L. 515.  >
À Hugues II de Salins,
le 18 février 1658

Monsieur, [a][1]

Il y a longtemps que j’ai envie de vous faire réponse, c’est mon peu de loisir et le mauvais temps qui m’en ont empêché.

1. Je vous remercie de votre belle lettre et de la pureté de votre affection que vous me conservez toujours très constamment. L’épître que j’ai fait voir à M. Vilain [2] est sur les Aphorismes d’Hippocrate [3] que M. Ferrant, [4] médecin de Bourges, [5] me veut dédier ; mais je ne sais quand on l’imprimera, le libraire dit qu’il ne peut commencer qu’après Pâques. C’est celui qui a fait Coaca Præsagia il y a deux ans, in‑12 ; c’est un livre d’un grand usage en médecine. [1] Je serai ravi d’avoir le moyen et le bonheur de voir et d’embrasser M. de Saint-Loup, [6] fils de l’incomparable M. de Saumaise ; j’honore de tout mon possible ce beau nom et cette illustre famille qui ne devrait jamais périr.

2. J’ai reçu celle qu’il a plu à M. Vallot [7] de m’écrire et me tiens bien heureux qu’il n’ait point trouvé mauvais le jugement que j’avais fait de son livre. [2] Je lui ai répondu le plus civilement que j’ai pu et espère qu’il n’en sera pas mécontent. J’enfermerai celle-ci dans la sienne et crois que ce sera lui qui vous la fera tenir.

3. Je salue de toute mon affection mademoiselle votre femme [8] et souhaite que dans deux mois, ou environ, elle vous donnera un beau garçon, et qui ait un beau nom. Elle ne doit rien craindre de la saignée, [9] ce remède est singulièrement bon, et particulièrement aux femmes grosses ; il ne lui fera jamais que du bien. Je vous prie de lui faire mes très humbles recommandations et de la baiser à cause de moi.

4. Ratione morbi exacuti convalescentes omnes, extincta febre, et præmissa venæ sectione quantum et quoties debuit, sunt repurgandi. An v. debeat istud fieri per validiora et acriora medicamenta, an potius per mitiora sæpius repetita, posteriore sententia mihi magis arridet ; nihilominus tamen tunc debet Medicus attendere ad magnitudinem morbi, ad virium robur et præsentem corporis constitutionem, atque ad naturam et temperamentum ægrotantis. Magnis morbis magna remedia, si vires ferant, præsertim extincta febre, et omni fervore viscerum[3] Lisez Houllier [10] sur les Aphorismes d’Hippocrate, [11] ubi de purgatione[4][12]

5. Dans les fièvres continues, [13] les ardeurs des reins et les acrimonies d’urine, les émulsions [14] n’y valent rien : ce sont des amandes et du sucre, [15] quæ sunt oleosa et biliosa ; [5] il n’y faut que des lavements [16] rafraîchissants, la saignée réitérée et multæ frigidæ potus[6]

Pour la limaille d’acier dans les obstructions des viscères, etc., [7][17] c’est un pur abus qui vient des méchants livres, et entre autres de Dioscoride, [18] qui fuit merus empiricus, militaris et botanicus[8][19][20] En tels maux, il faut saigner des bras et par après, les bien purger[21] Tophi podagrici non facile solvuntur, imo numquam bonis ægrorum rebus. In podagra conferre possunt vinacea, humorem impactum resolvendo, et robur pedibus conciliando : et advenæ usurpantur prospero successu. In fluxibus diarrhaïcis gravidarum mulierum, est secanda vena multoties, et postea leniter purgandum est, cum diacatholicone ; sed sobrie vivant. In urinæ suppressione, numquam sunt usurpandæ cantharides, ipso morbo periculosiores : sed immittendus venit catheter in vesicam, ut serum educatur modo nulla adsit inflammatio circa vesicam. Vale et me ama. [9] G.P[22][23][24][25][26]

De Paris, ce 18e de février 1658.

Je salue monsieur votre père et toute sa famille.


a.

Ms BnF no 9357, fo 296, « À Monsieur/ Monsieur de Salins, le puîné,/ Docteur en médecine,/ À Beaune ».

