L. latine 461.  >
À Sebastian Scheffer,
le 29 octobre 1668

[Ms BIU Santé no 2007, fo 226 ro | LAT | IMG]

Au très distingué M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine, à Francfort.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je vous écris pour vous saluer et remercier d’avoir si magnifiquement reçu mon fils Charles. [2] Je vous devais déjà énormément, mais me voici difficilement capable de vous en rembourser, tant est haut et immense l’amas des bienfaits que j’ai reçus de vous. Je vivrai sans en perdre le souvenir et ne mourrai pas ingrat, si Dieu m’accorde de vivre encore. Je vous prie de faire mes salutations à M. Lotich [3] et aux deux Horst. [4][5] Le livre d’Hofmann [6] est excellent, surtout pour sa pathologie, où l’auteur dépasse en sagesse tout le commun des écrivains : ceux-là recopient bien trop de faits qu’ils ont empruntés à d’autres, qui ne sont guère estimés et qui ont négligé nos principaux chefs, Hippocrate et Galien, [7][8] car eux emportent tous les suffrages dans la science des maladies. Du même auteur me restent deux manuscrits que je vous enverrai volontiers par l’intermédiaire de Sebastian Switzer, [9] si vos imprimeurs les veulent mettre sous la presse. [1] M. Mocquillon [10] vous salue et songe à acheter des choses qu’il vous enverra ensuite, en remboursement de ce qu’il vous doit. Dans votre dernière, vous omettez néanmoins de m’indiquer où sont tapis les deux paquets qui me sont destinés, où il y a quelques exemplaires des Quæstiones medico-legales de Paolo Zacchias, [11] et les ouvrages que M. Schenck, professeur d’Iéna, [12] vous avait envoyés à mon intention. Où pensez-vous que ces livres se cachent ? Les avez-vous envoyés à quelque marchand de Bâle ou de Strasbourg pour qu’ils soient transportés à Paris et me soient remis ? Sont-ils encore dans votre ville, attendant que se présente quelque facilité et commodité de voiture ? Est-ce parce que je vous avais écrit de ne rien me faire porter à cause du procès qui n’était pas encore terminé ? [13] Vous me renseignerez, je vous prie, sur tout cela. [2] Que puis-je espérer du livre manuscrit de Humoribus du très distingué Hofmann ? [3][14] Écrivez-m’en quand vous voudrez par l’intermédiaire de votre M. Öchs. [15] Vale, très distingué Monsieur, et continuez de m’aimer comme vous faites.

De Paris, le 29e d’octobre 1668.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.

J’ignore qui peut bien être ce Parisien nommé Lud. Ferandus : je ne l’ai pas vu et n’en ai pas entendu parler, et n’ai rien reçu de lui. [16] Je suis profondément peiné par la mort de votre petit garçon. Quelques enfants meurent ici d’un tel mal, après une chute dans un escalier, et ce jamais sans convulsion : [17] pour les Grecs, c’est la secousse ou commotion du cerveau, en bonne et due forme ; [4] par élégante métaphore, nos anciens ont appelé cette affection calamitas car de même qu’on ne tire aucune moisson des blés couchés, de même on ne peut guérir une fracture du crâne quand du sang s’est répandu dans le cerveau. [5][18] Dieu conserve toute votre famille. [19] Je vous remercie encore pour mon fils Charles. Beatus qui intelligit super exulem, etc[6][20] Son absence me torture, mais Dieu nous viendra en aide et je le reverrai. [7] En attendant, pourtant, s’il revient vers vous, je vous le recommande avec ardeur et confiance : tout ce que vous ferez pour lui, je considérerai que c’est à moi que vous l’aurez fait. Vale.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Sebastian Scheffer, ms BIU Santé no 2007, fo 226 ro.

1.

V. notes :

2.

Guy Patin s’impatientait depuis plus d’un an de n’avoir toujours pas reçu le second tonnelet décrit dans la note [1] de la lettre à Sebastian Scheffer, datée du 3 novembre 1667. Retenu on ne sait où, il contenait deux paquets :

  1. sept exemplaires de la dernière édition en date des « Questions médico-légales » de Paolo Zacchias (Francfort, 1666, v. note [3], lettre latine 380), envoyés par l’imprimeur Johann Baptist Schönwetter (qui les avait publiées grâce au privilège que Patin et son fils Robert avaient obtenu pour lui) ;

  2. des livres et un lot de thèses médicales d’Iéna envoyés par Johann Theodor Schenck.

Le syndicat des imprimeurs parisiens avait retenu l’autre tonnelet cité dans la note [1] susdite en attendant la justification de son contenu (lettre dite de voiture) ou l’issue du procès (v. note [6], lettre latine 466) engagé contre Patin pour exercice illégal de la profession de libraire et contrebande de livres.

3.

En dépit des efforts et des espérances de Guy Patin, ce traité de Caspar Hofmann « sur les Humeurs », mentionné pour la première fois dans la lettre du 7 février 1648 (v. sa note [14]), n’a jamais été imprimé. Hofmann l’avait dédié à Robert Patin (v. note [2], lettre latine 434).

