L. 776.  >
À Charles Spon,
le 18 avril 1664

Monsieur, [a][1]

Je vous remercie de la vôtre datée du 8e d’avril. Je ne me souviens plus de ces deux passages de Sennertus [2] et ne sais ce que c’est que ce Naquera[1] Je vous prie de dire à M. Ravaud [3] que je le remercie des six exemplaires de Fienus de Signis medicis[2][4][5] Je les attendrai patiemment, et n’a que faire, s’il veut, de prendre la peine de m’en écrire ; quand je les aurai reçus, je l’en remercierai. Continue-t-il l’impression du Code Théodosien ? [3][6] Je vous tiendrai compte de tout ce que ferez pour M. Joncquet. [7] Envoyez-moi un petit billet de tout ce qu’avez déboursé pour lui, et des ports de lettres mêmes, afin que je vous fasse rembourser du tout à Lyon. Lui et moi, nous sommes trop heureux de vous avoir plein de si bonne volonté. M. Vander Linden, [8] âgé de 53 ans, est mort à Leyde [9] d’une fièvre continue [10] avec une fluxion sur la poitrine, 7a die morbi[4] sans avoir été saigné ; [11] tanti est sapere ! [5] Il haïssait Galien [12] et aimait la chimie, [13] ne voilà pas de bons et beaux principes ? J’aime mieux qu’on me saigne, et ne pas mourir si tôt. Votre lieutenant criminel [14] n’était qu’un larron, il y a longtemps que je le savais bien. Je vous ai autrefois envoyé le factum de Séb. Rouillard [15] contre lui. C’est feu mon père [16] qui m’en a le premier appris l’histoire, qui était ici logé avec une des parties du dit Monconys, l’an 1619. Depuis ce temps-là j’en ai connu encore une autre, nommée M. Terrat, [17] qui était de Lyon. [6] Si du Pont-Euxin, [18] par le Danube, remontait jusqu’à Vienne [19] quelque vilaine bête comme votre tortue, les Allemands, minus nasuti[7] ne croiraient-ils pas que ce fût quelque avant-coureur de l’Antéchrist, [20] ou du Turc ? ou quelque autre Paracelse ? [21] De ce qui arrivera, je ne sais qu’en croire ni qu’en craindre ; il faut que je dise, comme me dit, avant que de mourir, M. Gassendi, [22] Je ne crains rien de ce qui me doit et me peut arriver, et dirai hardiment avec Virgile : [23]

Omnia præcipi, atque animo mecum ante peregi[8]

Suavissimam uxorem tuam saluto, ut et alios amicos[9] et entre autres MM. Gras, Garnier, et MM. Huguetan et Ravaud. Un des nôtres me vient d’apprendre que votre M. Morisset [24] revient à Paris et qu’il est sorti de Lyon avec son train le 8e d’avril. On parle d’un voyage du roi [25] pour Fontainebleau [26] et d’un légat [27] qui doit venir de Rome pour la confirmation de la paix. [10][28] Balzac [29] va ici à deux presses pour faire deux tomes in‑fo. On s’en va aussi commencer le Mézeray [30] qui fera quatre volumes in‑fo, dont le dernier finira à la mort du feu roi, l’an 1643. [11] Vale, et me ama. Tuus ex animo, Guido Patin.

Parisiis, 18. Aprilis, 1664[12]


a.

Ms BnF no 9358, fo 220, « À Monsieur/ Monsieur Spon,/ Docteur en médecine,/ À Lyon » ; en regard de l’adresse, de la main de Charles Spon : « 1664./ Paris, du 18 avril./ Lyon, le 26 dudit./ Risp./ Adi 6 juin. »

Reveillé-Parise, no ccclviii (tome ii, pages 500‑501) ; fragments dans Du Four (édition princeps, 1683), no cxvii (pages 354‑355), Bulderen, no cccxiii (tome ii, pages 403‑404), et curieusement, mais à André Falconet, dans Reveillé-Parise, no dcxxx (tome iii, pages 463‑464).

1.

