À André Falconet, le 22 juin 1649, note 4.
Note [4]

« sur le mouvement de la Terre. »

Jean-Baptiste Morin (Villefranche dans le Beaujolais 1583-Paris 6 novembre 1656) avait été reçu docteur de la Faculté de médecine d’Avignon ou Valence (selon Guy Patin) en 1613. L’année suivante, il était venu à Paris pour entrer au service de Claude Dormy, évêque de Boulogne (de 1600 à sa mort en 1626), qui l’envoya faire des recherches sur la nature des métaux dans les mines de Hongrie. Il descendit dans les plus profondes et ayant cru reconnaître que la Terre est divisée comme l’air en trois régions, il fit un livre là-dessus : Nova Mundi sublunaris anatomia… [Nouvelle Anatomie du monde sublunaire…] (Paris, Nicolaus Du Fossé, 1619, in‑8o de 144 pages). De retour chez son prélat, Morin avait été initié à l’astrologie judiciaire (prémonitoire) par un Écossais. Dès 1617, il avait prédit avec exactitude l’emprisonnement de Dormy, ce qui lui permit d’entrer dans l’entourage des grands du royaume et d’obtenir en 1630 la charge de professeur royal de mathématiques. Ses talents divinatoires lui valurent beaucoup d’admirateurs aussi crédules qu’influents, mais aussi bien des ennemis.

Dans les remous de la condamnation de Galilée par l’Église de Rome, {a} une âpre querelle astrophysique avait opposé Morin à Pierre Gassendi, {b} principalement inaugurée par trois ouvrages : {c}

  • Petri Gassendi de Motu impresso a Motore translato. Epistolæ duæ, in quibus aliquot præcipuæ tum de Motu universe, tum speciatim de Motu Terrae attributo difficultates explicantur,

    [Deux lettres {d} de Pierre Gassendi sur le Mouvement imprimé par la transmission de la Force motrice, où sont expliquées quelques difficultés essentielles tant sur le Mouvement en général que sur celui de la Terre en particulier] ; {e}

  • Alæ telluris fractæ, cum physica demonstratione, quod opinio copernicana de telluris motu sit falsa, et novo conceptu de Oceani fluxu atque refluxu, adversus clarissimi viri Petri Gassendi libellum de Motu impresso a Motore translato… Authore Joan. Bapt. Morino…

    [Les Ailes brisées de la Terre, avec la démonstration physique que l’opinion copernicienne {f} sur le mouvement de la Terre est fausse, et une nouvelle conception sur les marées de l’Océan, contre l’opuscule du très éminent Pierre Gassendi de Motu impresso a Motore translato… Par Jean-Baptiste Morin…] ; {g}

  • Petri Gassendi Apologia in Io. Bap. Morini librum, cui titulus, Alæ telluris fractæ : Epistola iv. de Motu impresso a Motore translato. Una cum tribus Galilæi Epistolis de conciliatione Scripturæ S. cum Systemate Telluris mobilis, quarum duæ posteriores nondum editæ, nunc primum M. Neuræi cura prodeunt.

    [Apologie contre le livre de Jean-Baptiste Morin, intitulé les Ailes brisées de la Terre : Quatrième lettre {h} de Motu impresso a Motore translato. Avec trois lettres de Galilée {i} sur la réconciliation de la Sainte Écriture avec le Système de la Terre mobile, dont les deux plus récentes, produites par les soins de M. Neuré {j} et publiées pour la première fois]. {k}


    1. En 1633, v. note [19], lettre 226.

    2. Première lettre (pages 2‑3) {i} du Recueil paru à Paris en 1650 (v. note [1], lettre 211) :

      « Monsieur le baron de Tourves, seigneur de Provence des plus vertueux, plus prudents, et plus affectionnés aux belles sciences et à ceux qui en font leur profession, m’ayant fait l’honneur de me venir voir, comme ayant ouï parler de moi, après quelques entretiens, il me dit qu’il avait appris qu’il y avait quelque différend entre Monsieur Gassendi et moi, et qu’il ne pouvait souffrir que fussions en mauvaise intelligence, ayant été amis dès l’école en Provence, et étant à présent collègues de même profession à Paris. » {ii}

      1. De Morin à « Monsieur M. Gaultier, conseiller au parlement d’Aix-en-Provence », datée de Paris, le 23 juin 1649.

      2. Morin et Gassendi étaient tous deux professeurs de mathématiques au Collège de France.
    3. V. note [53], lettre 216, pour deux autres publications sur cette dispute.

