce que Guénaultv lui a dit, lui promettant l’été prochain d’aller à Bourbon [19] lui-même, de l’y mener et de le guérir. Sunt verba et voces, non sic evellitur, neque aboletur contumax intemperies tot affectuum podagricorum causa ; aliæ artes quam Guenaldicæ requiruntur[9][20][21] et il faut à cela d’autres remèdes que des eaux minérales : [22] un grand et exact régime de vivre, [23] une grande tranquillité d’esprit, que le Mazarin n’a point et n’aura jamais, frequens lactis asini potus, postquam fuerit corpus repurgatissimum[10][24] me semblent les remèdes matériels qui lui seraient les meilleurs. Alia formalia requiruntur, etc., [11] mais comme disent les faiseurs d’almanachs, Dieu par-dessus tout. Puisque les livres ne s’achèvent pas à Lyon non plus qu’à Paris, patience, je ne vous en dis mot. J’attendrai ceux-là et les autres tant qu’il plaira à Dieu : in patientia possidebo animam meam, et expectabo donec immutatio veniat[12][25] M. Ravaud [26] m’a promis un P. Zacchias, [13][27] ce sera pour moi. Il m’en faut un autre pour M. Vander Linden [28] de Leyde en Hollande, mon bon ami, qui me le demande et à qui j’en veux faire présent à quelque prix que ce soit. Je vous prie de m’en acheter un et de me l’adresser.

Je crois en vérité que peu de gens savent la vérité du mal du cardinal Mazarin ; mais néanmoins, plusieurs en parlent et tous disent qu’il ne peut pas vivre longtemps. De là vient qu’à la cour on dit qu’il y a plusieurs partis pour lui succéder en la faveur qu’il a auprès du roi [29] et en sa place, savoir de M. le maréchal de Villeroy, [30] de M. Le Tellier et l’abbé Fouquet, [31] de M. de Guénégaud, [32] secrétaire d’État, et autres ; sans oser parler du cardinal de Retz [33] que quelques-uns veulent qu’il soit en Angleterre, ce que je ne crois pas ; d’autres disent qu’il est à Paris, ou qu’au moins il y a été ; il y serait sans doute en grand danger.

On imprime ici l’Histoire de Henri iv [34] faite par M. de Péréfixe, [35] évêque de Rodez, précepteur du roi, à qui elle sera dédiée, et que l’on dit n’avoir été écrite que pour son instruction ; elle sera in‑4o de belle lettre. [14][36] On parle ici de quelques bateaux de marchandises qui ont été perdus sur la rivière [37] en deçà de Rouen ; entre autres, on dit qu’il y a beaucoup de sucre. [38] Je souhaiterais fort qu’un paquet de livres que M. Vander Linden m’envoie n’en fût point perdu ; il y a cinq mois qu’il les a délivrés pour moi, mais la rivière est très grosse et par conséquent, point marchande. Il n’y a pas ici beaucoup de malades, mais il y a bien des ivrognes : ce vin nouveau [39] donne dans la tête rudement et fait la goutte, [40] le rhumatisme [41] et des fluxions sur la poitrine avec toux et difficulté de respirer.

Je viens d’un endroit où j’ai appris que la reine d’Angleterre [42] partira le 10e de janvier prochain pour revenir en France ; que le cardinal Mazarin n’était pas bien et qu’il a eu une fort mauvaise nuit, c’est pourquoi le roi même y est allé de grand matin ; et que des sept hommes qui faisaient la gazette manuscrite, il y en a eu un qui a eu le fouet [43] par les carrefours. On a dit aussi que les dix compagnies du régiment des gardes [44] ne seront point cassées et que le comte de Schomberg [45] s’en va avec quelques troupes en Portugal. Mais il faut que vous sachiez que ces sept faiseurs de gazette à la main [46] étaient prisonniers dans la Bastille [47] et que Renaudot [48] les a fort poursuivis afin de les faire pendre, d’autant qu’ils sont cause qu’il ne vend guère de sa Gazette imprimée, [49] de laquelle on se moque ici. [15] Les courtisans disent que notre jeune reine [50] devient grasse, mais non pas grosse, quoiqu’elle mange bien. Si M. le chancelier [51] mourait demain, M. Le Tellier serait en un instant son successeur et chancelier de France ; c’est un seigneur très habile et très digne de l’être. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 29e de décembre 1660.

