L. 779.  >
À Hugues II de Salins,
le 13 mai 1664

De Paris, ce 13e de mai 1664.

Monsieur, [a][1]

J’ai reçu la vôtre des mains du petit-fils de M. Regnier, [2] savoir de M. Mallemans, [3] qui est un fort honnête homme, et fort civil. Je vous remercie de votre souvenir. Je serais ravi de pouvoir contribuer quelque chose à l’impression de la deuxième partie de l’ouvrage de M. Regnier, [1] mais nos libraires aujourd’hui sont si gueux et si morfondus qu’il n’y a point d’apparence d’en venir à bout ou d’en espérer quelque chose ; ceux de Lyon l’entreprendraient plus tôt en donnant quelque chose et en prenant quelque nombre d’exemplaires. Henr. Petræi Nosologia facile carebis[2][4] Fernel, [5] Duret, [6] Houllier, [7] Perdulcis, [8] Sennertus [9] vous exempteront de ce livre qui ne vous est nullement nécessaire. Si vous en voulez de plus forts, lisez Hippocrate [10] et Galien [11] qui vous suffiront. Si vous désirez quelque autre moderne, ne lisez que la Pratique de Houllier, de la nouvelle édition in‑fo à laquelle ont été ajoutées de nouveau les Observations et Commentaires de M. Jean Haultin[12] médecin de Paris, quibus nihil potest scribi melius[3] Il se vend chez M. Dallin, [13] rue Saint-Jacques [14] au coin de la rue de la Parcheminerie, [4][15] 10 livres, relié en veau. C’est le meilleur livre de pratique qui soit en nature ; après celui-là, tous les autres livres de pratique sont superflus. Jean de Sponde [16] n’a rien fait imprimer davantage sur Homère. [17] Il mourut jeune, sa femme l’empoisonna ; [18] elle était huguenote, [19] mais tous deux ne valaient rien. Il se fit catholique en espérance de devenir secrétaire d’État [20] et elle l’empoisonna de peur que lui, ne l’empoisonnât, ayant été avertie qu’il se voulait défaire d’elle pour s’en venir à la cour où il espérait de faire fortune, etc. Il était frère de ce M. Henri de Sponde, [21] évêque de Pamiers, qui a fait l’Épitomé et la Continuation du Baronius, que j’ai ici connu et entretenu l’an 1634 et qui mourut l’an 1643, paucis diebus post regem Ludov. xiii[5] Je vous baise les mains, à mademoiselle votre femme, à votre petite fille [22] et à monsieur votre frère. Le roi [23] s’en va à Fontainebleau [24] où arrivera le légat cardinal [25] qui est en chemin. [6][26] On dit que la Chambre de justice [27] ira aussi, et même M. Fouquet [28] avec les autres prisonniers ; mais on tient ici ce Fouquet en grand danger de sa vie si les jésuites, à qui il a tant fait de bien, ne le sauvent, ce qu’ils ne pourront peut-être pas faire. Et même, M. Colbert [29] est leur bon ami et ces bons pères ressemblent fort à ceux qui malunt spectare solem orientem quam occidentem[7][30] Horatius Chabotii est in‑fo en trois parties, tout en un tome, de Bâle. [8][31][32] Tout ce qu’a fait Horace [33] est fort bon et tous ceux qui l’ont commenté ont fort bien fait. Ce Chabotius se trouvera à Lyon chez les libraires qui ont bonne boutique. Je vous chercherai quelques thèses [34] des nôtres et les délivrerai à M. Mallemans pour vous les faire tenir. Vale, et me ama.

Tuus ex animo, Guido Patin[9]

Je suis d’avis que M. Mallemans vous achète ici le Recueil des thèses qu’a fait M. Boisset ; [35] il est fort bon et bien curieux, et ad mentem tuam, nec emisse pænitebit[10]


a.

Ms BnF no 9357, fo 358, « À Monsieur/ Monsieur de Salins, le puîné,/ Docteur en médecine,/ À Beaune ».

1.

Jacques Regnier (Beaune 1589-ibid. 16 juin 1653), médecin et poète latin moderne, fils d’un avocat peu fortuné, avait d’abord été précepteur, tout en étudiant la médecine à Paris et à Cahors. Pendant une dizaine d’années, il exerça à Bordeaux, à Saintes puis à Beaune, où ses confrères lui reprochèrent de n’être pas docteur, ce qui l’obligea à aller recevoir le bonnet à Cahors (1624).