Naquera (sans hésitation sur sa transcription) est en effet un terme obscur ; j’ai exploré trois pistes qui ne m’ont mené à rien de solide :

2.

Thomæ Fieni, Philosophi ac Medici præstantissimi Simiotice, sive de Signis medicis tractatus. Opus accuratissimum, omnibus medicinæ studia amplexantibus summe necessarium. In duas partes dividuum, cum indicibus nova methodo paratis.

[Sémiotique, ou traité des signes médicaux de Thomas Fienus, très éminent philosophe et médecin. Ouvrage fort soigné, tout à fait nécessaire à tous ceux qui embrassent les études de médecine. Divisé en deux parties, avec des index arrangés suivant une nouvelle méthode]. {a}


  1. Lyon, Jean-Antoine ii Huguetan et Marc-Antoine Ravaud, 1663, in‑4o de 414 pages.

Thomas Fienus (Fyens ou Feyens, Anvers 1567-Louvain 1631) avait étudié à Leyde puis à Bologne, avant d’être reçu, en 1593, à la fois docteur et professeur de médecine à Louvain, où il enseigna jusqu’à sa mort, avec une éclipse d’un an pour servir Maximilien de Bavière, à Munich. Il a publié plusieurs traités de médecine, de chirurgie et d’embryologie. Sa Simiotice a paru plus de trente ans après sa mort, sur l’instigation de Vopiscus Fortunatus Plempius, à qui les imprimeurs lyonnais ont adressé leur épître dédicatoire. Cet ouvrage et le Semiotice, sive de Signis medicis Enchiridion… [Manuel sémiologique, ou des Signes médicaux…] (Venise, Turrinus, 1654, in‑24) celui de Johann Prevost (v. note [11], lettre 81) ont été, à ma connaissance, les premiers à traiter uniquement de sémiologie médicale et à arborer ce mot dans leur titre.

La sémiologie (séméiologie ou sémiotique) est en médecine la science des signes (sêméia en grec) en tant qu’expressions des maladies : il n’y a pas de maladies sans signes et leur étude est aussi ancienne que la médecine. Le livre de Fienus commence par cette exacte définition :

Signum est, quicquid manifestius existens potest nos ducere in cognitionem illius, quod est occultius : De ratione signi est, quod sit manifestum ; de ratione signati seu illius quod significatur est quod sit occultum : saltem signum debet esse manifestius signat ; et contra signatum debet esse occultius signo : etenim non est necesse, ut signum sit perfecte manifestum, sed satis est, quod sit saltem manifestius signato.

[Le signe est tout ce qui, en s’exprimant, peut nous mener à connaître ce qui est caché. Par essence, le signe est manifeste ; par essence, le signifié, ou ce que le signe exprime, est caché. Du moins, le signe doit-il être plus manifeste que le signifié et à l’inverse, le signifié doit-il être plus caché que le signe. De plus, il n’est pas nécessaire que le signe soit parfaitement manifeste ; il lui suffit d’être plus manifeste que le signifié].

Dans le même ton, scolastique et fastidieux, la suite est une interminable compilation de tout ce que les auteurs antiques, principalement Aristote, Hippocrate et Galien, ont écrit sur cet inépuisable sujet : les maladies sont dues à l’intempérie ou déséquilibre des quatre humeurs corporelles (v. note [4], lettre de Jean de Nully, datée du 21 janvier 1656), en résonance avec les qualités du corps, mêlant le chaud, le froid, l’humide et le sec, et avec l’environnement (climat, hygiène de vie), qui les mélange lui aussi. Tout cette théorie était sommaire et menait à d’inextricables paradoxes, que Fienus s’est pathétiquement évertué à dénouer, sans jamais oser mettre en doute les rêveries des Anciens.

Le médecin limitait alors ordinairement son examen à :

Tout cela n’a plus aujourd’hui qu’un intérêt historique, voire archéologique, aidant à comprendre les errances de la vieille médecine. Malgré le titre alléchant de son livre, il serait inexact de voir en Fienus un précurseur de la sémiologie moderne : il s’agissait d’un excellent logicien qui, sans innover le moins du monde, raisonnait juste sur des bases devenues entièrement fausses.