Je viens d’un lieu d’honneur où l’on tient pour certain que le cardinal Mazarin est mal et qu’il aura bien de la peine à passer le mois de mars. Il y a un honnête homme qui a dit que le Mazarin était dur et cruel, qu’il n’avait pitié de personne, qu’il ne rabattait ni tailles, [52] ni impôts [53] depuis la paix [54] faite, mais que la mort n’aurait point pitié de lui. [16] On dit que le roi d’Angleterre [55] n’a pas trop rejeté la proposition qu’on lui a faite d’épouser la nièce [56] du cardinal Mazarin, [57] ni même ceux de son Conseil que l’on croit être gagnés ; mais que le peuple d’Angleterre est cause de ce refus, qui ne veut point de cette alliance, vu qu’elle n’est point de bonne Maison, qu’elle est italienne et de différente religion. Elle a un oncle puissant véritablement, mais apparemment il ne peut plus guère vivre. On dit que le chancelier [58] et le Parlement d’Angleterre [59] ont été de ce même avis, mais que le roi ne l’eût point refusée, se sentant ébloui de la somme immense d’argent qu’on lui proposait s’il voulait consentir.

Aurea sunt vere nunc sæcula : plurimus auro
Venit honos, auro conciliatur amor
[17][60]

Je vous baise très humblement les mains, à Mlle Falconet et à notre bon ami M. Spon, et suis de tout mon cœur votre, etc.


a.

Bulderen, no ccxxiii (tome ii, pages 175‑179) ; Reveillé-Parise, no dl (tome iii, pages 301‑304).

1.

« la bruma des Anciens ».

2.

« autrement dit Bruma » : « les étymologistes latins tirent bruma de brevissima, brev-u-ma, le jour le plus court ; on conçoit comment bruma, l’hiver, a donné son nom à la brume » (Littré DLF). En 1660, le solstice d’hiver a eu lieu le 21 décembre.

3.

Cyprien Hubault, natif de Paris, avait été reçu licencié de la Faculté de médecine de Paris en 1622, mais ne fut reçu docteur régent qu’en 1628. Il venait juste après Guy Patin (régent en 1627) sur la liste d’ancienneté des docteurs de la Faculté. Être vespérisé, c’était, pour un licencié, disputer son acte de vespéries (v. note [9], lettre 456) en présence d’un docteur régent dont le tour était venu de présider.

Antoine De Caen, le vespérisé du jour sous la présidence de Hubault, était aussi originaire de Paris (Baron). Les trois doubles questions soumises par De Caen furent successivement (Baron) :

4.

« suivant la louable tradition de l’École ».

5.

L’édition Bulderen donne …decoctum cæparum, avec cette traduction, « de la soupe à l’oignon aux ivrognes ? ».

Il m’a paru bon de restituer le titre original (…iusculum capparum, du bouillon de câpres) fourni par Baron (v. supra note [3]) : Thomas Corneille dit en effet des câpres qu’elles « purgent et nettoient les phlegmes qui sont dans l’estomac, et désopilent [évacuent] le foie et la rate » ; mais à la décharge de Bulderen, Furetière dit qu’« une soupe à l’oignon refait la tête d’un ivrogne ».

6.

Charles De Laval soutint son acte de régence (antéquodlibétaire ou plus communément, pastillaire) le 29 décembre 1660 sur la double question An cor magnum timidum/ audax ? [Un grand cœur est-il timide/ hardi ?] (v. note [16], lettre 642, pour ses deux précédents actes de vespérie et de doctorat).

V. supra note [3], pour l’acte de doctorat d’Antoine De Caen.

Quand ils étaient consciencieux (comme était Guy Patin, v. note [1], lettre 661), les docteurs régents préparaient longuement leurs harangues latines pour les actes de la Faculté (en les écrivant avant de les déclamer).