    4. Adressées à Pierre Dupuy (v. note [5], lettre 181) : la première, datée d’Aix-en-Provence le 20 novembre 1640 (pages 1‑78) ; la seconde, datée d’Aix le 11 décembre suivant (pages 79‑159, et dernière). Contre l’opinion de l’Église, fondée sur la Bible, Gassendi y défendait la rotation de la Terre sur elle-même et autour du Soleil. Il n’a nommément critiqué Morin qu’à la fin de la seconde lettre (point xiii, page 156) :

      Non exigis, ut repetam fecisse me id, non ut Telluri assererem motum, sed ut veritatis amore, innuerem quietem ipsius firmiore ratione esse stabiliendam : ne exige etiam, ut quasi me putes aliquam habere eiuscemodi : ipsam tecum communicem ; quippe si haberem, facetem iam sponte. Et non pauci quidem hactenus non paucas, nosterque imprimis Morinus, magna solertia excogitarunt : sed, me tamen quot attinet, hærere aquam semper video, ac in eo proinde sum, ut placitum illud reverear, quo Cardinales aliquot approbasse Terræ quietem dicuntur.

      [Vous n’exigez pas que je revendique ce que j’ai fait, ni que je défende le mouvement de la Terre, mais que, par amour de la vérité, j’approuve, après bien solide raisonnement, qu’il faille affirmer son immobilité. N’exigez pas non plus de vous laisser penser que je partage en quelque façon une telle opinion et que je vous en fasse un jour part, parce que, si tel était le cas, je le ferais maintenant de bon gré. Maints savants tels, en tout premier, notre ami Morin, ont jusqu’ici déployé une grande ingéniosité à élaborer maints arguments ; mais pour ma part, je pense toujours être dans l’embarras, et redoute donc la prescription des cardinaux qui, dit-on, ont en quelque sorte approuvé l’immobilité de la Terre].

      V. infra seconde notule {b} pour le livre de Morin qu’attaquait Gassendi.

    5. Paris, Ludovicus de Heuqueville, 1642, in‑4o.

    6. V. note [9], lettre 61.

    7. Paris, chez l’auteur, 1643, in‑4o.

    8. Datée de Paris, le 10 août 1643, adressée Ad venerandum Iosephum Galterium Doctorem Theologum, Priorem ac Dominum Valettæ, amicorum suorum antiquissimum [Au vénérable Joseph Gaultier, docteur en théologie, prieur et seigneur de la Valette] (Rians 1564-Aix 1647), vicaire général d’Aix et astronome, ami de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc et de Galilée.

    9. Lettres que je n’ai pas trouvées dans les éditions numérisées consultées.

    10. V. note [2], lettre 211.

    11. Lyon, Guillaume Barbier, 1649, in‑4o, en trois parties.

L’avis Au lecteur du Recueil sur la querelle entre Morin et Gassendi (Paris, 1650, v. supra notule {b}) en a résumé le motif :