1.

Coaca Præsagia est une autre dénomination des Coacæ prænotiones [Prénotions coaques (de Cos)] d’Hippocrate dont, à l’instar de maints autres, Louis Ferrant avait fait un commentaire (Paris, 1657, v. note [26], lettre 469). Je n’ai pas trouvé trace de celui qu’il a fait sur les Aphorismes d’Hippocrate.

2.

V. note [2], lettre 512, pour le Traité de l’Admiration de Jean Vallot, théologal de Beaune (Dijon, 1657).

3.

« En principe tous les convalescents d’une maladie aiguë, une fois la fièvre éteinte et après les avoir saigné aussi copieusement et autant de fois qu’on a dû, doivent être purgés de nouveau. De ce qu’on doive le faire avec des médicaments fort vigoureux et brutaux, ou plutôt avec de plus doux qu’on répète souvent, c’est la seconde prescription qui me plaît le plus ; pourtant alors, le médecin doit bien prendre en considération la gravité de la maladie, la vigueur des forces et la constitution présente du corps, ainsi que la nature et le tempérament du malade. Aux grands maux les grands remèdes, si sa robustesse les supportent, particulièrement quand la fièvre et toute la chaleur des viscères sont éteintes. »

4.

« sur la purgation ». Les plus longs commentaires de Jacques Houllier sur les Aphorismes d’Hippocrate (Genève, 1620, v. note [12], lettre 503) sont au nombre de deux. {a}

5.

« qui sont huileux et bilieux. »

Émulsion (Furetière) : « remède liquide et agréable, dont la couleur et la consistance approchent fort de celle du lait. Il est composé de semences ou de fruits oléagineux pilés dans un mortier, et dissous dans des eaux distillées ou dans des décoctions légères qu’on passe et qu’on exprime, et qu’on édulcore avec du sucre ou du sirop. Les émulsions ont grande affinité avec les amandes et ont les mêmes couleurs, la même consistance et la même vertu. Elles servent à adoucir les poumons pour éteindre l’ardeur des reins, pour tempérer l’acrimonie de l’urine et donner repos au malade. »

6.

« et les boissons froides en quantité. »

7.

V. note [5], lettre de Charles Spon datée du 6 avril 1657, pour la manière de traiter les occlusions intestinales aiguës (colique de miséréré) en faisant avaler au malade une balle de mousquet ou, comme probablement ici, de la limaille d’acier, avec l’idée sommaire que la masse de l’objet dégluti permettrait de forcer l’obstacle.

8.

« qui fut un pur empirique, militaire et botaniste » : v. note [7], lettre 103, pour la double carrière, militaire et médicale, de Dioscoride, au ier s. de notre ère.

Le chapitre xliiii, livre cinquième (pages 469‑470), de son traité de médecine {a} est intitulé De l’Écaille d’Airain, que les Grecs appellent Lepis chalcus, les Latins, Squamma Æris. Ses caractéristiques ne mentionnent pas explictement son emploi dans les obstructions intestinales :

« L’écaille {b} d’arain battue des clous des forges de Chypre est la meilleure, qui est grosse et se nomme Hélité, c’est-à-dire clouière ; {c} mais celle qui se bat de l’airain vil et vulgaire, ou du blanc, et véritablement réprouvable, pour être subtile et de peu de valeur. L’on loue la grosse, la rousse, et celle principalement qui, baignée dans le vinaigre, devient rouillée. Elle a la vertu d’astreindre, de subtilier, {d} de réprimer et de ronger. Elle arrête les ulcères qui mangent la chair. Elle consolide des ulcères. Bue avec eau miellée, elle purge l’eau du corps et, à cette cause, aucuns la donnent en l’empâtant avec farine, et en faisant des pilules. L’on la met dans les médicaments qui se composent pour les yeux. […]

L’écaille d’acier est de même vertu que celle de l’airain […] ; mais pour lâcher le corps, elle est moins valeureuse. » {e}


  1. Les six Livres de Pedacion Dioscoride d’Anazarbe de la Matière médicinale, translatés de latin en français. À chacun chapitre sont ajoutées certaines annotations fort doctes, et recueillies des plus excellents médecins, anciens et modernes (Lyon, Mace bon homme, 1559, in‑8o de 574 pages), avec dédicace de Martin Mathée, médecin, au cardinal Charles de Lorraine.