Son principal ouvrage est un recueil de cent fables :

Apologi Phædrii, ex ludicris I. Regnerii Belnensis Doct. Medici.

[Fables inspirées de Phèdre {a} tirées des amusements de Jacques Regnier, docteur en médecine natif de Beaune]. {b}


  1. V. note [19], lettre 280.

  2. Dijon, Petrus Palliot, 1643, in‑12 de 125 pages, dont il n’y eut pas de seconde partie. Trente d’entre elles furent traduites en français par un certain Daubaine et parurent sous le titre de Fables nouvelles en vers (Paris, C. Blageart, 1685, in‑12 illustré de 148 pages).

Du mariage de Regnier avec Anne Perrot en 1609 étaient nés deux fils et trois filles. L’aînée des filles, Antoinette, épousa « Étienne Mallemans, grenetier, seigneur de Collonge, père d’Étienne et Claude Mallemans qui ont publié plusieurs ouvrages » (A.L. Millin, v. note [23], lettre 407).

2.

« Vous vous passerez aisément de la Nosologie de Henricus Petræus » :

Nosologia Harmonica, Dogmatica et Hermetica : Dissertationibus quinquaginta in Celeberrima Academia Mauritania, quæ est Marpugi, publice et privatim disceptata. In qua ex Priscis et Recentioribus Artis Medicæ Scriptoribus præcipui partium humani corporis affectus a capite ad calcem breviter ac perspicue cum succinctis curis et remediis specificis explicantur. Authore ac Præside Henrico Petræo, Med. et Phil. D. Anatomiæ et Chirurgiæ Professore P. Ordinario.
Tomus primus. Continens morbos cerebri, oculorum, aurium, narium, thoracis, pleuræ, pulmonum, cordis, et ventriculi.
Tomus secundus. Continens morbos intestinorum, hepatis, lienis, vesiculæ fellis, venum, vesicæ urinariæ, membrorum genitalium virilium et muliebrium, articulorum, et totius corporis habitus. Præmissa est dissertatio inauguralis de Medicina universali, et pharmaceutica de venini et Alexipharmaci in una re conjunctione
.

[Nosologie harmonique, dogmatique et hermétique, {a} discutée en cinquante dissertations publiques et privées, en l’Academia Mauritania, qui est à Marbourg. {b} Tirées des anciens et des modernes qui ont écrit sur l’Art médical, elles expliquent brièvement et clairement les principales affections des parties du corps humain, depuis la tête jusqu’aux pieds, avec leurs cures sommaires et remèdes spécifiques. Par et sous la présidence de Henricus Petræus, {c} docteur en médecine et philosophie, et professeur public d’anatomie et de chirurgie.
Tome premier, contenant les maladies du cerveau, des yeux, des oreilles, du nez, du thorax, de la plèvre, des poumons, du cœur et de l’estomac. {d}
Tome second, contenant les maladies des intestins, du foie, de la rate, de la vésicule biliaire, des veines, de la vessie, des organes génitaux mâles et femelles, des articulations, et de toute l’habitude corporelle ; {e} précédé par deux leçons inaugurales, sur la Médecine universelle, et sur la conjonction en un seul médicament d’un poison et d’un antipoison]. {f}


  1. La nosologie est l’étude des maladies ; « harmonique » me semble à prendre dans son sens étymologique grec de « mélodieuse », c’est-à-dire conciliant les médecines dogmatique et hermétique.

  2. Fondée en 1527 par Philippe ier de Hesse, l’Université de Marbourg porte le nom allemand de Philipps-Universität Marburg. Je n’ai pas vu attesté ailleurs son nom latin d’Academia Mauritania, qui fait référence au landgrave Maurice de Hesse-Cassel (1572-1632), auquel cet ouvrage est dédié.

  3. Henricus Petræus (Schmalcalden, Franconie 1589-1620) avait été nommé professeur de botanique, d’anatomie et de chirurgie à l’Université de Marbourg, en 1610, un an avant même d’être reçu docteur. Il mourut en se jetant par la fenêtre, au cours d’un accès de folie. Sa Nosologia est un « curieux mélange des dogmes du galénisme et de la chimiatrie [médecine chimique] » (O. in Panckoucke).

  4. Marbourg, Paulus Egenolphus, 1615, in‑4o de 432 pages.

  5. Les fièvres.

  6. Ibid. et id. 1616, in‑4o de 501 pages.

3.

