Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 6 manuscrit
Note [38]
« Voyez de Thou, à l’année 1600, {a} et P. Matthieu » {b} (note ajoutée dans la marge).
« Au lieu de suivre ce conseil, Brossier continua sa route vers Paris, {ii} où la division régnait encore. Il se flattait d’y trouver beaucoup de partisans, soit parmi le peuple, soit parmi les factieux, {iii} qui saisiraient ce prétexte pour exciter de nouveaux troubles. Il alla d’abord se loger près de l’abbaye de Sainte-Geneviève, où la dévotion à cette sainte attire en tout temps beaucoup de monde. Il n’y fut pas plus tôt qu’ayant eu recours aux remèdes spirituels pour la guérison de sa fille, les capucins, sans avoir auparavant pris aucune des précautions que l’Église exige en semblables rencontres, pour éviter la surprise, sans avoir fait informer de la vie, de l’état, des mœurs et de la maladie de la possédée, se saisirent de la personne de Marthe. Comme aux exorcismes qu’on fit sans différer, elle affectait de tressaillir de tous ses membres avec de grandes contorsions, ces religieux vinrent aisément à bout de persuader à une foule de petit peuple, qui assistait ordinairement à ces cérémonies, que cette fille était véritablement possédée. Tout Paris était déjà rempli de ce bruit, lorsque le cardinal de Gondi, {iv} évêque de cette ville, se crut obligé d’approfondir la vérité du fait.Pour procéder dans les règles, il fit venir cinq des plus célèbres médecins de l’Université de Paris, Michel Marescot, Nicolas Ellain, Jean Haultin, Jean Riolan {v} et Louis Duret. Ceux-ci, sans s’arrêter aux étranges mouvements de cette fille, commencèrent par lui faire plusieurs questions en grec et en latin ; et comme il leur parut qu’elle n’avait aucune teinture de ces deux langues, ils déclarèrent unanimement devant l’évêque que le démon n’avait aucune part aux mouvements de la prétendue possédée ; qu’il pouvait bien y avoir un peu de maladie dans son fait, mais que, sans contredit, il y avait beaucoup de friponnerie. Ils lui trouvèrent seulement la langue rouge et enflammée, et on entendit un bruit sourd qui paraissait sortir de l’hypocondre gauche.
Le lendemain, Ellain et Duret la vinrent voir, et ce dernier, voulant éprouver si, en lui enfonçant une aiguille entre le pouce et l’index, elle sentirait de la douleur, il ne s’aperçut d’aucun frémissement. Après l’exorcisme, l’évêque leur demanda ce qu’ils en pensaient, mais ils répondirent qu’il fallait appeler leurs collègues et remettre l’affaire au lendemain. »
Duret réapparaît après que les capucins, convaincus par la réalité de la possession, eurent procédé à de nouveaux exorcismes (pages 395‑396) :
« Tous ces discours s’étaient faits en grec et en latin, que Marthe avouait qu’elle n’entendait point. Ainsi, après que les médecins qui se trouvèrent présents à cet examen eurent conféré entre eux sur ce qu’ils avaient vu, six s’en tinrent à leur premier avis. {vi} Duret décida au contraire que la possession était réelle. Il se fondait sur ces deux circonstances : la première, que Marthe avait tiré la langue d’une manière qui n’était pas naturelle ; la seconde, qu’elle avait paru insensible à la piqûre de l’aiguille qu’on lui avait enfoncée dans la chair. Haultin avoua qu’il y avait plusieurs indices de fourberie ; cependant, il demanda encore trois mois pour la faire observer avec plus de soin : “ C’est, disait-il, le sentiment de Fernel qui, dans son livre des Causes secrètes, rapporte qu’il n’avait pu décider qu’au bout de trois mois de l’état d’un homme de qualité qui était tourmenté par l’esprit. ” {vii} On se sépara ainsi ce jour-là. »
Br. Quid est quæso cur tam accommodatis remediis id malum non cessit ?
Eu. Quoniam omnes longe aberamus a cognitione veri. Nam mense tertio primum deprehensus dæmon quidam totius mali author, voce insuetisque verbis ac sententiis tum Latinis, tum Græcis (quanquam ignarus linguæ Græcæ laborans esset) se prodens. Is multa assidentium maximeque medicorum secreta detegebat, ridens quod eos magno periculo circumvenisset, quodque irritis pharmacis corpus hoc pene iugulassent.[Br. Je me demande pourquoi des remèdes si convenables ne sont pas venus a bout du mal.
Eu. Parce que nous étions tous fort éloignés de connaître la vérité. Cela faisait trois mois que quelque démon était la cause de tout le mal, se manifestant par la bouche du patient, à l’aide de mots insolites, tant latins que grecs (bien qu’il ignorât la langue grecque). Ce diable avait déjoué les multiples secrets de ceux qui venaient au chevet de ce malheureux, et tout particulièrement des médecins. Il riait de les avoir soumis à rude épreuve, leurs remèdes inutiles étant presque venus à bout de ce misérable corps].
« La Cour de Parlement, voyant que tout le peuple courait après Marthe, et craignant que la superstition, qui va devant et commence toujours l’impiété, ne partît {ii} les opinions et les affections pour en faire quelque dangereuse sédition, commanda que Marthe fût mise entre les mains du lieutenant criminel. Les ecclésiastiques dirent que les démoniaques ne sont pas de la juridiction temporelle, que c’est l’Église qui a pouvoir d’en connaître, et qui tient, non de l’influence des astres, mais de l’inspiration du Verbe éternel, la vertu de les chasser quand elle les a connus. Les prêcheurs ne s’en peuvent taire, on en met aux prisons. Ils recourent au roi, lequel ordonne que le Parlement soit obéi. Delà sort un arrêt de la Grand’Chambre et Tournelle, {iii} par lequel il est enjoint au lieutenant de robe courte {iv} de mener et conduire Marthe et ses sœurs, avec Jacques Brossier, son père, en la ville de Romorantin, avec défenses de < di>vaguer ni sortir de la ville sans ordonnance du juge du lieu. Ainsi, le diable fut condamné par arrêt. » {v}
- Paris, 1605, v. note [10] du Patiniana I‑1.
- Ne divisât.
- Arrêt du 25 mai 1599.
- Adjoint du prévôt de Paris, chargé des fonctions de police.
- V. note [1], lettre 18, pour la plus célèbre diablerie de Loudun (1633-1634).