« M. Gassendi ayant été toujours très curieux de chercher à justifier par les expériences la vérité des spéculations que la philosophie lui propose, et se trouvant à Marseille avec Monseigneur le comte d’Alais {a} en l’an 1641, fit voir, sur une galère qui sortit exprès en mer par l’ordre de ce prince […], qu’une pierre lâchée du plus haut du mât, tandis que la galère vogue avec toute la force et la vitesse possible, ne tombe point ailleurs qu’elle ne ferait si la même galère était arrêtée et immobile ; si bien que soit qu’elle aille ou qu’elle n’aille pas, la pierre tombe toujours le long du mât à son pied et de même côté. Cette expérience […] sembla tenir quelque chose du paradoxe à beaucoup qui ne l’avaient point vue ; ce qui fut cause que M. Gassendi composa un traité De Motu impresso a motore translato, que nous vîmes de lui la même année en forme de lettre écrite à M. Dupuy. M. Morin qui avait fait imprimer quelque temps auparavant son ouvrage intitulé Famosi problematis terræ motu hactenus optata, nunc tandem demonstrata solutio, {b} crut que M. Gassendi n’avait eu autre dessein que d’écrire contre son livre, pource que dans cette lettre à M. Dupuy, il détruisait une des plus fortes raisons que l’on a toujours opposées au mouvement de la Terre, et que M. Morin employait pour fondement d’une de ses principales démonstrations. Ce déplaisir joint à l’ambition qu’il a de se signaler en attaquant les hommes de réputation, le porta à faire cet autre livre auquel il donna pour titre Alæ Telluris fractæ, où il ne se contente pas d’impugner {c} à sa mode les raisons de M. Gassendi ; mais il s’oublie jusques à le taxer d’hérésie, en lui déconseillant le voyage de Rome, comme n’y faisant pas sûr pour lui. Alors M. Gassendi suivit l’exemple de Jésus-Christ, lequel n’ayant pas ouvert la bouche durant tous les outrages qu’il avait soufferts jusques là, montra quelque ressentiment de celui que le satellite {d} insolent lui fit, en lui reprochant qu’il offensait le Pontife. Ainsi, M. Gassendi voyant que M. Morin lui faisait un semblable reproche, pensa qu’il ne devait plus se taire et fit son Apologie. » {e}


  1. Louis-Emmanuel de Valois, comte d’Alais, gouverneur de Provence (v. note [42], lettre 155).

  2. « Solution, longtemps souhaitée et maintenant enfin démontrée, du célèbre problème lié au mouvement de la Terre » (Paris, chez l’auteur, 1631, in‑8o), dédié au cardinal de Richelieu.

  3. D’attaquer.

  4. Séide : « celui qui accompagne un autre pour sa sûreté, ou pour exécuter ses commandements. […] On le prend d’ordinaire en mauvaise part pour un archer, un pousse-cul [agent subalterne préposé à arrêter et emprisonner les gens], ou quelque mauvais garnement qui sert aux captures, ou à faire de mauvais traitements à quelqu’un » (Furetière).

  5. La dispute s’envenima plus encore quand elle s’étendit à l’astrologie, après que Morin eut prédit la mort de Gassendi en juillet-août 1650, qui n’arriva pas (Bayle, note I).

Cette querelle de la plus haute importance scientifique dépassant mes compétences, j’ai interrogé mon frère aîné, Jean-Pierre Capron, ancien ingénieur du Corps des Mines, et lui sais profondément gré de m’avoir renvoyé aux Dialogues que Galilée a rédigés à la demande du pape Urbain viii et publiés en italien (Florence, 1632, v. notule {b}, note [19], lettre 226). Guy Patin ne pouvait avoir lu que leur édition latine :

Galilæi Galilæi Lynci, Academiæ Pisanæ Mathematici, Serenmi. Magni-Ducis Hetruriæ Philosophi et Mathematici Primarii Systema Cosmicum : in quo Dialogis iv. de duobus maximis Mundi Systematibus, Ptolemaico et Copernicano, rationibus utrinque propositis indefinite disseritur. Accessit locorum S. Scripturæ cum Terræ mobilitate concilatio.

[Système cosmique de Galileo Galilei, lyncéen, {a} mathématicien de l’Université de Pise, premier philosophe et mathématicien du sérénissime grand-duc de Toscane : {b} où, sous la forme de quatre Dialogues sur les deux plus grands systèmes du monde, ptoléméen et copernicien, sont discutés sans parti pris les arguments proposés par chacun des deux. Y est adjointe une réconciliation des passages de la sainte Écriture avec la mobilité de la Terre]. {c}


  1. Membre de l’Académie romaine des Lynx, v. seconde notule {a}, note [35] du Naudæana 2.

  2. Ferdinand ii de Médicis (v. note [9], lettre 367), à qui Galilée a dédié son livre.

  3. Lyon, Jean-Antoine i Huguetan, 1641, in‑4o ilustré de 377 pages ; réimpression de la toute première édition (Trèves, Elezevier, David Hauttus, 1635), dans la traduction latine de Matthias Bernegger (v. notule {h}, note [11], lettre latine 101) ; dédiée par le libraire à Balthazar de Monconys (v. note [52], lettre 420), alors conseiller au présidial de Lyon.