  2. Limaille (Furetière) : « poudre ou petits filets qui se détachent des métaux qu’on use avec la lime. On nourrit l’aimant avec de la limaille de fer pour l’entretenir en sa force. Les orfèvres ont grand soin de recueillir les limailles d’or et d’argent. Les chimistes font un bain de limailles pour avoir un degré de chaleur de feu qu’on allume sous de la limaille. La limaille d’aiguilles est le fer le plus propre pour faire des préparations chimiques. Les limailles d’épingles servent à plomber des pots de terre. »

    « La limaille de cuivre prise au poids d’une drachme est bonne pour la guérison de la rage. C’est un violent émétique » (Trévoux). « On prescrit comme tonique la limaille d’acier, de préférence à celle de fer, parce que celle-ci contient souvent des parcelles cuivre qui peuvent être nuisibles » (Nysten 1873). Sous d’autres formes plus absorbables, le fer est le fondement du traitement moderne des anémies par carence martiale (manque de fer induit pas les saignements chroniques).

  3. « Pièce de fer pour former la tête des clous » (Littré DLF) ; le substantif grec êlos (ηλος, clou) a donné l’adjectif dioscoridien êlitis (ηλιτις, qui a la nature du clou).

  4. Diluer les humeurs ; v. note [30], lettre 222, pour la vertu astringente d’un remède.

  5. Recommander « la limaille d’acier dans les obstructions des viscères » était donc bien abuser des propos de Dioscoride.

9.

« Les bonnes dispositions des malades ne résolvent pas aisément, et autant dire jamais, les tophus de la podagre. {a} Les marcs de raisin peuvent convenir dans la podagre en libérant l’humeur refoulée et en procurant de la vigueur aux pieds, et les étrangers en usent avec grand succès. Dans les diarrhées des femmes enceintes, il faut saigner itérativement et ensuite purger doucement avec le catholicon ; {b} mais surtout, qu’elles vivent frugalement. Dans la suppression d’urine, il ne faut jamais employer les cantharides, {c} elles sont plus dangereuses que la maladie elle-même ; mais il convient d’introduire une sonde dans la vessie pour drainer le liquide {d} et pour qu’aucune inflammation {e} ne siège autour de la vessie. Vale et aimez-moi. »


  1. Goutte du pied.

    Tophus (Lavoisien, Dictionnaire portatif de médecine…, 1793) : « mot latin qui signifie tuf, et qu’on a conservé en français pour désigner une espèce de tumeur qui se forme indifféremment dans toutes les parties du corps, laquelle contient une substance qui tient de la nature de la craie ou de la chaux ; tumeur assez ordinaire aux vieux goutteux. » Dans la goutte invétérée (chronique), la localisation la plus fréquente des tophus est le pourtour des articulations des doigts et des orteils. Leur contenu crayeux est un précipité d’urate de sodium, qui résulte de l’accumulation d’acide urique dans l’organisme.

  2. Confection universelle, v. note [13], lettre 95.

  3. Cantharide (Furetière) : « mouche venimeuse, ou escarbot [scarabée] qui s’engendre sur les frênes, qui est verte et luisante, qui est fort belle à voir à cause de sa couleur azurée parmi un jaune doré ; mais elle est de très mauvaise odeur. Elle est chaude et sèche jusqu’au quatrième degré et elle a une particulière antipathie contre les parties dédiées à l’urine, auxquelles elle est extrêmement nuisible. Les cantharides ont pris leur nom de cantharus qui signifie cet animal qu’on appelle en français fouille-merde, ou scarabeus venenosus (Matthiole). On applique des cantharides à la tempe de ceux qui ont mal aux dents. »

  4. V. note [10], lettre 209.

  5. V. note [6], lettre latine 412.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 18 février 1658

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(Consulté le 07/05/2024)

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