« qu’on ne peut surpasser » : v. note [14], lettre 738, pour les commentaires de Jean Haultin sur la Pratique de Jacques Houllier (Paris, 1664).

4.

Dans le ve arrondissement de Paris, la rue de la Parcheminerie réunit toujours la rue Saint-Jacques à la rue de la Harpe, au niveau de l’église Saint-Séverin et de son cloître.

Jacque Dallin, libraire reçu en 1626, était établi « rue Saint-Jacques, au coin de la rue de la Parcheminerie, À l’Image Saint-Étienne », depuis 1659 (Renouard).

5.

« quelques jours après le roi Louis xiii. »

Jean de Sponde {a} était frère de Henri, évêque de Pamiers. {b} Ce que Guy Patin disait ici de la mort scélérate de Sponde (survenue à Bordeaux le 18 mars 1595) semble pure médisance, dans le ton de celles que sa conversion au catholicisme fit naître en 1593. Florimond de Raemond {c} a réfuté ces calomnies dans sa préface Au lecteur à la Réponse du feu sieur de Sponde, Conseiller et Maître des requêtes du roi, au Traité des marques de l’Église, fait par Th. de Bèze (Bordeaux, S. Millanges, 1595, in‑8o de 819 pages) :

« Comme jour et nuit, il travaille avec une ardeur merveilleuse, et plus que sa santé ne lui pouvait permettre (car il avait un corps faible et débile, mais un esprit fort et robuste), la longueur de ses veilles, l’assiduité sur les livres parmi les rigueurs et âpretés inaccoutumées de l’hiver passé, lui altérèrent sa santé, sans que pour cela pourtant il quittât son entreprise. Et comme ses amis lui remontraient le préjudice qu’il se faisait d’être ainsi cloué incessamment sur ses livres, et dans un étude froid et catarrheux, {d} ne donnant aucune relâche au corps non plus qu’à l’esprit, “ Il faut que je me hâte (disait-il) car je prévois que le soir s’approche, qu’il faut meshui {e} que je quitte ma garnison. Si je meurs, ce sera honorablement les armes à la main, comme un brave champion chrétien doit faire. ” Enfin, son mal et son indisposition redoublant avec son travail, il fut saisi d’une pleurésie, laquelle eut bientôt atterré ce corps maigre et exténué. Durant sa maladie, qui ne fut que de neuf jours, ceux qui l’ont assisté peuvent porter témoignage de sa constance admirable en la foi, de son zèle ardent envers l’Église catholique, de laquelle il embrassa religieusement toutes les constitutions et saintes cérémonies. Rien en sa bouche que les louanges de Dieu et les actions de grâces, de la grande grâce que sa divine bonté lui faisait de le tirer de ce monde, après l’avoir retiré de son erreur. En sa maladie, il reçut son Sauveur avec toute la dévotion dont une âme chrétienne peut être éprise. Comme il se sentit près de sa fin, il demanda l’extrême-onction : et ne pouvant entendre les sacrés mots de celui qui la lui administrait, ayant perdu la parole et presque l’ouïe, il fit signe qu’il haussât la voix ; alors, montrant par signes l’aise qu’il avait, les mains jointes, les yeux levés en haut et l’âme ravie au ciel, il soupira doucement sa vie, sans effort ni peine quelconque, maintenant toujours un visage équable {f} et uniforme aux aigreurs mêmes de la mort, qui est signe d’une âme consolée de l’assistance de Dieu. Sa fin tant heureuse et paisible n’a pu éviter la dent de ceux qui, portant impatiemment {g} sa conversion, ont osé publier qu’il était décédé misérable et désespéré, et que la mort qui a suivi sa conversion est l’arrêt de sa condamnation et un jugement de Dieu sur lui. C’est entrer bien avant dans les secrets du cabinet de Dieu. Ainsi Calvin publia un livret pour montrer que c’était un grand miracle pour la confirmation de sa doctrine de ce qu’un Italien de la ville de Padoue, nommé Spera, tomba en griève {h} maladie après avoir abjuré la confession de Genève. C’est à la vérité un jugement de Dieu, non sur de Sponde, mais sur nous. Car c’est un grand signe du courroux du Ciel lorsqu’il retire de cette lumière ceux qui nous sont utiles et nécessaires, et qui peuvent servir au bien et profit du public. Et peut-être a-ce été un trait de la Providence céleste de le rappeler d’ici-bas avant qu’il se vît enveloppé dans ces torrents d’injures qu’on amoncelait de toutes parts pour verser sur lui. Car pour bien qu’on se trempe d’assurance, la calomnie bien souvent fait sa faussée ; {i} et l’innocence même trémousse aux approches de ce monstre qu’Apelle représenta si naïvement à la honte du calomniateur Antiphile. {j} Pendant qu’il a vécu catholique, il a tenu à mépris toutes ces médisances ; à présent qu’il est hôte des cieux, il a pitié et compassion de ceux qui en sont les auteurs. Il me souvient que, comme un jour quelqu’un lui fit voir à dessein des lettres diffamatoires qu’on écrivait contre lui, “ Vraiment, dit-il en souriant, son auteur n’en dit pas assez selon sa coutume, mais bien trop selon ma sincérité. Son naturel est de médire avec animosité, et le mien de le porter {k} avec patience. Il m’attaquera en huguenot avec injures, et je me défendrai en catholique avec modestie. ” »