Le Dialogue, réparti en quatre journées, fait intervenir trois personnages fictifs : Filippo Salviati (Salv. qui défend les idées de Copernic et Galilée), Simplicio (Simpl. qui représente les aristotéliciens) et Giovan Francesco Sagredo (Sagr. dont l’opinion est neutre). La iie journée relate deux expériences menées sur des bateaux en déplacement, qui permettent d’éclairer, sans anachronisme, les échanges entre Gassendi et Morin.

  • Disparitas inter casum lapidis a vertice mali, et e summitate Turris [Différence entre la chute d’une pierre depuis le sommet d’un mât et du haut de la Tour] {a} (pages 101‑104) :

    Simp. […] Accedit experimentum appositum adeo, lapidis e summitate mali decidentis, qui, dum navis consistit, ad mali pedem cadit : si vero navis provehitur, ab eodem termini tam procul cadet, quanto navis, tempore casus lapidis progressa fuerit : qui quidem haud pauci cubiti sunt, quando navis celeri cursu fertur. […]

    Salv. […] Ais, quandoquidem stante nave, lapis prope mali pedem decidit ; at progrediente, longius a pede removetur ; e converso igitur, ex casu lapidis ad pedem, inferri quietem navis, et ex casu remotiore, progressum navis : cumque it, quod de navi evenit, de Terra pariter accidere debeat, ideoque ex casu lapidis ad pedem Turris, necessario globi terrestris immobilitatem inferri. Numquid hæc es argumentatio tua ?

    Simp. Est, et quidem in compendium exacte reducta, quod eam reddit intellectu facillimam.

    Salv. Iam dicito mihi, si lapsis e mali summitate demissus, navi velocissime provecta, in eodem præcise navis loco decideret, quem locum nave quiescente feriret, ecquem usum hi casus tibi præberent, ut te de navis vel statione, vel progressu certiorem efficerent ?

    Simp. Nullum prorsus. Ad hunc modum e pulsu venarum cognosci nequit, dormiatne quis, an vigilet. Pulsus enim eundem tenorem in utroque servat.

    Salv. Optime. Unquamne experimentum de navi cepisti ?

    Simp. Numquam : facile tamen crediderim, auctores qui hoc experimentum adferunt, diligenter id observasse : præterquam quod causa disparitatis aperte adeo cognoscitur, ut nullus sit dubitationi locus.

    Salv. Quod fieri possit, ut auctores experimentum a seipsis incognitum adferant, tu ipse testimonio est, qui cum eam rem inexploratam tibi fateare, tamen veluti certam producis, et nos bona fide remittis ad istorum auctoritatem : quod ipsum eosdem quoque fecisse, non modo probabile, sed et necessarium est : ut scilicet ipsi quoque provocavrerint ad testimonium antecessorum, et nemo tamen inventus fuerit, qui ipsemet experimentum ceperit : nam id capere quicunque velit, is plane contrarium his quæ scriptis traduntur, evenire deprehendet, nimirum lapidem in eundem semper navis locum decidere, seu consistat illa, seu quantacunque velocitate moveatur. Cum ergo ratio terræ sit eadem quæ navis ; a lapidis casu perpendiculari ad pedem Turris, de motu vel quiete Terræ nihil inferri potest.