Ayant moi-même été praticien et enseignant assidu de la sémiologie clinique, et croyant avoir déniché une pépite, je me suis lancé avec enthousiasme, en février 2019, dans la traduction fort ardue du livre de Fienus ; mais j’ai abandonné ce projet une fois parvenu à la 21e page, tant ses analyses me semblaient absconses et passées de mode.

3.

Theodosianus Codex (Lyon, 1665, v. note [10], lettre 736).

4.

« au septième jour de sa maladie ».

V. note [8], lettre latine 289, pour la mort de Johannes Antonides Vander Linden, le 5 mars 1664, en lien avec une probable peste foudroyante. La saignée ne l’aurait certainement pas sauvé.

5.

« comment peut-on à ce point manquer de sens ! »

6.

Dans cette allusion à la lettre qu’il écrivit à Charles Spon le 29 avril 1644, Guy Patin faisait preuve d’excellente mémoire (sans doute aidée par le journal détaillé qu’il tenait et par les brouillons ou copies qu’il conservait de sa correspondance).

V. la note [5] de cette lettre, pour le lieutenant criminel de Lyon, Gaspard Monconys de Liergues. Claude Terrat était l’une de ses parties, que le factum de 1620 accusait de calomnie.

7.

« qui ont peu de flair ». À en juger par la prolixité des dictionnaires du temps sur leur compte, les tortues attisaient fort la curiosité ; mais je n’ai rien trouvé sur une d’elles qui se serait particulièrement fait remarquer en 1664, peut-être en remontant le Rhône jusqu’à Lyon…

8.

« J’ai tout prévu, et d’avance tout accompli en pensée » (Virgile, v. note [14], lettre 420).

9.

« Je salue votre très douce épouse, ainsi que nos autres amis ».

10.

La cour s’établit à Fontainebleau le 16 mai. Le 3 juillet, Louis xiv y reçut le cardinal Flavio Chigi, neveu et légat du pape Alexandre vii (v. note [1], lettre 735), arrivé incognito (Levantal). La paix qu’on confirmait était le traité de Pise (7 février 1664) qui mettait fin au différend entre la France et Rome pour l’affaire des gardes corses.

11.

Guy Patin citait ensuite :

l’Abrégé chronologique ou extrait de l’Histoire de France. Par le Sieur de Mézeray, {a} historiographe de France. Divisée en trois tomes.


  1. François Eudes de Mézeray (1610-1683) a été reçu à l’Académie française en 1648. V. notes [6], lettre latine 360, pour son Histoire de France (Paris, 1643-1651), qui avait précédé son Abrégé, et [26], lettre 300, pour sa contribution aux mazarinades sous le pseudonyme de Sandricourt. Il est aussi l’un des auteurs putatifs de l’ouvrage aujourd’hui connu sous le nom des Mémoires du cardinal de Richelieu sur le règne de Louis xiii, depuis 1610 jusqu’à 1638.

  2. Paris, Thomas Jolly, 1667, in‑4o, pages 1‑528.

    Faramond ou Pharamond est le légendaire premier roi des Francs au ve s. Le règne de Charles iv le Bel s’est achevé en 1328.

  3. Ibid. et id. 1667, in‑4o, pages 529‑985.

  4. Philippe vi de Valois a régné de 1328 à 1350, et Henri ii, de 1328 à 1559.

  5. Ibid. Louis Billaine, 1667, in‑4o, pages 986‑1489.

  6. François ii a régné de 1559 à 1560, et Henri iv, de 1589 à 1610. La série, rééditée en 1668, n’inclut pas le règne de Louis xiii (1610-1643), la réalisation fut donc un peu plus modeste que le projet.


12.

« Vale, et aimez-moi. Vôtre de tout cœur, Guy Patin. À Paris, ce 18e d’avril 1664. »


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 18 avril 1664

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(Consulté le 07/05/2024)

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