  1. V. note [4], lettre 677, pour Jean de Sponde, calviniste converti au catholicisme en 1593, mort en 1595, et ses œuvres sur Horace.

  2. V. note [21], lettre 408, pour Henri de Sponde, mort le 18 mai 1643, et sa continuation des Annales de Baronius.

  3. Magistrat catholique bordelais et anticalviniste acharné, v. note [46] du Naudæana 4.

  4. Un cabinet froid et humide.

  5. Désormais.

  6. Égal.

  7. Supportant mal.

  8. Grave.

  9. Trouve le défaut de la cuirasse.

  10. V. note [14], lettre 140, pour le peintre antique Apelle de Cos, dont Lucien de Samosate dit qui intitula La Calomnie un tableau qu’il fit contre Antiphile, son rival acharné.

  11. Supporter.

6.

Le roi et la cour avaient quitté Paris le 1er mai pour se rendre à Saint-Cloud, puis à Versailles le 14 mai, et arriver à Fontainebleau le 16. Le cardinal-légat, Flavio Chigi, y fut reçu pour sa première audience officielle le 29 juillet (Levantal).

7.

« qui aiment mieux regarder le Soleil quand il se lève que quand il se couche. »

Plures adorant solem orientem, quam occidentem est un adage latin, emprunté au grec, qu’Érasme a commenté (no 2215) :

Plures adorant solem orientem quam occidentem. Juveni magis adhæretur quam seni. Plutarchus scribit Pompeium hoc adagio minatum Cinnæ. Sensit autem Pompeius se solem esse orientem, nimirum juvenem in dies magis fama crescentem, illum occidentem, utpote adfecta jam ætate et cujus dignitas gloriaque jam consenesceret. Ceterum quod Pompeius erat Cinnæ, hoc Caius Cæsar post fuit Pompeio.

[Bien des gens adorent plus volontiers le Soleil quand il se lève que quand il se couche. On est plus attiré par la jeunesse que par la vieillesse. {a} Plutarque écrit que Pompée {b} a menacé Cinna {c} de cet adage. Pompée sentit qu’il était un Soleil levant, assurément un jeune homme dont la célébrité augmentait de jour en jour, tandis que l’autre était au couchant, et que la sienne déclinait déjà. Du reste, ce que Pompée était alors pour Cinna, fut plus tard ce que Caius Cæsar {d} devint pour Pompée].


  1. En l’appliquant aux jésuites, Guy Patin étendait l’adage à leur préférence pour ceux dont la faveur monte que pour ceux dont elle décline.

  2. V. note [1], lettre 101.

  3. Lucius Cornelius Cinna est un consul tyrannique du iei s. av. J.‑C.qui faisait régner la terreur sur le Sénat et sur Rome.

  4. Jules César.

8.

V. note [14], lettre 407, pour « l’Horace de [Pierre-Gautier] Chabot » (Bâle, 1615).

9.

« Vale et aimez-moi. Vôtre de tout cœur, Guy Patin. »

10.

« et bien dans votre goût, et il ne regrettera pas de l’avoir publié. » Nicolas Boisset, libraire parisien, a édité de nombreuses thèses de la Faculté de médecine ainsi que, en 1663, le Paranymphus medicus… de Robert Patin (v. note [2], lettre 157) ; mais je n’ai pas trouvé de recueil (catalogue) de thèses qu’il eût imprimé.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 13 mai 1664

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(Consulté le 02/05/2024)

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