L. 936.  >
À André Falconet,
le 17 juillet 1668

Monsieur, [a][1]

Ce 16e de juillet. Je vous ai écrit depuis trois jours ce que je savais. Aujourd’hui on dit que M. le maréchal de Bellefonds [2] sera gouverneur de M. le Dauphin, [3] M. le marquis de Villars [4] sera son sous-gouverneur, [1] M. l’abbé de Roquette [5] son précepteur, il est aujourd’hui évêque d’Autun, [2] et que M. de Périgny [6] sera premier président de Rouen. [3][7] Attendons-en le boiteux. Des deux duellistes [8] qui furent pendus à la Grève [9] il y a environ trois semaines, l’un était gentilhomme. Son bien a été confisqué. Le confiscataire < sic > a voulu faire valoir son droit et se mettre en possession du bien. La mère l’a voulu empêcher, est venue à Saint-Germain, [10] et a présenté son placet au roi. [11] N’en ayant pas eu la satisfaction qu’elle désirait et qu’elle avait espérée, elle s’est emportée à un excès de paroles et d’injures qui l’ont fait arrêter prisonnière et condamner au fouet [12] et aux Petites-Maisons, [13] ce qui a été exécuté. [4]

Notre M. Préaux [14] se porte mieux, Dieu merci. Il y a 50 jours qu’il est au lit, il a été saigné 22 fois : voyez comme nous nous faisons justice les uns aux autres. Il ne peut revenir de si loin que petit à petit, divexatus fuit horrenda quadam αποσιτια, quæ est magnum symptoma apud Hippocratem[5] On parle ici d’un prêtre de Saint-Séverin [15] que l’on a dans la Bastille, [16] on dit, mais je ne le crois pas, qu’il est sorcier, [17] ad populum phaleras ! [6][18] On ne parle que des apprêts qui se font à Versailles [19] pour le carrousel [20] et le festin des dames de la cour. Cela sera tout à fait magnifique, mais point d’argent aux soldats congédiés : à gens de village, trompette de bois. [7] On dit que la peste [21] se renouvelle à Soissons, [22] Dii meliora piis[8] Je vous baise très humblement les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 17e de juillet 1668.


a.

Bulderen, no cccclxxiv (tome iii, pages 282‑283).

1.

Pierre de Villars (1623-1698), dit le marquis de Villars, n’était pas apparenté à l’amiral de Villars (v. note [15], lettre 748). Il avait servi en Italie et en Catalogne avec le titre de lieutenant général, sous la direction du prince de Conti dont il avait longtemps été le gentilhomme confident ; puis, en butte à l’hostilité de Louvois, il abandonna la carrière militaire, entra dans la diplomatie et occupa successivement les ambassades d’Espagne, de Savoie et de Danemark.

Villars se fit partout estimer pour son esprit et sa probité. Il était en outre renommé pour sa galanterie auprès des dames (c’est lui que Mlle de Scudéry a peint sous les traits d’Orondate dans le Grand Cyrus), et même, dit Saint-Simon (Mémoires, tome i, page 40) :

« Il plut à Mme Scarron {a} qui, sur le trône où elle sut régner longtemps depuis, n’a jamais oublié ces sortes d’amitiés si librement intimes. »


  1. Mme de Maintenon.

Cosnac (Mémoires, tome 1, page 140) :

« Il {a} était bien fait et avait beaucoup de mérite. Mais ce qui charma davantage M. le prince de Conti, ce fut la réputation que Villars avait acquise dans le combat qu’il fit, servant M. de Nemours lorsqu’il fut tué par M. de Beaufort. » {b}


  1. Le marquis de Villars.

  2. V. note [42], lettre 292.

Tallemant des Réaux (Historiettes, tome ii, page 435) le nomme « Villars de M. le prince de Conti, Villars, qu’on appelle vulgairement Villars Orondate, à cause de sa mine de héros. » Il a laissé des Mémoires de la cour d’Espagne depuis 1679 jusques à 1681 (Paris, 1733, in‑8o) (G.D.U. xixe s. Antoine Adam).

2.

Gabriel de Roquette (Toulouse 1626-1707) était monté à Paris où, grâce à son esprit d’intrigue et à sa dévotion affectée, il avait conquis les bonnes grâces de la princesse de Condé et était devenu grand vicaire du prince de Conti, abbé de Cluny (v. note [4], lettre 817). Très ambitieux et voulant acquérir la réputation de remarquable prédicateur, il faisait faire par un autre les sermons et les harangues qu’il prononçait en public. On ne tarda pas à connaître le fait et Antoine Bret (éditeur des œuvres de Molière au xviiie s.) a attribué à Nicolas Boileau-Despréaux là-dessus une épigramme qui courut à la cour et à la campagne :

« On dit que l’abbé Roquette
Prêche les sermons d’autrui ;
Moi, qui sais qu’il les achète,
Je soutiens qu’ils sont à lui. »

Cet intrigant qui, d’après quelques-uns, a fourni à Molière le type de son Tartuffe (v. note [3], lettre 950), était devenu abbé de Grandselve (Bouillac, Tarn-et-Garonne), puis évêque d’Autun (1666). En 1702, il se démit de cet évêché en faveur d’un de ses parents, Bertrand de Senaux, dont il devint alors le coadjuteur.

On a publié sous son nom : Oraison funèbre d’Anne-Marie Martinozzi, princesse de Conti (1672, in‑4o) ; Ordonnance de l’évêque d’Autun pour le rétablissement de la discipline ecclésiastique (1669, in‑8o) ; Réponse pour Gabriel de Roquette au factum des chanoines de Verclay (1668, in‑8o).

3.

V. note [8], lettre 656, pour Octave Peaudeloup, dit de Périgny.

4.

V. note [6], lettre 935, pour la relation de cette affaire par Olivier Le Fèvre d’Ormesson, avec un motif différent pour la mort qui désespérait cette pauvre mère.

« Confiscataire » est un néologisme ou une coquille typographique (car on ne le trouve pas ailleurs sous la plume de Guy Patin), pour « confiscateur » (attesté par Littré DLF) ou « confiscant » (Trévoux) : celui qui confisque les biens d’un duelliste, c’est-à-dire le roi, car le duel était tenu pour un crime de lèse-majesté, un gentilhomme étant un représentant de l’autorité royale, au service de laquelle il était entièrement dévoué.

5.

« il a été tourmenté par quelque dégoût effroyable des aliments, qui est un symptôme majeur dans Hippocrate. »

6.

« du clinquant bon pour le peuple ! » : à d’autres, mais pas à moi ! (Perse, v. note [16], lettre 7).

7.

« Pour dire qu’il faut traiter chacun selon son mérite, qu’il faut faire aux gens des traitements proportionnés à leur condition » (Furetière).

8.

« puissent les dieux ménager des jours meilleurs aux gens pieux » (v. note [5], lettre 33).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 17 juillet 1668

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(Consulté le 26/04/2024)

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