    [Simpl. Il y a en outre l’expérience si opportune de la pierre jetée du haut d’un mât : quand le navire est à l’arrêt, elle tombe au pied du mât ; quand il avance, elle s’en éloigne d’une distance égale à celle que le navire a parcourue pendant le temps que la pierre a mis à tomber, ce qui dépasse largement quelques coudées {b} si le navire avance rapidement. […]

    Salv. […] Tu dis bien que quand le navire est immobile, la pierre tombe au pied du mât, et que quand il avance, elle s’en écarte nettement. Inversement, la chute de la pierre au pied du mât te permet donc de déduire que le navire est à l’arrêt et, si elle s’en éloigne, que le navire se déplace ; et puisque ce qui est vrai du navire doit l’être aussi de la Terre, la chute de la pierre au pied de la Tour {a} implique nécessairement que la Terre est immobile. Est-ce bien là ton raisonnement ?

    Simpl. Oui, tu l’as exactement résumé, en le rendant tout à fait intelligible.

    Salv. Dis-moi maintenant : si une pierre lâchée du haut du mât, quand le navire avance très rapidement, tombait exactement au même endroit que quand le navire était à l’arrêt, ces chutes te seraient-elles utiles pour savoir sûrement si le navire est ou non en mouvement ?

    Simpl. Bien sûr que non : exactement comme le battement des vaisseaux ne permet pas de savoir si quelqu’un dort ou est éveillé, car le même pouls s’observe dans les deux cas.

    Salv. Parfait ! mais as-tu jamais accompli l’expérience du navire ?

    Simpl. Non, jamais, mais je croirais facilement que les auteurs qui ont mené cette expérience l’ont soigneusement observée ; en outre, la raison de la différence est si bien connue {c} qu’elle ne laisse aucune place au doute.

    Salv. Dans la mesure où, comme tu en témoignes, des auteurs font état d’une expérience sans la connaître directement : tu te fies à un fait que tu n’as pas toi-même vérifié, mais l’exposes pourtant comme avéré et t’en remets de bonne foi à l’autorité de ces gens. Il est non seulement recommandé, mais absolument nécessaire d’avoir accompli soi-même ce qu’ils ont fait, car ils ont aussi fait appel au témoignage de leurs prédécesseurs et nul ne saurait en trouver un qui ait lui-même réalisé l’expérience. De fait, qui voudrait l’accomplir trouverait l’exact contraire de ce qu’ils ont écrit : à savoir que la pierre tombe toujours au même endroit, que le navire soit à l’arrêt ou se déplace à quelque vitesse que ce soit. Puisque ce qui vaut pour le navire vaut pareillement pour la Terre, on ne peut rien déduire sur le mouvement ou l’immobilité de la Terre du fait que la pierre chute perpendiculairement au pied de la Tour]. {d}

  • Experientia, qua sola demonstratur nullitas aliarum omnium contra motum terræ productarum [Expérience qui, à elle seule, montre la nullité de toutes les autres qu’on a produites contre le mouvement de la Terre] (pages 136‑137) :

  • Salv. […] Subi cum amico aliquo maiorem navis constratæ cameram, et cura ut isthic adsint muscæ, papiliones, et similia animalia volantia : adsit quoque vas magnum aqua repetum, in quo pisces natent : aliqua præterea situla suspendatur ; ex qua guttatim stillantem aquam subiectum aliud ore angusto vas excipiat. Stante nave diligenter observa, quomodo volatilia ista pari velocitate versus omnes cameræ partes ferantur, pisces indifferenter quaquaversum natitent, stillæ vas suppositum omnes intrent. Adhæc proiicienti quippiam ad amicum non plus virium in hanc quam illam partem opus erit, dummodo intervalla sint æqualia. Saltando quoque iunctis, quod aiunt, pedibus, in omnes partes æqualia spatia conficies. His diligenter animadversis, etsi nullum dubium est, stante navigio non aliter ea fieri debere ; navigium deinde quantacunque velocitate promove, et si modo motus eius uniformis sit, nec hac illac fluctuet, in omnibus dictis rebus nec vel minimam mutationem deprehendes, nec ex illarum ulla motum vel statum navigii diiudicare poteris : Saltando enim eadem in tabulato spatia, quæ antea, conficies, nec ob velocissimum navigii motum maiores saltus versus puppim quam proram facies, etsi subiectum tabulatum in partem tuo saltui contrariam decurrat : nec si amicus versus proram, tu puppim, constiteritis, rem ab altero excipiendam fortius iactare necesse est, quam si contrarium situm teneris : guttæ sicut prius in vas inferius cadent, sic ut nec una puppim versus abeat, etsi, dum suspensa est in aere situla, multis palmis navigium processerit. Pisces in aqua sua non maiori labore natabunt versus præcedentem quam sequentem vasis partem, sed pari agilitate petitum venient escam in quacunque labri parte depositam ; denique papiliones et muscæ quaquaversum sine discrimine volitabunt, nec unquam accidet, ut in parietem, quæ puppim respicit, declinent, quasi velocem navigii cursum subsequendo, diuque in aere commorando defessæ. Fumum item e thuris incenso grano surgentem, instar nuberculæ isthic hærere videbimus, indifferenterque moveri, non magis in unam quam alteram partem.