7.

« sur la nature et les propriétés de médicaments purgatifs. »

8.

Johann Heinrich Meibomius (Helmstedt 1590-Lübeck 1655) était fils du philologue et historien Heinrich Meibom ou Meybaum (1555-1625). Johann Heinrich avait commencé ses études médicales à l’Université de sa ville natale, les continua à Wittemberg et à Leipzig, voyagea ensuite en France et en Italie, revint enfin à Bâle où il se fit recevoir docteur en 1619. Nommé en professeur de médecine à l’Université d’Helmstedt, il abandonna sa chaire en 1625 à cause de la guerre et se retira à Lübeck où il devint médecin du prince-évêque et médecin pensionné de la ville. Éloy précise que :

« ce fut là qu’il mourut le 16 mai 1655. Meibomius ne s’occupa presque que de l’histoire sur la fin de sa vie ; il s’attacha particulièrement à celle de la médecine, sur laquelle il laissa à son fils un manuscrit intitulé De Vitis medicorum usque ad sæculum xv, {a} mais cet ouvrage n’a point été imprimé »


  1. « Les vies des médecins jusqu’au xve s. » : v. la biographie d’Heinrich Meibomius, fils de Johann Heinrich et correspondant de Guy Patin, et la note [7], lettre latine 239.

Patin se souvenait aussi du :

Hippocratis magni orkoc, {a} sive iusiurandum recensitum, et libro commentario illustratum, a Joanne Henrico Meibomio.

[Le Serment du grand Hippocrate, que Johann Heinrich Meibomius a restauré et éclairé d’un commentaire libre]. {b}


  1. Sic pour ορκος.

  2. Leyde, Jacobus Lauwiickius, 1643, in‑4o de 228 pages divisées en 22 chapitres, avec le texte grec et latin du Serment (pages †† ro‑††2 ro).

    Meibomius n’y retrace malheureusement pas l’histoire académique du Serment d’Hippocrate, que certaines universités allemandes ont commencé à faire prêter aux médecins qu’elles graduaient vers le milieu du xvie s. La plupart des facultés françaises (dont Montpellier semble avoir été la première) ne se sont mises à adopter cette coutume qu’à partir du xixe s.

    V. note [13], lettre 22, pour les trois articles du serment que prêtaient les docteurs de la Faculté de médecine de Paris au xviie s., qui n’avait rien d’hippocratique, et se limitait à trois points de pure discipline.

V. note [2], lettre latine 155, pour le livre de Meibomius qui rencontra le plus grand et durable succès : son traité De flagrorum Usu in re veneria et lumborum renumque officio… [L’Emploi de la flagellation dans la relation amoureuse, et du fonctionnement des reins et des lombes…] (Leyde, 1643, pour la première de nombreuses éditions et traductions).

9.

« “ Ce ne sont que mots et formules ”, {a} l’intempérie opiniâtre, cause de toutes les affections goutteuses, n’est ni déracinée ni supprimée de cette façon ; on y a besoin d’autres talents que ceux de Guénault ».


  1. Horace, v. note [2], lettre 181.

10.

« la boisson fréquente de lait d’ânesse [v. note [3], lettre 153], après quoi le corps aura été tout à fait nettoyé ».

11.

« D’autres règles sont requises, etc. ».

12.

« je soumettrai mon âme à la patience et j’attendrai jusqu’à ce que vienne le changement. » Job (14:14) :

Putasne mortuus homo rursum vivet ? Cunctis diebus quibus nunc milito expecto donec veniat inmutatio mea

Ne penses-tu pas qu’une fois mort l’homme vivra de nouveau ? Maintenant tous les jours de mon service j’attends jusqu’à ce que vienne ma relève].

13.

V. note [10], lettre 568, pour les « Questions médico-légales » de Paolo Zacchias (Lyon, 1661).

14.

