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Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre VII  >

De l’évacuation des excréments [a][1]

C’est un des premiers préceptes de la conservation de la santé qu’il faut que le corps chargé d’excréments se vide et se décharge, de peur qu’étant retenus ils ne nous fassent malades. Des excréments, les uns sont bénins, qui ne sont excréments qu’à raison de la quantité, comme la semence [2] et le sang menstruel des femmes. [3] Les autres ne sont pas tels, mais tout à fait inutiles, c’est-à-dire et en quantité, et en qualité ; lesquels se divisent encore en deux autres sortes, savoir en généraux et en particuliers. Les excréments généraux sont ceux qui ne viennent pas d’une seule partie particulière, mais de la généralité du corps, tels que sont les excréments des trois coctions, savoir ceux du bas ventre, l’urine et la sueur. [1][4][5] Les particuliers sont, comme la pituite muqueuse [6] du cerveau, les humeurs visqueuses du poumon, l’excrément mélancolique [7] de la rate, [8] le bilieux [9] de la vésicule du fiel, [10] lesquels deux derniers se vident par le ventre avec les déjections ordinaires, en un corps bien sain, les purgations menstruelles aux femmes et les hémorroïdes. [2][11] Nous dirons ici par ordre un petit mot de chacun de ces excréments, afin que chacun en soit averti et s’y gouverne sagement.

> Chapitre viii, De l’action vénérienne, ou évacuation de la semence

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a.

Traité de la Conservation de santé… (Paris, 1632) : pages 108‑109.

1.

Dans les conceptions physiologiques du temps, la digestion (coction) complète des aliments donnait naissance à trois sortes de résidus (dits excréments généraux), solides (matières fécales) et liquides (urine et sueur), dont le corps devait se débarrasser ; ce qui, bien que simpliste, n’était pas faux.

Jean Fernel a fort bien expliqué les trois coctions, qui étaient censées se faire dans le corps humain, au chapitre vi, Combien il y a de sortes de coctions, et quelle est l’humeur propre de chacune, quel est l’excrément (pages 563‑569), livre vi, de sa Physiologie (Paris, 1655, v. note [1], lettre 36) :

« Or nous voyons que cette faculté et fonction a été seulement donnée à trois parties, dont aussi il y a trois sortes de coctions : la première dedans le ventricule, {a} la seconde dedans le foie et la troisième en chacune des parties. Il y a en chacune une préparation qui précède, un achèvement qui suit, et à chacune son aliment, qui est comme sa matière sujette, son humeur naturelle et son excrément.

C’est pourquoi la première de toutes est la chylification, {b} qui est faite et accomplie dedans le ventricule par la grande force et vertu de la chaleur, et l’aliment différent est changé {c} en plusieurs sortes de façons en une certaine même substance, {d} qui est certainement blanche et semblable à la crème de tisane. {e} Il se fait premièrement une certaine préparation d’icelle dedans la bouche, dedans laquelle les viandes sont non seulement brisées et ramollies, mais aussi elles reçoivent une légère mutation et changement, tel que nous voyons manifestement dedans le vin rougeâtre qui, ayant été un petit moment dedans la bouche, quitte et laisse son ardeur et sa rougeur ; {f} et la fin et perfection est faite dedans les intestins qui ont une médiocre faculté concoctrice, ainsi que le ventricule, car, encore bien que du ventricule, qui est bon, fort et en bonne santé, il n’en sorte aucune chose qui n’ait reçu sa pleine et entière coction, d’autant qu’elle était en effet propre et disposée à cela, toutefois, parce que la chaleur naturelle des parties n’est jamais oisive ni en repos, il faut nécessairement que toutes choses qui tombent de dans les intestins soient en quelque façon parfaitement ramollies et cuites. {g}

La seconde coction est faite dans le foie, elle est appelée par les Grecs aïmatosis, c’est-à-dire sanguification {h} car par icelle le chyle, qui est tiré du ventre par la propre et particulière vertu et faculté du foie, qui réside principalement dedans sa substance, est changé et converti en une véritable forme et espèce de sang, étant constant qu’elle est entièrement diverse et différente du chyle, non seulement en chaleur, mais aussi en toute sa substance. Il {i} en a certainement pris et reçu premièrement quelque certain premier trait et commencement dans les veines du mésentère, dedans lesquelles on le voit déjà rouge ; mais il est perfectionné dedans la veine cave et dedans les autres plus grandes veines, dedans lesquelles il coule, sortant et tombant du foie, {j} car les veines ont des vertus et des facultés non seulement de contenir et de distribuer le sang, mais aussi de le cuire : et elles prennent et tirent ces vertus et ces facultés du foie, qui est le principe de leur origine et fontaine, tout ainsi que les intestins du ventricule. {k}

La troisième coction se fait dedans chacune des parties, par le moyen de laquelle le sang étant apposé et adhérent, et s’éloignant déjà de sa première nature, est changé et converti en une substance propre et convenable pour nourrir la partie ; il prend quelque rude et imparfait commencement dedans les petites veines, dedans lesquelles nous avons ci-devant dit que le sang était déjà changé par la nature et la chaleur de la partie ; et son accomplissement et sa perfection est la parfaite assimilation et nutrition, et la fin de toutes les coctions. […]