    Porro causa congruentiæ horum omnium effectuum est, quod motus navigii rebus omnibus in eo contentis, ipsique aeri communis est, loquor de rebus quas operit camera : nam si supra eam, in aere aperto, nec ad navigii cursum sequace consistamus, in nonnullis dictorum effectuum notabile discrimen appareret : et dubium non est, fumum tanto retrocessurum, quanto aer ipse : pariterque muscas et papiliones impeditas ab aere, cursum navigii subsequi non valituras, si notabili ab eo distantia separerentur. Si tamen in proximo sese teneant, cum ipsa navis, tanquam anfractuosa fabrica, partem aeris vicini secum vehat, sine offensa laboreve navem sequentur.

    [Salv. {e} […] Descends avec un ami dans la plus grande cabine d’un navire ponté, en prenant soin d’y apporter des mouches, des papillons et semblables animaux volants ; ainsi qu’un grand bocal rempli d’eau, où nagent des poissons. Suspends aussi un seau, d’où l’eau s’écoule goutte à goutte pour être recueillie dans un autre récipient à col étroit qui aura été placé au-dessous. Quand le navire est à l’arrêt, observe soigneusement comme ces bêtes volantes se déplacent à vitesse égale dans toutes les parties de la cabine, comme les poissons nagent librement en tous sens, comme chaque goutte qui sort du seau tombe dans le récipient au-dessus duquel il est placé. Si tu jettes quelque objet à ton ami, tu n’auras pas besoin d’y mettre plus de force vers l’avant que vers l’arrière, pourvu que la distance entre vous soit égale. Si tu sautes, comme on dit, à pieds joints, tu retomberas au même endroit, où que ce soit. Après avoir observé tout cela, bien qu’il n’y ait aucun doute qu’il doive en être ainsi dans un navire immobile, fais-le voguer à la vitesse que tu voudras et, pourvu qu’elle soit constante {f} et qu’il n’y ait ni roulis ni tangage, tu ne verras pas le moindre changement dans tous les phénomènes susdits, et seras incapable d’en déduire si le navire est à l’arrêt ou en mouvement : en sautant tu retomberas au même endroit du plancher, et même quand le bateau voguera très vite, tes bonds en direction de la poupe ne seront pas plus grands que si tu sautes en direction de la proue, bien que, pendant que tu es en l’air, le plancher de la cabine se déplace en sens contraire ; et si ton ami s’assied du côté de la poupe et toi du côté de la proue, tu n’auras pas à lancer plus fort que lui l’objet que vous échangerez, non plus que si vous inversez vos positions. Comme précédemment les gouttes tomberont dans le récipient inférieur, sans qu’aucune ne s’en aille vers la poupe, même si, pendant sa chute depuis le seau, le navire a parcouru plusieurs palmes ; {g} et les poissons ne peineront pas plus à nager vers l’arrière ou vers l’avant de leur bocal, et ils se rueront avec une agilité égale sur la miette de nourriture que tu y auras jetée n’importe où ; enfin, mouches et papillons voleront indifféremment en tous sens, et tu ne les verras pas se poser sur la paroi dirigée vers la poupe, comme s’ils étaient fatigués de devoir suivre longtemps la course du navire en restant en l’air. En enflammant un grain d’encens, tu verras {h} aussi sa fumée stagner comme un petit nuage, et se disperser sans préférence pour un côté ou l’autre de la cabine.