Histoire du roi Henri le Grand. Composée par Messire Hardouin de de Péréfixe, {a} évêque de Rodez, ci-devant précepteur du roi. {b}


  1. V. note [38], lettre 106.

  2. Paris, Edme Martin, 1661, in‑4o de 481 pages, dédicacé à Mazarin, parmi plusieurs éditions de même date.

S’agissant d’un auteur tout dévoué à la Couronne, j’ai prêté attention à ce qu’il a écrit sur l’assassin de Henri iv (pages 452‑455) :

« Il y avait à Paris, depuis deux ans, un certain méchant coquin nommé François Ravaillac, {a} natif du pays d’Angoumois, de vile extraction, de poil rousseau, rêveur et mélancolique, qui avait été moine, puis ayant quitté le froc avant que d’être profès, {b} avait tenu école ; et après, s’était fait solliciteur d’affaires {c} et était venu à Paris. On ne sait s’il y avait été amené pour faire ce coup ou si, y étant venu à autre dessein, il avait été induit à cette exécrable entreprise par des gens qui, ayant connu qu’il avait encore dans l’âme quelque levain de la Ligue, et cette fausse persuasion que le roi allait renverser la religion catholique en Allemagne, {d} le jugèrent propre pour ce coup.

Si l’on demande qui furent les démons et les furies qui lui inspirèrent une si damnable pensée, et qui le poussèrent à effectuer sa méchante disposition, l’histoire répond qu’elle n’en sait rien, et qu’en une chose si importante, il n’est pas permis de faire passer des soupçons et des conjectures pour des vérités assurées. Les juges mêmes qui l’interrogèrent n’osèrent en ouvrir la bouche et n’en parlèrent jamais que des épaules. {e} […]

Il fut pris sur-le-champ, interrogé à diverses fois par les commissaires du Parlement, jugé les chambres assemblées et, par arrêt, tiré à quatre chevaux dans la Grève, après avoir été tenaillé aux mamelles, aux bras et aux cuisses, sans qu’il témoignât la moindre émotions de crainte ni de douleur dans de si étranges tourments : ce qui confirmait bien le soupçon qu’on avait que certains émissaires, sous le masque de piété, l’avaient instruit et l’avaient enchanté par de fausses assurances qu’il mourrait martyr s’il tuait celui qu’ils lui faisaient croire être l’ennemi juré de l’Église. »


  1. V. note [90], lettre 166.

  2. Avant d’avoir prononcé ses vœux.

  3. « On a des solliciteurs à gages pour aller chez les avocats et les procureurs, afin de presser l’instruction des affaires » (Furetière)

  4. En 1610, Henri iv se disposait à intervenir militairement contre l’emprereur germanique Rodolphe ii pour l’empêcher de s’emparer des principautés de Clèves et Juliers.

  5. Expression cocasse dont je n’ai pas trouvé l’explication certaine dans les dictionnaires du temps : parler « par-dessus l’épaule », c’est raconter « le contraire de tout ce que l’on dit ou croit » (Oudin) ou faire entendre « qu’il n’y a rien de vrai en ce qu’on allègue » (Fueretière) ; mais les juges pouvaient se contenter de ne rien répondre et de hausser les épaules.

15.

Les nouvelles dites manuscrites, ou gazettes à la main, étaient des publications anonymes, clandestines et épisodiques qui s’imprimaient et se distribuaient sous le manteau. D’un ton extrêmement libre, elles abordaient toutes sortes de sujet et résistaient à chacun des édits qu’on prenait pour les faire interdire. Les mazarinades de la Fronde en ont représenté le genre le plus fameux au xviie s. Edme Boursault (1638-1701) a fait courir une telle gazette en vers satiriques, mais rien ne permet d’affirmer qu’il s’agissait ici de celle qui faisait concurrence à la Gazette, si complaisante pour le gouvernement, alors publiée par Théophraste ii Renaudot (v. note [6], lettre 331).

La Gazette burlesque de Jean Loret (créée en 1650 sous le titre initial de Lettres en vers à Mlle de Longueville, futures Muse historique) paraissait depuis 1652, mais elle était imprimée sous privilège royal et son ton général paraît fort éloigné de lui avoir un jour fait mériter le fouet et la Bastille.