4.

Le mot grec écrit par Guy Patin est difficile à déchiffrer car il en a ligaturé les deux premières lettres de manière non conventionnelle. J’ai opté pour ευνομος, conforme (eu) à la règle (nomos), en bonne et due forme.

Je n’ai pas identifié Lud. Ferandus (Louis Ferrand ?), relation parisienne de Sebastian Scheffer que Guy Patin ne connaissait pas.

5.

V. note [6], lettre 799, pour le mot calamité (calamitas en latin) appliqué à l’hématome sous-dural traumatique qui avait tué le malheureux petit garçon de Sebastian Scheffer. On employait, me semble-t-il, ce nom par émouvante allusion au blé en herbe que la violence du vent et de la grêle a couché et haché, ruinant tout espoir de moisson, à l’instar de l’enfant brutalement emporté par un coup sur la tête qui ne deviendrait jamais grand pour combler les rêves de ses parents, plutôt qu’au caractère irrémédiable des fractures du crâne compliquées d’hématome intracrânien, comme disait ici Guy Patin.

Il avait félicité Sebastian Scheffer pour la naissance du garçonnet dans sa lettre du 24 mai 1665.

6.

« Heureux qui pense à l’exilé volontaire, etc. » (adaptation des Psaumes, v. note [1], lettre latine 448).

7.

Ejus absentia me torquet, sed Deus nobis aderit, eumque iterum videbo : c’est la plus poignante confidence de Guy Patin sur les déboires de Carolus ; il n’eut jamais la joie d’embrasser à nouveau son plus cher fils.

Ici comme ailleurs dans les lettres latines écrites après 1667, il est frappant de voir comme Patin a souvent évoqué l’exil de Charles, dont il a très peu écrit dans ses lettres françaises qui ont survécu au temps. Deux raison me semblent à invoquer :

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 226 ro.

Clar. viro D. Seb. Scheffero, Med. Doctori, Francofurtum.

Ideo ad Te scribo Vir Cl. ut Te salutem, et pro filio meo C. quem tam
blandè magnificè excepisti, gratias agam : jam antehac multa Tibi debebam, nunc
v.vix sum solvendo, adeo magnus est ac ingens cumulus beneficiorum à Te
acceptorum : quorum immemor non vivam, nec ingratus moriar, si Deus
vitam indulserit. Salutem quæso nuntiabis D. Lotichio, et utriq. Horstio :
Hofmanni liber est optimus, præsertim in Pathologia, in qua sapit Author
ipse supra vulgares scriptores, qui nimis multa ex alijs transcribunt parum
probatis, et neglectis præcipuis nostris ducibus, Hipp. et Gal. qui omne ferunt
punctum in tali doctrina. Ejusdem Authoris mihi supersunt duo MS. quæ si
velint Typographi vestri prælo subijcere, facilè mittam, per D. Sebast.
Switzer. D. Moquillon Te salutat, et cogitat de Tibi emendis quæ posthac
mittet, pro ijs quæ Tibi debet. Sed postrema tua non indicasti ubinam lateant
duo fasciculi mihi destinati : in quib. sunt aliquot exemplaria Quæstionum
MedicoLegalum Pauli Zacchiæ
, et quæ accepisti à D. Schenkio, Prof.
Ienensi, ut ad me transirent : ubinam putas ista delitescere ? an ea misisti
Basileam aut Argentinam, ad aliquos mercatores, ut inde nobis Parisios devehantur,
mihiq. reddantur ? an sunt adhuc in Urbe vestra, præstolando facilitatem et
commoditatem vecturæ ? an quia scripseram ut nihil ad me transmitteretur,
propter litem nondum terminatum ? de quib. singulis quæso me docebis. De rebus. De C. Hofm.
nostris politicis nihil habeo quod scribam. libro MS. de Humoribus quid vis ut sperem ? Quum volueris, scribe per vestrum Ochsium. Vale, Vir Cl. et me quod facis amare
perge. Parisijs, 29. Oct. 1668. Tuus ex animo, Guido Patin.

☩ ☩
Lud. ille Ferandus Parisinus qui sit nescio, de quo nec vidi nec audivi quidquam, nec accepi. De obitu filioli tui serio doleo : ex tali morbo pereunt hîc aliquot infantuli, à scalarum lapsu,
et numquam sine convulsione : est concussio vel commotio cerebri, ευνομος Græcis : à Seniorib. nostris affectus iste eleganti comparatione Calamitas vocatur : ut enim à calamis attritis nulla messis,
sic fracturæ Cranij, et effuso per Cerebrum sanguini, nulla superest curatio : servet Deus totam familiam. Gratias iterum ago pro filio meo C. Beatus qui intelligit super exulem : etc.
ejus absentia me torquet, sed Deus nobis aderit, eúmq. iterum videbo : interea v. si Te adeat, eum seriò et bona fide Tibi commendo : quidquid ei feceris mihi factum putabo. Vale.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Sebastian Scheffer, le 29 octobre 1668

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(Consulté le 05/05/2024)

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