    En allant plus loin, la concordance de tous ces effets tient au fait que le mouvement du navire se communique à tout ce qu’il contient, y compris l’air. Je ne parle que de ce qui est renfermé dans la cabine, car sur le pont, à l’air libre, nous ne sommes plus à l’abri du mouvement du navire et il apparaît de notables changements dans certains des effets que j’ai décrits : sans aucun doute, la fumée suivra le déplacement de l’air ; il rendra pareillement mouches et papillons incapables de suivre la course du navire, s’ils s’éloignent un peu de son bord ; mais ils y parviendront sans effort ni fatigue s’ils se tiennent tout près de lui, car il s’agit d’un bâtiment creux, qui emporte avec lui une partie de l’air qui l’avoisine]. {i}


    1. La Tour (opportunément penchée) de Pise.

    2. Coudée : distance qui va du coude à l’extrémité du médius, soit un pied et demi chez un adulte (40 à 50 centimètres).

    3. Intuitivement.

    4. Galilée ne se servait pas de l’expérience du bateau pour montrer que la Terre tourne sur elle-même, mais pour montrer que l’expérience de la Tour ne prouve pas que la Terre ne tourne pas.

    5. S’adressant à Simp.

    6. Tout ce qui suit n’est en effet vrai que si le navire se déplace à vitesse constante : accélération et décélération créent des forces (rétrogrades et antérogrades) qui influencent le déplacement des corps dans la cabine.

    7. Palme ou empan : distance (environ 24 centimètres) qui sépare les extrémités du pouce et de l’auriculaire quand les doigts sont au maximum de leur écartement.

    8. Pour la concordance des conjugaisons du récit, j’ai traduit videmus, « nous verrons », par « tu verras » (videtis).

    9. Commentaires de J.‑P. Capron.

      • Galilée énonçait un des principes fondamentaux de la mécanique : l’inertie, qu’Isaac Newton (fin du xviie s.) puis Albert Einstein (début du xxe s.) ont généralisée. Les lois de la mécanique sont identiques dans deux référentiels en mouvement rectiligne uniforme l’un par rapport à l’autre : rien ne permet de distinguer l’un de l’autre. Newton en a donné une formulation précise (ce que n’a pas fait Galilée), et Einstein y a ajouté la constance de la vitesse de la lumière pour édifier sa théorie de relativité restreinte.

      • La pierre qui tombe du sommet du mât d’un navire, au moment où elle est lâchée, est animée de la même vitesse horizontale que le bateau tout en prenant un mouvement vertical uniformément accéléré sous l’action de la pesanteur. Pour un observateur lié au le navire, la trajectoire de la pierre est verticale, alors que pour un observateur extérieur au navire, c’est une parabole (en faisant bien sûr abstraction de la résistance de l’air).

      • Pour être parfaitement précis, on sait aujourd’hui qu’un corps en chute libre à partir du repos ne décrit une verticale qu’en première approximation : il est en fait très légèrement dévié vers l’est par la force de Coriolis (Gustave Coriolis 1792-1843). L’écart est modeste : 28 millimètres pour une chute de 158 mètres, valeurs constatées par une expérience menée dans un puits de mine (pour une déviation théorique de 27,4 millimètres). Newton a été le premier à avoir identifié ce phénomène bien qu’il se soit fourvoyé dans le calcul de la déviation ; Carl Friedrich Gauss a trouvé la bonne formule au début du xixe s.

        Cela ne remet pas en cause les thèses de Galilée et les conclusions tirées de l’expérience de Gassendi à Marseille : la force de Coriolis est la manifestation de la rotation de la Terre qui, de ce fait, est un repère non inertiel, alors que Galilée, consciemment ou non, raisonnait sur un repère inertiel. En tout état de cause l’écart est du second ordre et n’était sans doute pas mesurable avec les moyens du xviie s. Le pendule de Foucault (1851) relève du même principe, mais les écarts se cumulent avec les oscillations successives ce qui finit par faire apparaître des effets du premier ordre.


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 22 juin 1649, note 4.

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(Consulté le 26/04/2024)

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