Frédéric-Armand de Schomberg (Heidelberg 1615-1690) avait combattu sous divers étendards européens, dont la France. Comte germanique sans lein de parenté maréchal Charles de Schomberg (v. note [10], lettre 209), il partait alors au Portugal pour épauler le roi Alphonse vi et sa mère dans leur lutte contre les Espagnols (v. note [8], lettre 457). Nommé maréchal de France en 1675, sa fidélité au protestantisme le contraignit à s’exiler lors de la révocation de l’édit de Nantes (1685) pour se mettre au service de nations plus tolérantes.

16.

Mme de Motteville (Mémoires, page 501) :

« L’avarice du cardinal était telle que la reine {a} n’avait point d’argent : toute la dépense de sa Maison se faisait par l’ordre de Colbert, créature du cardinal, qui épargnait sur toutes choses. Cette jeune princesse n’avait pas de quoi jouer car on ne lui donnait alors que les mille écus par mois destinés de tout temps pour les menus plaisirs des reines et pour leurs aumônes ; mais comme le jeu était à la mode et que la reine aimait quelquefois à jouer, cette somme n’était pas suffisante ; car pouvant beaucoup perdre chaque jour, il arrivait souvent que l’argent était bientôt fini, de sorte qu’elle n’avait pas de quoi faire des aumônes ni de quoi satisfaire à ses plaisirs. Le jour des étrennes, on avait accoutumé de donner à la reine mère, {b} du temps du roi son mari, {c} douze mille écus, mais la reine n’eut que dix mille livres, dont elle fut fâchée à cause que la reine, sa mère, {d} lui avait dit qu’elle avait accoutumé d’avoir douze mille écus. Cette différence lui déplut, elle s’en plaignit à la duchesse de Navailles. Cette dame, croyant faire un service au cardinal, l’en alla avertir, le conseiller de mieux traiter sa maîtresse ; elle lui dit aussi qu’elle était sensible, et qu’elle connaissait le bien et le mal qu’on lui faisait. Il lui répondit que la reine aurait de l’argent quand il lui plairait d’en demander, sans promettre de lui en donner. Il parut en colère contre la reine mère de ce qu’elle voulait qu’on donnât à la reine, sa fille, {e} les douze mille écus dont je viens de parler, et dit avec exagération : “ Hélas ! si elle savait d’où vient cet argent et que c’est le sang du peuple, elle n’en serait pas si libérale. ” Lui qui jouait tous les jours trois ou quatre mille pistoles, qui avait tout l’argent de France dans ses coffres, qui laissait jouer à sa nièce, la comtesse de Soissons, chaque jour des sommes immenses, qui pillait tout et qui laissait faire sur les peuples les plus énormes voleries qui se soient jamais faites ; lui, dis-je, que l’on trouva peu après sa mort avoir rempli de trésors innombrables toutes les places de sa domination et celles de ses amis, il eut la hardiesse de reprocher à sa bienfaitrice, à la mère de son roi, à la mère de la France et des pauvres, douze mille écus qu’elle souhaita qu’il fît donner à la reine selon que le feu roi, son mari, avait accoutumé de les lui donner à elle ; en quoi on peut voir quelle était sa tyrannie, sa dureté et son ingratitude dans les choses où il agissait naturellement. »


  1. Marie-Thérèse.

  2. Anne d’Autriche.

  3. Louis xiii.

  4. Sic pour belle-mère.

  5. Sic pour belle-fille.

17.

« Nous sommes vraiment dans l’âge d’or : c’est avec l’or qu’on obtient les plus grands honneurs ; c’est avec l’or qu’on se rend l’amour favorable » (Ovide, v. note [26], lettre 206).

V. note [8], lettre 637, pour le refus que les Anglais opposèrent au mariage d’Hortense Mancini avec leur roi, Charles ii.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 29 décembre 1660

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(Consulté le 26/04/2024)

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