L’humeur de cette première générale coction, propre et convenable pour la nutrition, qui est engendrée dans le ventricule, est appelée du nom propre de chyle, et c’est le premier aliment qui paraît dedans le corps et dont l’excrément est la fiente ou la merde, appelée par les Grecs upochorema et scaton. […] L’humeur utile de l’autre coction, c’est le sang ou, si nous voulons les comprendre toutes, toute humeur, quelle que ce soit, qui est appelée par les Grecs chymos, c’est-à-dire humeur, est nommée par nous suc, par lequel nom nous entendons et comprenons non seulement le sang pur et sincère, mais aussi les humeurs naturelles qui sont engendrées avec le sang et qui sont certainement destinées pour la nutrition. Ses excréments ou superfluités sont l’urine, qui est attirée du foie et des veines dedans les reins, et qui est jetée et répandue dedans la vessie. Pareillement, l’humeur mélancolique, {l} que la rate attire à soi, est faite de la portion crasse et terrestre du chyle qui n’a pas pu être cuite par la nature, ni être changée par la vertu et la faculté du foie. Son troisième excrément, c’est la bile flave ou jaune qui est contenue et réservée dans la vessie du fiel. {m} […]

Ses superfluités {n} sont toutes les vapeurs qui s’exhalent par les pores de la peau ; et celles qui sont plus crasses et plus épaisses sont les ordures et saletés qui s’attachent au-dessus de la peau et les sueurs qui, comme les restes de l’humeur séreuse, sont là élevées et portées, et mêlées d’une bile subtile. »


  1. L’estomac.

  2. Sic pour chymification, v. note [1], chapitre x de la Conservation de santé.

  3. Les divers aliments sont changés.

  4. Aujourd’hui appelée chyme (v. la note citée dans la notule {b} supra).

  5. Décoction épaisse (gruau) d’orge mondé.

  6. La salive contient bien une amylase (enzyme qui digère les sucres complexes), mais sa capacité à décolorer le vin rouge est illusoire.

  7. Passage compliqué, où se devine pourtant un timide pressentiment du fait que l’intestin grêle, en aval de l’estomac, doit jouer un rôle dans la digestion complète des aliments (comme la physiologie moderne l’a solidement établi) : à quoi donc, sinon, pourraient bien servir ces quelque six mètres de boyau ?

  8. V. note [1], lettre 404.

  9. Le chyle.

  10. Quittant le foie et y entrant

  11. Tout cela est aujourd’hui complètement faux : l’aliment digéré ne passe pas de l’intestin grêle au foie par la veine cave, mais par les collecteurs puis par le tronc de la veine porte ou, pour sa partie graisseuse (lipidique ou chyle proprement dit), par les troncs lymphatiques centraux (v. note [26], lettre 152) ; les veines ne contribuent pas à la digestion du suc intestinal.

  12. Bile noire ou atrabile (v. note [5], lettre 53).

  13. Vésicule biliaire. On ignorait alors que la bile (ou fiel), tenue pour un produit de rebut, est un liquide indispensable à l’émulsion et à l’absorption digestive des graisses.

  14. Celles de la troisième coction.

2.

La longueur de l’incise sur les humeurs peut faire oublier que les règles et les hémorroïdes étaient les « excréments particuliers » dont Guy Patin parlait au début de sa phrase.

Sans résoudre toutes les subtilités, la définition du mot excrément par Furetière (qui complète l’explication de Jean Fernel, v. supra note [1]) aide à comprendre le propos de Patin :

« Ce qui sort des corps des animaux, lorsqu’ils ont fait leur digestion, ou ce qui leur est d’ailleurs superflu et nuisible. L’urine et les matières fécales sont les gros excréments qui sortent de la vessie ou du ventre.

Les médecins appellent aussi excrément ce que la nature sépare d’impur d’avec ce qui est pur et net par la seconde coction qui se fait dans le foie, tels que sont la bile qu’elle pousse dans la vessie du fiel, la sérosité qu’elle pousse dans les veines avec le sang pour lui servir de véhicule, et l’humeur mélancolique qui est attirée par la rate. Quelques-uns y ajoutent un troisième excrément qui est propre à chaque partie, qui est poussé dehors par transpiration insensible, ou par des conduits qui y sont particulièrement destinés, comme celui du cerveau qui se décharge par le nez, par la bouche, {a} etc. Quelques médecins mettent encore la semence au rang des excréments bénins, quand elle est abondante et superflue. »


  1. Cet excrément correspond à la pituite muqueuse dont la Physiologie de Jean Fernel (page 595) dit (sans rien simplifier) :

    « La pituite qui doit être vraiment et proprement dite telle, est un suc alimentaire, et la portion la plus crue de tout le sang, qui a accoutumé d’être appelée un sang demi-cuit ; elle coule dans les veines, tant afin de nourrir les parties froides et humides, comme le cerveau, qu’afin que s’il se rencontre quelquefois défaut ou disette de sang, étant changée et convertie en icelui, elle nourrisse les autres parties ; et pour acquérir pleinement la forme de sang, il n’est point nécessaire qu’elle retourne dedans le foie car les veines ont assez de force, de vertu et de chaleur pour faire cet ouvrage. »


On croyait alors, semble-t-il, qu’une fois leur ouvrage accompli dans le corps, les quatre humeurs (v. note [4], lettre de Jean de Nully, datée du 21 janvier 1656) se transformaient en excréments :

Tous ces processus imaginés n’ont laissé que de très vagues traces dans la physiologie moderne.

V. note [8] de la consultation 17, pour les prétendus bienfaits du saignement hémorroïdaire, tenu pour un salutaire excrément naturel du corps humain, et le chapitre ix de la Conservation de santé pour les règles (menstruations).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Traité de la Conservation de santé (Guy Patin, 1632) : Chapitre VII

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(Consulté le 05/05/2024)

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